Frédéric. Joseph Fiévée

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Название Frédéric
Автор произведения Joseph Fiévée
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084981



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de lui, elle met trop de finesse dans sa conduite. La finesse est la première tentation d'une femme spirituelle; Adèle devoit y succomber.

      C'est parce que je peignois des caractères et des événemens possibles avant 1789, que j'ai donné à tous mes personnages de l'esprit, de l'esprit, et encore de l'esprit. Nous en étions si pleins alors, que tout ce qui n'étoit pas notre esprit n'étoit rien. Les uns sont philosophes, les autres anti philosophes, quelques uns athées, d'autres religieux par raisonnement, presque tous auteurs; c'étoit déjà la mode. On pouvoit mourir sans faire son testament, mais non avant d'avoir composé un petit ouvrage, ne fût ce qu'une satyre contre son père; et c'est, je pense ce qui arrive à l'un de mes acteurs.

      Qui que ce soit ne s'est reconnu dans Suzette; j'en étois sûr d'avance. Les gens d'une pénétration bien fine y ont reconnu tout le monde; je l'aurois juré également. Autant en sera Frédéric.

      Si l'on veut connoître ma pensée sur les deux ouvrages, la voici. Suzette plaira à plus de personnes, et Frédéric, davantage à ceux qui savent bien lire. Le succès de Suzette a de beaucoup passé mon espérance; cependant je crains qu'en vieillissant elle ne se perde dans l'abîme qui engloutit quatre-vingt-dix-neuf romans sur cent. Frédéric n'y tombera pas; du moins je l'espère.

      Ne pouvant revoir moi-même les épreuves, s'il s'est glissé dans mon manuscrit, ou s'il se glisse à l'impression quelques fautes un peu lourdes, je prie qu'on ne me les attribue pas. Pour celles qui dénotent un auteur qui n'aime ni à travailler, ni à polir, ni à corriger, je m'en charge: il faut être juste.

       Table des matières

       Table des matières

       Table des matières

      C'étoit un bien excellent homme que le curé de Mareil; mais de tous les hommes excellens par les qualités du cœur, c'étoit le moins propre à diriger une éducation. Ce fut cependant à lui que la mienne fut confiée. En accuserai-je mes parens? Pour cela, il faudrait les connoître. Tout ce que je peux affirmer, c'est que je fus nourri à Mareil chez des paysans aisés, et qu'à l'âge de six ans j'allai demeurer dans la maison du curé de ce village. Il me seroit impossible d'énumérer toutes les connaissances que j'acquis avec lui.

      Le curé de Mareil n'étoit pas contrariant, mais il n'étoit jamais de l'avis de personne; et comme il restoit rarement plusieurs jours du sien, on peut dire à cet égard qu'il traitoit les autres comme lui-même. Il parloit facilement et avec grâce; la discussion l'animoit, et donnoit à son esprit une vigueur qui l'abandonnoit quand il étoit livré à ses propres réflexions. Comme il avoit la manie de réduire tout en systêmes, qu'il n'y a point de systême qui n'ait un côté faux, et que la foiblesse de son caractère ne lui permettoit pas de soutenir ce qu'il ne croyoit plus, ou de croire long-temps ce sur quoi il réfléchissoit souvent, il étoit entêté sans avoir d'obstination, inconséquent sans cesser de raisonner juste, très-instruit sans avoir une idée suivie, et toujours en état de persuader les autres sans pouvoir se convaincre lui-même.

      Il mettoit beaucoup d'importance à faire de moi un homme. Il ne lisoit, ne parloit, ne méditoit que sur l'éducation, et jamais nous ne suivîmes plus de quinze jours la même méthode. Tantôt il me traitoit avec beaucoup de pédantisme, ne me permettoit pas la moindre réplique; tantôt c'étoit un ami instruisant un ami: il exigeoit que je lui fisse part de mes réflexions, assurant qu'il falloit seulement guider la jeunesse. Quand il étoit partisan des langues mortes, je devois pâlir sur les auteurs anciens: mais si son goût pour l'antiquité s'évanouissoit, il me jetoit dans les langues étrangères, préférant aujourd'hui l'italien, parce qu'il est plus facile; demain l'anglois, parce que la littérature et la politique m'offriroient un jour plus d'instruction; et la semaine suivante il ne vouloit que de l'allemand: car une langue mère, disoit-il, me donneroit aisément la clef de toutes les autres. Bientôt les livres étoient abandonnés; et, comme l'Émile de Jean-Jacques, je n'avois plus pour précepteur que le charron du village.

