Название | Histoire de Sibylle |
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Автор произведения | Feuillet Octave |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083526 |
— Miss Augusta, dit la marquis, permettez-moi de vous affirmer que vous n'aurez jamais à craindre dans ma maison un pareil déchirement. Tant que je vivrai, ma chère miss O'Neil, vous vivrez sous mon toit, et je me tromperais étrangement sur les sentiments de ma petite-fille, si elle ne faisait pas honneur, après moi, à la recommandation formelle que je compte lui laisser à cet égard.
Miss Augusta ne put que murmurer un remercîment indistinct; mais elle passa de nouveau son gant de soie noire sur sa joue osseuse.
Ce fut sur ce pied d'heureuse intelligence que M. de Férias et miss O'Neil descendirent de voiture dans la cour du château. Peu d'instants après, la marquise, que son mari avait eu soin de prémunir, par deux mots de préface, contre l'impression du premier coup d'oeil, complétait le ravissement de l'Irlandaise par la tendre bienveillance de son accueil. Il était tard. On introduisit à petit bruit miss O'Neil dans la chambre de Sibylle, qui dormait dans ses rideaux blancs, un bras replié sous sa tête et perdu dans ses boucles soyeuses, avec la grâce que son âge charmant porte jusque dans le sommeil. La nourrice approcha une lampe, et miss O'Neil contempla longtemps sans parler l'enfant immobile et dont le souffle même semblait suspendu, tandis que la marquis et la marquise se penchaient derrière elle, le visage empreint d'un sourire d'extase. A un mouvement soudain que fit Sibylle, miss O'Neil posa un doigt sur ses lèvres, recula discrètement de quelques pas, et, montrant aux deux vieillards attentifs son oeil humide et rayonnant:
— C'est un archange, dit-elle d'un ton de mystère; je l'adore!
Installée aussitôt dans un appartement voisin avec une ampleur et des raffinements auxquels elle avait été peu accoutumée, la descendante de Fergus le Roux, malgré la fatigue du voyage, demeura éveillée une bonne partie de la nuit, promenant un regard attendri sur les grandes tapisseries à personnages qui l'entouraient: c'étaient, dans des bocages élyséens, des bergers en culottes courtes et des bergères à paniers, qui paraissaient heureux, mais qui l'étaient assurément moins que miss O'Neil. Il est désolant de penser qu'au moment même où l'honnête créature prenait si délicieusement possession de ce paradis, l'épée flamboyante, toute prête à l'en chasser, planait déjà sur sa tête.
Le lendemain matin, madame de Férias, après un entretien qui la fortifia dans tous les sentiments qu'elle avait déjà voués à miss O'Neil sur la parole de son mari, alla présenter l'institutrice à son élève. Sibylle, qui avait, à un degré rare pour son âge, le discernement de l'harmonie et de la beauté, considéra d'abord miss O'Neil avec inquiétude et répondit froidement à ses avances, en personne mal édifiée par les circonstances extérieures et qui réserve son jugement. La marquise les laissa ensemble pour qu'elles fissent connaissance plus commodément, et descendit au salon. Elle y trouva M. de Férias contant les mérites de miss O'Neil à l'abbé Renaud et à madame de Beaumesnil, que l'importance de l'événement avait attirés tous deux au château dès l'aurore.
— Eh bien, ma chère? dit le marquis.
— Eh bien, mon ami, autant que je suis capable d'en juger, c'est un esprit très-élevé et un coeur évangélique.
— Vous voyez, reprit le marquis d'un air radieux en s'adressant à ses hôtes, vous voyez, c'est un diamant, et ce sera, je le lui ai promis du reste, un diamant de famille! Il faut avouer que de Vergnes, sous son apparente légèreté, cache un tact et une sûreté de jugement peu ordinaires! Elle n'est pas belle, c'est vrai; mais j'en suis bien aise. Ce sera pour Sibylle un enseignement de plus: nous lui démontrerons en quelque sorte sur cet exemple vivant, combien les avantages physiques sont de mince valeur comparés à cette parure morale qui brille chez miss O'Neil comme dans un riche écrin, j'entends la noblesse des sentiments, la pureté de l'âme, les grâces de l'esprit…
— Les douces vertus du caractère,… dit la bonne marquise.
