L'amour au pays bleu. Hector France

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Название L'amour au pays bleu
Автор произведения Hector France
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066075613



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       Table des matières

M

      ais quand Kradidja parla d'éloigner Mansour, le cheik répondit qu'il ne consentirait pas, à l'heure présente, de se séparer de l'aîné de ses fils. Il en avait besoin pour surveiller ses troupeaux et surtout pour la moisson prochaine. La femme n'osa pas insister et Mansour resta sous la tente.

      En apprenant la décision du cheik, il ne put éteindre l'éclair qui alluma son regard.

      —O pervers, lui dit sa mère, à quoi penses-tu?

      —Je pense que dans toutes les tribus du Souf, il n'en est pas de plus folle que toi. Que vas-tu imaginer? Et en supposant que ce que tu imagines soit réel, est-ce que jamais Meryem consentirait?

      —La femme est comme le jonc qui croît au bord des sources, répondit Kradidja; elle se plie aux caprices de celui qui la tient.

      —Je ne la tiens pas, puisqu'elle est à mon père.

      —La femme n'a qu'un cœur, et son cœur n'est qu'à celui qui sait le prendre.... Paix! enfant, et veille sur toi.

      Mais ces paroles, loin de l'effrayer, semblaient un encouragement. Il en est ainsi qui, par leur criminelle complaisance, poussent leurs fils à toutes les folies.

      Quoi qu'il en fut, lorsqu'un matin le cheik s'éloignait de la tente, il s'y glissait sans bruit et, caché derrière les hamals de grains qui contiennent la provision de l'année pour les gens et les bêtes, immobile et silencieux, il feignait de dormir. Mais il regardait Meryem à travers les interstices et les ouvertures, et parfois même, s'enhardissant, il soulevait du doigt le bas du tag bariolé qui divise en deux les maisons de poil et assistait, invisible, à la toilette de la nouvelle épousée.

      Elle avait la peau brune aux reflets dorés et de grands cheveux noirs ondoyant jusqu'au bas des reins. Il y plongeait ses regards et noyait ses pensées en une mer de désirs, tandis que les capiteuses odeurs, particulières aux brunes, mélangées aux parfums de la rose et du musc troublaient son cerveau. Il comprenait alors qu'il n'aurait plus la force de rien respecter et se levait sans bruit, courant rejoindre ses troupeaux dans la plaine, croyant respirer encore, bien qu'il fut loin, les senteurs enivrantes et laissant son âme attachée où s'étaient attachés ses yeux.

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       Table des matières

I

      l n'allait plus attendre les femmes, quand elles vont chercher les branches sèches des genêts et du chichh ou la provision d'eau dans les peaux de bouc noires; on ne le voyait plus, comme autrefois, diriger son troupeau du côté de la rivière à l'heure où, demi-nues, elles font la grande ablution.

      Alors les jeunes filles rougissaient et chuchotaient entre elles, lorsqu'elles apercevaient tout à coup près d'une touffe de lauriers roses les yeux ardents du fils du cheik.

      Quelques-unes, feignant de ne pas le voir, continuaient l'aspersion des flancs, tandis que les plus modestes se relevaient vivement en baissant leur gandourah, effrayées et honteuses. Mais les vieilles, entraient dans de grandes colères et criaient:

      —Que regardes-tu, enfant du mal?

      —Pas vous, ripostait-il. Vous pouvez vous laver sans crainte.

      —Va, va; tu te laverais pendant l'éternité que tu ne parviendrais pas à effacer tes abominations.

      —Ni vous, vos laideurs. Cachez-les, elles salissent ma vue.

      —Tu deviendras vieux à ton tour; les jeunes ne voudront plus de toi et cracheront sur ta barbe.

      —Est-ce parce qu'ils ne veulent plus de vous que vous crachez sur les jeunes?

      Elles bavaient de rage et lançaient leur salive dans sa direction en signe de mépris, et lui s'en allait en les narguant, poursuivi par leurs furieuses menaces:

      —Oh! le fils de chien! oh! le juif maudit! tes femmes te feront cocu cent fois et mettront des montagnes d'ignominie sur ta tête. Tu fais honte aux croyants! Tu ne passeras jamais le Sirak! Tu rouleras d'abîmes en abîmes! Juif! cocu! proxénète! chien!

      D'autres fois, caché dans les buissons de genévriers, il guettait les jeunes filles au passage et lorsqu'elles étaient près de lui, qu'il voyait leur légère tunique onduler sous le souffle du soir, il les appelait tout bas par leur nom:

      —Fathma, je t'aime!

      —Embarka, je meurs d'amour!

      —Yamina, tout pour toi.

      —Mabrouka, ma vie pour ton regard.

      Et ainsi à toutes, car il les aimait toutes, selon l'habitude des adolescents qui se sentent pousser le duvet au menton.

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       Table des matières

M

      aintenant les filles des Ouled-Ascars ne le rencontraient plus. Elles, ne sentaient plus ses regards s'attacher à elles, les déshabiller et les suivre; elles n'entendaient plus les propos dont elles aimaient à rire, ni la grande colère des vieilles qui les mettaient en joie.

      Et on dit à Kradidja:

      —Ou le génie des bons conseils a soufflé à l'oreille de ton fils, ou bien l'amour l'a pris.

      Elle connaissait bien la passion qui l'étreignait, mais n'eût osé le dire. Pour le plaisir de ce fils, elle aurait tout sacrifié: les filles de la tribu, l'honneur des familles, Meryem, sa co-épouse, et son époux Ahmet.

      Elle fit cependant une nouvelle tentative.

      —O cheik, lui dit-elle, une nuit qu'il vint la trouver dans sa couche,—car la bienséance exige que l'homme donne également à chacune de ses femmes la part qui lui est due, et il est écrit: «Celui qui a deux femmes et qui se penche vers l'une plutôt que vers l'autre, paraîtra au Jugement avec des fesses inégales.»—O mon cher époux, je ne demande rien de mes droits, tu es mon seigneur et mon maître, conserve ta vigueur pour Meryem, car je sais ce que le Prophète a dit:

      «Tu peux donner de l'espoir à celle que tu voudras, et recevoir dans ta couche celle que tu voudras, et celle que tu désires de nouveau après l'avoir négligée. Qu'elles ne soient jamais affligées, que toutes soient satisfaites de ce que tu leur accordes.»

      Je