Название | L'amour au pays bleu |
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Автор произведения | Hector France |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066075613 |
Le cheik réfléchit un instant, puis répondit:
—Kradidja, bien-aimée, toi qui fus la fraîcheur de ma vue et qui es maintenant le repos de ma tête, ne sais-tu pas que tous les jeunes gens sont ainsi? C'est aux mères à garder leurs filles et non aux pères à garder leurs fils. Mais puisque tu tiens à ce que ton fils s'éloigne, ce ne peut être que pour son bien. Donc, plus tard, nous en reparlerons, quand la moisson sera faite. Viens donc, la nouvelle amie ne peut faire oublier l'ancienne.
—Hélas! pensa Kradidja, c'est pour éviter qu'il ne moissonne dans ton champ que je voudrais voir l'enfant partir. Maintenant, fais ce que tu veux.
Mais elle n'osait donner des paroles à ses pensées, de peur d'attirer sur la tête chérie du fils la malédiction du père.
VIII
es vieux maris sont soupçonneux et la jalousie cruelle les talonne sans relâche. C'est un dijn malfaisant et moqueur qui se plaît à harceler le coupable; car il est coupable celui qui glace de ses froids hivers les doux bourgeons du printemps.
Déjà le cheik marchait à grands pas vers la quarantaine, que celle qu'il devait prendre pour femme sortait à peine du ventre de sa mère; aussi il la surveillait et la gardait comme l'avare qui ayant empilé ses douros dans un fondouk, se couche dessus nuit et jour, et crève en disant: «Nul ne me volera.»
Alors quelqu'héritier jette en bas la carcasse, force le coffre et dissipe le magot.
Il ne pouvait la garder dans un sac, ni la tenir cousue à son burnous, mais il avait l'œil constamment ouvert. Elle n'allait pas à la fontaine avec les autres femmes, ni dans la plaine arracher les tiges desséchées des herbes dures, ni casser les branches mortes des genêts qui servent à alimenter les feux; mais, au lever de l'aurore, elle tournait le moulin de pierre qui broie le blé du jour. Elle avait soin de relever un pan de la tente pour que son époux pût la voir, et celui-ci, étendu sur les toisons épaisses du lit conjugal, suivait dans un demi-sommeil les mouvements gracieux et lents de la jeune femme, dont la blanche silhouette se dessinait toute radieuse dans les molles clartés du matin. Rassuré par cette douce vue, endormi par le monotone grincement de la meule, il se berçait dans sa quiétude de trop heureux époux.
Puis le douar s'éveillait, le jour était venu, et la belle Meryem vaquait aux soins de la tente; c'était sa besogne allouée, celle que les femmes laissent d'ordinaire, d'un commun accord, à la nouvelle venue, afin que l'époux puisse pleinement en jouir. Peut-être pensent-elles aussi que par l'incessant contact il en sera plus vite lassé.
Il restait assis près de là, immobile et silencieux, le regard dans le vide, laissant couler les heures, jouissant de la vie.
IX
l était rare que Mansour trouvât un instant où il pût être seul avec elle; cependant il en trouvait. Pour lui, le père n'avait aucune méfiance; et un jour même, forcé de s'absenter quand les autres femmes étaient dehors, il l'appela et dit:
—Reste près de Meryem.
Mansour s'assit en silence, ému et troublé; il n'osa parler ni lever les yeux, de crainte que la jeune femme ne reconnût son trouble et ne lût ses convoitises; aussi, au retour du cheik, Meryem s'écria:
—Ton fils est timide comme une fiancée.
Mais Kradidja lui ayant rapporté en plaisantant ces paroles, il s'enhardit, et un soir, comme il ramenait les troupeaux et que Meryem fit quelques pas à sa rencontre pour s'emparer d'une chèvre rétive, il lui jeta une fleur dans le sein.
Elle la retira en riant et l'attacha dans ses cheveux.
Le lendemain, il lui dit:
—Je voudrais une femme comme toi, Meryem, où la trouverai-je?
—Va, répondit-elle, va chez les Beni-Mzab, où ton père est allé, et tu en trouveras.
—Ont-elles tes grands cheveux soyeux et tes yeux qui étincellent? Ont-elles ta jolie bouche et ta voix qui fait sauter le cœur?
—Elles ont tout cela et encore autre chose.
—O Meryem, il sort de tous tes gestes des parfums qui brûlent.
—Tais-toi, petit garçon, ton père va venir.
Elle l'appelait petit garçon, bien qu'il eût deux ans de plus qu'elle; mais elle voulait arrêter ses paroles indiscrètes, et nos sœurs cadettes sont déjà femmes que nous sommes encore des enfants.
Il rougit et se tut, mais le soir il dit au cheik:
—Père, c'est après-demain le grand marché des Beni-Mzab; je serais désireux d'y aller.
—Va, mais que ton absence soit courte.
Il resta absent plus d'une semaine et dit à son retour avoir été retenu par le père de Meryem.
Celle-ci sourit, et lorsqu'ils furent seuls, elle lui demanda:
—A quand la noce, fils d'Ahmet?
—Pour moi, répondit-il, il n'y aura jamais de noce.
—Quoi! n'as-tu pas trouvé là-bas de jolies filles? Es-tu donc si difficile, que celles de ma tribu ne te plaisent pas? J'en connais cependant de plus vives et de plus gracieuses que la gazelle, avec des yeux aussi grands et aussi doux que ceux de la vache blanche qui nous donne tant de lait.
—Peut-être, dit-il; je ne les ai pas regardées. Oui, j'en ai vu qui devant moi se plaisaient à entr'ouvrir leur voile, mais ma pensée n'accompagnait pas mes yeux. Je me suis assis sous la tente de ton père; j'ai parcouru la plaine où tu es née; je me suis couché sous les lauriers de la rivière où tu allais jouer quand tu étais petite; j'ai suivi les ondulations des collines de l'horizon où tes yeux s'arrêtaient le matin à ton réveil: j'ai regardé longtemps tout cela et je suis revenu.
Elle feignit de ne pas comprendre et haussa les épaules:
—Mansour-ben-Ahmed est fou, dit-elle.
Elle comprenait trop bien quelle était cette folie et se tenait sur ses gardes. Cependant les propos d'Ahmet lui plaisaient. De quelque part qu'elle vienne, la flatterie est douce à l'oreille des femmes.
Peut-être aussi se disait-elle que dans les bras de cet adolescent elle se fût trouvée plus doucement bercée que dans ceux de