Название | La comtesse de Rudolstadt |
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Автор произведения | George Sand |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066087128 |
—Comment ne serait-on pas curieux de tout ce que Frédéric le Grand juge à propos de faire? répondit Voltaire, qui fit un effort de complaisance en voyant le roi en train de parler; peut-être que certains hommes n'ont le droit de rien cacher, lorsque la moindre de leurs paroles est un précepte, et la moindre de leurs actions un exemple.
—Mon cher ami, vous voulez me donner de l'orgueil. Qui n'en aurait d'être loué par Voltaire? Cela n'empêche pas que vous ne vous soyez pas moqué de moi pendant un quart d'heure que j'ai été absent, Eh bien! pendant ce quart d'heure, pourtant, vous ne pouvez supposer que j'aie eu le temps d'aller jusqu'auprès de l'Opéra, où demeure la Porporina, de lui réciter un long madrigal, et d'en revenir à pied, car j'étais à pied.
—Bah! sire, l'Opéra est bien près d'ici, dit Voltaire, et il ne vous faut pas plus de temps que cela pour gagner une bataille.
—Vous vous trompez, il faut beaucoup plus de temps, répliqua le roi assez froidement; demandez à Quintus Icilius. Quant au marquis, qui connaît si bien la vertu des femmes de théâtre, il vous dira qu'il faut plus d'un quart d'heure pour les conquérir.
—Eh! eh! sire, cela dépend.
—Oui, cela dépend: mais j'espère pour vous que mademoiselle Cochois vous a donné plus de peine. Tant il y a, messieurs, que je n'ai pas vu mademoiselle Porporina cette nuit et que j'ai été seulement parler à sa servante, et m'informer de ses nouvelles.
—Vous, sire? s'écria La Mettrie.
—J'ai voulu lui porter moi-même un flacon dont je me suis souvenu tout à coup d'avoir éprouvé de très bons effets, quand j'étais sujet à des spasmes d'estomac qui me faisaient quelquefois perdre connaissance. Eh bien, vous ne dites mot? Vous voilà tous ébahis? Vous avez envie de donner des louanges à ma bonté paternelle et royale, et vous n'osez pas, parce qu'au fond du cœur, vous me trouvez parfaitement ridicule.
—Ma foi, sire, si vous êtes amoureux comme un simple mortel, je ne le trouve pas mauvais, dit La Mettrie, et je ne vois pas là matière ni à éloge ni à raillerie?
—Eh bien, mon bon Panurge, je ne suis pas amoureux du tout, puisqu'il faut parler net. Je suis un simple mortel, il est vrai; mais je n'ai pas l'honneur d'être roi de France, et les mœurs galantes qui conviennent à un grand monarque comme Louis XV iraient fort mal à un petit marquis de Brandebourg tel que moi. J'ai d'autres chats à fouetter pour faire marcher ma pauvre boutique, et je n'ai pas le loisir de m'endormir dans les bosquets de Cythère.
—En ce cas, je ne comprends rien à votre sollicitude pour cette petite chanteuse de l'Opéra, dit La Mettrie; et, à moins que ce ne soit par suite d'une rage musicale, je donne ma langue aux chats.
—Cela étant, sachez, mes amis, que je ne suis ni amant ni amoureux de la Porporina, mais que je lui suis très-attaché, parce que, dans une circonstance trop longue à vous dire maintenant, elle m'a sauvé la vie sans me connaître. L'aventure est bizarre, et je vous la raconterai une autre fois. Ce soir il est trop tard, et M. de Voltaire s'endort. Qu'il vous suffise de savoir que si je suis ici, et non dans l'enfer, où la dévotion voulait m'envoyer, je le dois à cette fille. Vous comprenez maintenant que, la sachant dangereusement indisposée, je puisse aller voir si elle n'est pas morte, et lui porter un flacon de Stahl, sans, pour cela, avoir envie de passer à vos yeux pour un Richelieu ou pour un Lauzun. Allons, messieurs, je vous donne le bonsoir. Il y a dix-huit heures que je n'ai quitté mes bottes, et il me faudra les reprendre dans six. Je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde, comme au bas d'une lettre.»
