Название | A quoi tient l'amour? |
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Автор произведения | Blémont Emile |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066089498 |
XVI
La fusillade s'éteignait au loin. L'alerte avait été brève, mais sérieuse. Les francs-tireurs avaient eu l'audace de revenir par le fourré jusqu'à la lisière du bois. De là, à leur aise, ils avaient abattu d'un seul coup une vingtaine d'hommes sous leurs balles. Maintenant, ils se dérobaient sans qu'on pût les poursuivre utilement. On dut se contenter d'envoyer au hasard quelques volées de mitraille dans la forêt.
Ce retour offensif déchaîna la fureur des Allemands.
Le premier moment d'alarme passé, ils commencèrent le pillage et l'incendie avec une décision impitoyable, avec une sauvagerie savante.
Tous les habitants ne se laissèrent pas dévaliser sans résistance. Il y eut des protestations, des rixes, qui redoublèrent l'acharnement des pillards. Quiconque résistait était lié et cruellement battu.
Un perruquier de soixante ans, vieux soldat d'Afrique, renversa sur le pavé un sous-officier qui avait vidé sa caisse et voulait lui arracher sa montre. On fit le siège de la boutique. Le vieux se défendit avec une énergie désespérée. Il assomma deux des assaillants. A la fin, il succomba. Criblé de coups, lardé par les baïonnettes, il fut pris, traîné, foulé aux pieds dans le ruisseau sanglant. Avec ses rasoirs, on lui coupa le nez, les oreilles, les poignets. Puis on lui creva les yeux, et on le jeta, mort ou moribond, dans les ruines de sa pauvre bicoque, au milieu des flammes.
XVII
Victor Moussemond et l'instituteur avaient été conduits à la Villa des
Roses.
M. Dufriche les vit arriver et demanda au commandant ce qu'on leur reprochait.
«Faites descendre votre fils! lui dit celui-ci pour toute réponse.
—Mon fils! Vous savez bien qu'il ne peut pas bouger. Il se soutient à peine sur ses béquilles.
—Qu'il vienne immédiatement, ou on ira le chercher.»
Prosper descendit, aidé par son père.
«L'autre nuit, vous avez soulevé contre nous les gens de Verval. Vous avez dirigé l'attaque du pont.
—Moi! Est-ce possible? Vous voyez dans quel état je suis. Je n'ai pas quitté la maison une minute.
—Vous ne pouvez guère marcher, c'est vrai; mais on vous a conduit.
—Qui vous a dit cela?
—Je n'ai pas de comptes à vous rendre. Mes renseignements sont sûrs.
—Je vous jure qu'on vous a trompé.
—Prenez vos dernières dispositions; vous serez fusillé avec ces deux hommes, qui sont coupables comme vous.
—Fusillés! s'écrièrent avec stupeur Savourny et Moussemond.
—Silence!
—Pitié! fit Mme Dufriche, se jetant, tout en pleurs, aux pieds du commandant. Mon fils n'a rien fait. Ne le tuez pas!»
Il l'écarta avec impatience.
«La loi militaire est dure; je le regrette pour vous, madame. Mais il faut des exemples. La France nous a déclaré la guerre et ne veut pas accepter la paix. Que les Français en subissent toutes les conséquences!
—Monsieur, monsieur! je n'ai pas touché un fusil de ma vie, dit alors Toto Mousse affolé de terreur, avec des gestes de petit enfant qui supplie. J'ai toujours été pacifique, très pacifique, moi. Tout le monde le sait. Informez-vous. Je me suis fait remplacer pour ne pas me battre. J'aime les Allemands, mon général. Ce n'est pas moi qu'on doit punir. C'est injuste. Qu'on me laisse libre! Papa vous donnera tout ce que vous voudrez.
—Je ne veux rien de vous.
—Qu'on nous juge, au moins!» fit Savourny.
Il n'en put dire davantage. Les soldats poussèrent les trois condamnés vers la porte.
Mme Dufriche s'attachait aux vêtements de son fils, qui, interdit, stupéfait, s'avançait péniblement.
«Arrêtez! cria Madeleine qui venait d'entrer.
—Qu'on enferme les femmes!» dit le chef.
Mme Dufriche perdit connaissance. Madeleine résista, fut entraînée et enfermée dans le cellier.
XVIII
L'exécution eut lieu en haut de la côte, parmi les acacias nains d'une sablonnière abandonnée.
Victor Moussemond qui, pendant tout le trajet, n'avait cessé de parler, d'expliquer, d'implorer, eut un accès de colère folle quand il se vit perdu sans recours.
«Imbécile que je suis! hurlait le pauvre Toto. Dire que j'ai payé un homme pour partir à ma place! Et dire que cet homme n'attrapera peut-être pas une égratignure, tandis qu'on va me tuer comme un chien!»
Il se débattit violemment, voulut s'échapper. Il mordit les soldats, qui le frappèrent alors à coups de crosse, à coups de sabre, lui crachèrent à la figure et l'attachèrent contre un arbre en vociférant: Capout! capout!
L'un d'eux, parodiant la Marseillaise, se mit à chanter devant lui:
Qu'un sang impur abreuve vos sillons, Tas de cochons!…
«Ma pauvre mère!» murmurait Prosper Dufriche.
Et Savourny: «Ma pauvre enfant!»
Pénétrés du même sentiment, ils ajoutèrent presque ensemble: «Pauvre
France!»
Ils durent creuser eux-mêmes leur fosse.
Pendant ce temps, l'officier qui commandait le peloton lisait tout haut, en latin, dans un bréviaire qu'il avait tiré de sa poche, les prières des agonisants.
«Croyez-vous en Dieu? dit Prosper à l'instituteur.
—Espérons! fit celui-ci, les yeux levés vers le ciel. Il est impossible que la fin suprême ne soit pas justice et amour.»
Après l'exécution, les soldats tirèrent au sort les vêtements des morts.
Ils avaient amené là quelques bourgeois prisonniers, qu'ils voulaient terrifier par le spectacle de cette tuerie. Ils les forcèrent à enterrer les cadavres et à piétiner par-dessus pour niveler le sol.
XIX
Le lendemain, les Allemands quittèrent le pays. Ils emmenaient le maire et deux notables, la corde au cou, avec menace de les fusiller net, si la colonne était inquiétée en traversant les bois.
Plus de trente habitations avaient été incendiées. Onze personnes avaient succombé, entre autres le vieux Moussemond, l'huissier, le père de Victor; on le retrouva à moitié carbonisé près de son coffre-fort. En partant, l'ennemi tenta de brûler la maison Jorre, d'abord épargnée parce qu'une ambulance y avait été installée; mais le feu fut éteint, sans dégâts considérables.
La maison Fraisier avait été sauvée par un singulier hasard. Un chirurgien allemand, le brassard sur la manche, un flacon de pétrole dans la main gauche, un long pinceau dans la main droite, badigeonnait déjà les rayons du magasin, lorsque Constant Fraisier reconnut ce pétroleur pour un camarade de la vingtième année, qui, étudiant en médecine, avait logé à Paris, pendant quelques mois, sur le même palier que lui. En souvenir de l'ancien temps, l'homme au pinceau daigna protéger la famille et les biens de son ci-devant voisin.
Mais