Название | La comtesse de Rudolstadt |
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Автор произведения | George Sand |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066087128 |
La Mettrie ferma la porte, et le roi parla ainsi:
«Cagliostro, vous le savez, avait l'art de montrer aux gens crédules des tableaux, ou plutôt des miroirs magiques, sur lesquels il faisait apparaître des personnes absentes. Il prétendait les surprendre dans le moment même, et révéler ainsi les occupations et les actions les plus secrètes de leur vie. Les femmes jalouses allaient apprendre chez lui les infidélités de leurs maris ou de leurs amants; il y a même des amants et des maris qui ont eu chez lui d'étranges révélations sur la conduite de certaines dames, et le miroir magique a trahi, dit-on, des mystères d'iniquité. Quoi qu'il en soit, les chanteurs italiens de l'Opéra se réunirent un soir et lui offrirent un joli souper accompagné de bonne musique, à condition qu'il leur ferait quelques tours de son métier. Il accepta l'échange et donna jour à Porporino, à Conciolini, à mesdemoiselles Astrua et Porporina, pour leur montrer chez lui l'enfer ou le paradis à volonté. La famille Barberini fut même de la partie. Mademoiselle Jeanne Barberini demanda à voir le feu doge de Venise; et comme M. Cagliostro ressuscite très-proprement les morts, elle le vit, elle en eut grand'peur, et sortit toute bouleversée du cabinet noir où le sorcier l'avait mise en tête-à-tête avec le revenant. Je soupçonne fort la Barberini, qui est un peu gausseuse, comme dit Voltaire, d'avoir joué l'épouvante pour se moquer de nos histrions italiens qui, par état, ne sont pas braves, et qui refusèrent net de se soumettre à la même épreuve. Mademoiselle Porporina, avec cet air tranquille que vous lui connaissez, dit à M. Cagliostro qu'elle croirait à sa science s'il lui montrait une personne à laquelle elle pensait dans ce moment-là, et qu'elle n'avait pas besoin de lui nommer, puisqu'il était sorcier et devait lire dans son âme comme dans un livre. «Ce que vous me demandez est grave, répondit Cagliostro, et pourtant je crois pouvoir vous satisfaire, si vous me jurez, sur tout ce qu'il y a de plus solennel et de plus terrible, de ne pas adresser la parole à la personne que je vous montrerai, et de ne pas faire le moindre mouvement, le moindre geste, le moindre bruit pendant l'apparition.» La Porporina s'y engagea par serment, et entra dans le cabinet noir avec beaucoup de résolution. Il n'est pas inutile de vous rappeler, messieurs, que cette jeune personne est un des esprits les plus fermes et les plus droits qui se puissent rencontrer; elle est instruite, raisonne bien sur toutes choses, et j'ai des motifs de croire qu'elle n'est accessible à aucune idée fausse ou étroite. Elle resta donc dans la chambre aux apparitions pendant assez longtemps pour étonner et inquiéter ses camarades. Tout se passa pourtant dans le plus grand silence. Lorsqu'elle en sortit, elle était fort pâle, et des larmes coulaient, dit-on, de ses yeux. Mais elle dit aussitôt à ses camarades: «Mes amis, si M. Cagliostro est sorcier, c'est un sorcier menteur, ne croyez rien de ce qu'il vous montrera.» Elle ne voulut pas s'expliquer davantage. Mais Conciolini m'ayant raconté, quelques jours après, à un de mes concerts, cette merveilleuse soirée, je me promis d'interroger la Porporina, ce que je ne manquai pas de faire la première fois qu'elle vint chanter à Sans-Souci. J'eus quelque peine à la faire parler. Voici enfin ce qu'elle me raconta:
«Sans aucun doute, M. Cagliostro possède des moyens extraordinaires pour produire des apparitions tellement semblables à la réalité, qu'il est impossible aux esprits les plus calmes de n'en être pas ému. Pourtant il n'est pas sorcier, et sa prétention de lire dans ma pensée n'était fondée que sur la connaissance qu'il avait, à coup sûr, de quelques particularités de ma vie; mais c'est une connaissance incomplète, et je ne vous conseillerais pas, Sire (c'est toujours la Porporina qui parle, observa le roi), de le prendre pour votre ministre de la police, car il ferait de graves bévues. Ainsi, lorsque je lui demandai de me montrer la personne absente que je désirais voir, je pensais à maître Porpora, mon maître de musique, qui est maintenant à Vienne; et, au lieu de lui, je vis apparaître dans la chambre magique un ami bien cher que j'ai perdu cette année.
—Peste! dit d'Argens, cela est beaucoup plus sorcier que d'en faire voir un vivant!