— Et les solides principes religieux, ajouta le curé.
Au milieu de ce concert, la porte du salon s'ouvrit avec fracas, et la nourrice, qu'on appelait dans le château madame Rose, entra brusquement, les traits si étrangement bouleversés que l'annonce d'une catastrophe lui sortait pour ainsi dire par les yeux.
— Au nom du ciel! nourrice, qu'y a-t-il? s'écria le marquis en se levant.
— Monsieur le marquis, dit madame Rose, reprenant difficilement haleine, elle n'est pas chrétienne!
— Quoi? qui? Miss O'Neil? Pas chrétienne?… C'est impossible!
Vous êtes folle, nourrice!
— Elle n'est pas chrétienne! reprit madame Rose en appuyant; c'est une chose sûre, puisqu'elle a demandé tout à l'heure à Jean s'il y avait un ministre protestant dans les environs, et si elle pourrait aller facilement au temps tous les dimanches.
— Protestante! dit le marquis, retombant anéanti sur son fauteuil. Protestante!… Puis, après une pause: — Madame Rose, reprit-il d'une voix altérée, c'est bien, laissez nous!
Il y eut quelques minutes d'un silence complet: la marquise échangeait avec son mari des regards douloureux; le curé et madame de Beaumesnil avaient joint les mains et les levaient de temps à autre vers le plafond avec un air de consternation sincère chez le premier, mais qui, chez la dame, n'était qu'une contenance, car, en réalité, la bombe qui venait d'éclater chez ses voisins n'avait jeté dans son coeur, toujours rongé d'envie, qu'une pluie de fleurs et de rosée.
— Il faut convenir, dit enfin le marquis avec éclat, que de Vergnes est impardonnable! Voilà bien l'indifférence et la frivolité parisiennes!… Une chose si capitale! il ne s'en informe même pas!… Il m'eût envoyé tout aussi bien une juive ou une mahométane,… mon Dieu! tout aussi bien! Voilà de Vergnes! Quant à moi, comment m'en serais-je informé? Comment m'imaginer une pareille négligence? Comment une idée si insensée, si absurde, m'eût-elle un seul instant traversé le cerveau?… D'ailleurs elle était Irlandaise, et j'ai dû croire… car il a fallu vraiment une fatalité particulière!… Au surplus, je n'apprendrai à personne ici que la nourrice, en refusant à miss O'Neil la qualité de chrétienne, parlait en ignorante femme du peuple. Miss O'Neil n'est pas catholique, voilà tout, et c'est parbleu bien suffisant; mais, à part la déplorable erreur de sa croyance, elle n'en reste pas moins une femme digne d'intérêt, digne d'égards,… et véritablement je me trouve, vis-à-vis d'elle, dans un embarras effroyable… Que faire?
— Il me semblerait difficile, monsieur le marquis, hasarda timidement le curé, de laisser une institutrice protestante auprès de mademoiselle Sibylle, surtout au moment où l'enfant se prépare à sa première communion.
— Oh! Seigneur! s'écria madame de Beaumesnil avec un élan d'indignation qui se tourna aussitôt en hilarité réservée.
— Cela n'est pas possible, reprit le marquis, je n'y songe pas un instant, madame, veuillez le croire; mais j'ai l'âme navrée, je vous le confesse: outre que je ne renonce point sans amertume à faire profiter ma petite-fille des talents, et je dirai même, quoi qu'il en puisse être, des vertus de cette personne, je frémis du coup que je vais porter à un coeur aussi sensible, aussi délicat que m'a paru l'être celui de miss O'Neil. Moi-même j'aurai contribué, par l'imprudence de mon langage, — mais mon propre coeur m'entraînait, — à lui rendre ce mécompte plus poignant. Oui, je donnerais un de mes bras tout à l'heure pour lui épargner et pour m'épargner à moi-même l'explication et la séparation qui semblent désormais nécessaires.
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