Au moment où minuit avait sonné à la grande horloge du palais, la jeune et mondaine abbesse de Quedlimburg venait de se mettre dans son lit de satin rose, lorsque sa première femme de chambre, en lui plaçant ses mules sur son tapis d'hermine, tressaillit et laissa échapper un cri. On venait de frapper à la porte de la chambre à coucher de la princesse.
«Eh bien, es-tu folle? dit la belle Amélie, en entr'ouvrant son rideau: qu'as-tu à sauter et à soupirer de la sorte?
—Est-ce que Votre Altesse royale n'a pas entendu frapper?
—On a frappé? En ce cas, va voir ce que c'est.
—Ah! madame! quelle personne vivante oserait frapper à la porte de Votre Altesse, quand on sait qu'elle est couchée?
—Aucune personne vivante n'oserait, dis-tu? En ce cas c'est une personne morte. Va lui ouvrir en attendant. Tiens, on frappe encore; va donc, tu m'impatientes.»
La femme de chambre, plus morte que vive, se traîna vers la porte, et demanda qui est là? d'une voix tremblante.
«C'est moi, madame de Kleist, répondit une voix bien connue; si la princesse ne dort pas encore, dites-lui que j'ai quelque chose d'important à lui dire.
—Eh vite! eh vite! fais-la entrer, cria la princesse, et laisse-nous.»
Dès que l'abbesse et sa favorite furent seules, cette dernière s'assit sur le pied du lit de sa maîtresse, et parla ainsi:
«Votre Altesse royale ne s'était pas trompée. Le roi est amoureux fou de la Porporina, et il n'est pas encore son amant, ce qui donne certainement à cette fille un crédit illimité, pour le moment, sur son esprit.
—Et comment sais-tu cela depuis une heure?
—Parce qu'en me déshabillant pour me mettre au lit, j'ai fait babiller ma femme de chambre, laquelle m'a appris qu'elle avait une sœur au service de cette Porporina. Là-dessus je la questionne, je lui tire les vers du nez, et, de fil en aiguille, j'apprends que madite soubrette sort à l'instant même de chez sa sœur, et qu'à l'instant même le roi sortait de chez la Porporina.
—Es-tu bien sûr de cela?
—Ma fille de chambre venait de voir le roi comme je vous vois. Il lui avait parlé à elle-même, la prenant pour sa sœur, laquelle était occupée, dans une autre pièce, à soigner sa maîtresse malade, ou feignant de l'être. Le roi s'est informé de la santé de la Porporina avec une sollicitude extraordinaire; il a frappé du pied d'un air tout à fait chagrin, en apprenant qu'elle ne cessait de pleurer; il n'a pas demandé à la voir, dans la crainte de la gêner a-t-il dit; il a remis pour elle un flacon très-précieux; enfin il s'est retiré, en recommandant bien qu'on dît à la malade, le lendemain, qu'il était venu la voir à onze heures du soir.
—Voilà une aventure, j'espère! s'écria la princesse, et je n'ose en croire mes oreilles. Ta soubrette connaît-elle bien les traits du roi?
—Qui ne connaît la figure d'un roi toujours à cheval? D'ailleurs, un page avait été envoyé en éclaireur cinq minutes à l'avance pour voir s'il n'y avait personne chez la belle. Pendant ce temps, le roi, enveloppé et emmitouflé, attendait en bas dans la rue, en grand incognito, selon sa coutume.
—Ainsi, du mystère, de la sollicitude, et surtout du respect: c'est de l'amour, ou je ne m'y connais pas, de Kleist. Et tu es venue, malgré le froid et la nuit, m'apprendre cela bien vite! Ah! ma pauvre enfant, que tu es bonne!
—Dites aussi malgré les revenants. Savez-vous qu'il y a une panique nouvelle dans le château depuis quelques nuits, et que mon chasseur tremblait comme un grand imbécile en traversant les corridors pour m'accompagner?
—Qu'est-ce que c'est? encore la femme blanche?
—Oui, la Balayeuse.
—Cette fois, ce n'est pas nous qui faisons ce jeu-là, ma pauvre de Kleist! Nos fantômes sont bien loin, et fasse le ciel que ces revenants-là puissent revenir!
—Je pensais d'abord que c'était le roi qui s'amusait à revenir, puisque maintenant il a des motifs pour écarter les valets curieux de dessus son passage. Mais, ce qui m'a fort étonné, c'est que