—Attendez, messieurs. Cagliostro, mal informé, ne se doutait pas que la personne qu'il montrait fût morte; car, lorsque le fantôme eut disparu, il demanda à mademoiselle Porporina si elle était satisfaite de ce qu'elle venait d'apprendre. «D'abord, monsieur, répondit-elle, je désirerais le comprendre. Veuillez me l'expliquer.—Cela dépasse mon pouvoir, répondit-il; qu'il vous suffise de savoir que votre ami est tranquille et qu'il s'occupe utilement.» Sur quoi la signora reprit: «Hélas! monsieur, vous m'avez fait bien du mal sans le savoir: vous m'avez montré une personne que je ne songeais point à revoir jamais, et vous me la donnez maintenant pour vivante, tandis que je lui ai fermé les yeux il y a six mois.» Voilà, messieurs, continua Frédéric, comment ces sorciers se trompent en voulant tromper les autres, et comment leurs trames sont déjouées par un ressort qui manque à leur police secrète. Ils pénètrent jusqu'à un certain point les mystères des familles et celui des affections intimes. Comme toutes les histoires de ce monde se ressemblent plus ou moins, et qu'en général les gens enclins au merveilleux n'y regardent pas de si près, ils tombent juste vingt fois sur trente; mais dix fois sur trente ils donnent à côté, et on n'y fait pas attention, tandis qu'on fait grand bruit des épreuves qui ont réussi. C'est absolument comme dans les horoscopes, où l'on vous prédit une série banale d'événements qui doivent nécessairement arriver à tout le monde, tels que voyages, maladies, perte d'un ami ou d'un parent, héritage, rencontre, lettre intéressante, et autres lieux communs de la vie humaine. Voyez un peu cependant à quelles catastrophes et à quels chagrins domestiques les fausses révélations d'un Cagliostro exposent des esprits faibles et passionnés! Qu'un mari se fie à cela et tue sa femme innocente; qu'une mère devienne folle de douleur en croyant voir expirer son fils absent, et mille autres désastres qu'a occasionnés la prétendue science divinatoire des magiciens! Tout cela est infâme, et convenez que j'ai eu raison d'éloigner de mes États ce Cagliostro qui devine si juste, et qui donne de si bonnes nouvelles des gens morts et enterrés.
—Tout cela est bel et bon, dit La Mettrie, mais ne m'explique pas comment la Porporina de votre Majesté a vu debout cet homme mort. Car enfin, si elle est douée de fermeté et de raison, comme Votre Majesté l'affirme, cela prouve contre l'argument de Votre Majesté. Le sorcier s'est trompé, il est vrai, en tirant de son magasin un mort pour un vivant qu'on lui demandait; mais il n'en est que plus certain qu'il dispose de la mort et de la vie; et, en cela, il en sait plus long que Votre Majesté, laquelle, n'en déplaise à Votre Majesté, a fait tuer beaucoup d'hommes à la guerre, et n'en a jamais pu ressusciter un seul.
—Ainsi nous croirons au diable, mon cher sujet, dit le roi, riant des regards comiques que lançait La Mettrie à Quintus Icilius, chaque fois qu'il prononçait avec emphase le titre de Majesté.
—Pourquoi ne croirions-nous pas à ce pauvre compère Satan, qui est si calomnié et qui a tant d'esprit? repartit La Mettrie.
—Au feu le manichéen! dit Voltaire en approchant une bougie de la perruque du jeune médecin.
—Enfin, sublime Fritz, reprit celui-ci, je vous ai posé un argument embarrassant: ou la charmante Porporina est folle et crédule, et elle a vu son mort; ou elle est philosophe, et n'a rien vu du tout. Cependant elle a eu peur, elle en convient?
—Elle n'a pas eu peur, dit le roi, elle a eu du chagrin, comme on en éprouverait à la vue d'un portrait qui vous rappellerait exactement une personne aimée qu'on sait trop que l'on ne reverra plus. Mais s'il faut que je vous dise tout, je pense un peu qu'elle a eu peur après coup, et que sa force morale n'est pas sortie de cette épreuve aussi saine qu'elle y est entrée. Depuis ce temps, elle a été sujette à des accès de mélancolie noire, qui sont toujours une preuve de faiblesse ou de désordre dans nos facultés. Je suis sûr qu'elle a l'esprit frappé, bien qu'elle le nie. On ne joue pas impunément avec le mensonge. L'espèce d'attaque qu'elle a eue ce soir est, selon moi, une conséquence de tout cela; et je parierais qu'il y a dans sa cervelle troublée quelque frayeur de la puissance magique attribuée à M. de Saint-Germain. On m'a dit que depuis qu'elle est rentrée chez elle, elle n'a fait que pleurer.
—Ah!