      Tant qu'il n'avoit fait que changer de méthode, je m'étois prêté sans répugnance à tous ses caprices; j'en avois même si bien pris l'habitude, que je calculois assez juste le jour où je pouvois me dispenser d'apprendre mes leçons, certain que le lendemain il n'en seroit plus question: mais quand je me vis apprenti charron, il me fut impossible de ne pas ressentir le plus vif chagrin.

      «Monsieur le curé, lui dis-je, je suis donc abandonné de tout le monde! Je n'ai pas de parens qui veillent sur moi, je le sais; mais jusqu'à ce jour j'avois été élevé de manière à croire que j'avois quelque ami qui s'intéressoit à mon sort. N'ai-je plus d'autre ressource que d'apprendre un métier?»

      «Vous êtes un enfant, me répondit-il; il ne faut pas vous affliger. Vos amis ne vous ont point abandonné, puisque je reçois toujours le prix de votre pension. Quand vous n'auriez que moi, tant que je vivrai, rien ne vous manquera. Mais, mon cher Frédéric, que sont les arts, les sciences, dans mille circonstances de la vie? Des consolateurs, vous dira-t-on. Raisonnement futile! Rien ne console d'être à charge aux autres, et de ne pouvoir satisfaire à ses besoins. Cela ne vous arrivera pas, je l'espère; mais il faut se mettre en garde contre les événemens. D'ailleurs, en vivant avec les artisans, vous apprendrez à les plaindre, à les estimer; et si la fortune vous sourit un jour, vous ne mépriserez pas ceux que vous aurez été à même d'apprécier: vous serez leur ami, leur protecteur.»

      Rassuré sur la crainte d'être abandonné, je ne vis plus dans ce nouveau système qu'un moyen de vivre plus en liberté. J'allois exactement chez mon précepteur le charron; et je profitai si bien de ses leçons, qu'au bout de quinze jours je jurois, je fumois, et je buvois sur-tout de manière à faire honte à M. le curé: aussi cessa-t-il de vouloir me transformer en artisan, et il recommença à m'accabler de volumes. Mais j'avois pris l'habitude de ne m'appliquer l'esprit à rien; au milieu des leçons de mon cher Mentor, je ne pensois qu'aux chants joyeux et gaillards dont ma mémoire s'étoit garnie. Il s'emportoit: mais le maudit couplet de chanson me revenoit sans cesse; et tandis qu'il me faisoit les exhortations les plus pathétiques, je fredonnois intérieurement quelques refrains dans lesquels les curés jouoient le plus grand rôle; c'étoient ceux-là que j'avois appris avec le plus de facilité. Ajoutez que mon goût pour le charronnage étoit tel, qu'il n'y avoit plus un meuble dans le presbytère auquel je n'eusse fait quelque entaille. À défaut d'outils, pendant mes leçons, je me servois de mon canif pour charpenter la table sur laquelle j'écrivois. Mon curé perdoit patience; moi j'avois perdu avec le charron ce respect qui, chez les enfans, est le plus sûr garant de la soumission.

      Le pauvre curé de Mareil ne savoit plus que faire: non que les systêmes lui manquassent; mais il ne trouvoit plus en moi cette bonne volonté qui me les faisoit adopter avec la même chaleur qu'il les concevoit. Occupé de notre situation respective, je l'entendis un jour causer ainsi avec un de ses confrères, pour lequel il avoit la plus grande estime; c'étoit le respectable curé d'Orville, homme bien rare, puisqu'il soumettoit sa conduite, et même ses opinions, à ses devoirs.

      «Eh bien! vous savez ce qui m'arrive avec le jeune Frédéric? Mes ressources sont épuisées. J'ai voulu suivre les conseils de Rousseau; je l'ai perdu.»

      «—Je le crois sans peine.»

      «—Son systême est pourtant bien beau, bien séduisant!»

      «—Oui, sur