Название | Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre |
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Автор произведения | Edmond Lepelletier |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066086954 |
Je désirerais, disait-il, trouver quelque sentier inexploré, sortir de la foule des écrivassiers de notre temps. Le poème épique, j'entends un poème épique à moi, et non une sotte imitation des anciens, me paraît une voie assez peu commune. Il est une chose évidente, chaque société a sa poésie particulière. Or, comme notre société n'est pas celle de 1830, comme notre société n'a pas sa poésie, l'homme qui la trouverait serait justement célèbre… Le tout est de trouver la forme nouvelle… il y a là quelque chose de sublime à trouver. Quoi, je l'ignore encore. Je sens confusément qu'une grande figure s'agite dans l'ombre, mais je ne puis saisir ses traits. N'importe, je ne désespère pas de voir la lumière, un jour; c'est alors que cette forme d'un nouveau poème épique, que j'entrevois vaguement, pourra me servir…
Le Paradou, dans la Faute de l'abbé Mouret, était, dès cette époque, en germination dans la pensée du poète épique, qui devait se rapprocher de Milton, en s'éloignant de Balzac.
Ses conceptions, alors, aboutissaient toutes à la forme poétique. Parmi ses lectures, il faut mentionner les œuvres froides et imprécises d'un poète, qui ne fut jamais glorieux, et qui est descendu aujourd'hui dans de profondes oubliettes littéraires: Victor de Laprade. Ni romantique, ni classique, déiste et même panthéiste à ses heures, Victor de Laprade avait voulu, lui aussi, célébrer la nature, la création, les arbres, les sommets. Il faisait pressentir quelques-uns des parnassiens, mais sans l'éclat de la langue et la vigueur du coloris. C'était un peintre en grisailles. Barbey d'Aurevilly le comparait, pour l'ennui qu'il dégageait, à Autran, également poète moral, mais moins préoccupé de hanter les cimes: «Avec M. de Laprade, disait-il, l'ennui tombe de plus haut.» Zola prisait cet olympien, surtout pour ses tendances vers de vastes généralisations, pour sa recherche des hautes conceptions. «Il est peu d'auteurs qui m'aient troublé autant que M. Victor de Laprade», disait-il. Il ne conserva pas longtemps ce trouble, et, tout en estimant que l'école romantique, avec ses sanglots, ses rugissements, ses passions désordonnées, ses outrances, était morte, et qu'il fallait absolument réagir contre elle, il reprit son calme habituel; «tenté un moment d'accepter la poésie de Victor de Laprade, dit-il, je l'ai ensuite repoussée.»
Ce qu'il faut retenir de l'influence éphémère de l'auteur des Poèmes évangéliques, successeur d'Alfred de Musset à l'Académie Française, sur le poète raté de Paolo, c'est l'éloignement, plus apparent que réel, de Zola pour cette école romantique qu'il déclarait défunte. Il devait, pourtant, bientôt la ressusciter, tout en l'accablant d'épithètes sévères et de dédaigneuses négations. Il n'a jamais laissé passer une occasion de dénoncer la rhétorique des romantiques, de railler leurs conceptions extraordinaires et leur grandiloquente fantaisie, tout en procédant absolument comme eux, en usant même de leur dictionnaire. Sans doute, il ne reproduirait pas leurs invraisemblables fictions, il ne consentirait pas à revêtir ses personnages, pris dans le peuple et parmi les classes moyennes, de l'armure rouillée et de la livrée effiloquée des Hernani, des Esméralda, et des Ruy Blas, mais il donnerait, aux créations de sa pensée, les mêmes passions outrancières; il leur prêterait, dans un décor différent, des truculences et des exagérations à peu près identiques, en s'appuyant, il est vrai, sur des documents soigneusement collectionnés, en dépouillant des dossiers, en consultant des notes et des procès-verbaux. Il resterait d'ailleurs ainsi dans la réalité: la Gazette des Tribunaux n'est-elle pas le dernier recueil romantique?
Son indignation contre le romantisme, après une lecture de Laprade, est curieuse à noter:
Il faut réagir contre ces êtres passionnés, qui sont ridicules quand ils ne sont pas sublimes. Oui, il faut laisser là les Muses de l'égout, les effets violents, les couleurs criardes, les héros dont la singularité physiologique fait toute l'originalité…
On semblerait entendre, vingt ans plus tard, un critique, et non des moindres, Paul de Saint-Victor, romantique attardé, s'indignant contre «la Muse de l'égout» qui, pour lui, était celle de Zola:
Cette semaine, par corvée de métier, j'ai ouvert, pour la première fois, le soupirail qui mène à l'Assommoir. Voici le trou, voici l'échelle, descendez! Je suis descendu. J'ai parcouru, à travers un ennui noir et une répugnance écœurante, cet égout collecteur des mœurs et de la langue, enjambant à chaque pas des ruisseaux fangeux, des tas de linges sales humés avec ivresse par leurs ignobles brasseurs…
Zola, à l'époque où il fulminait son anathème, aussi excessif, aussi déraisonnable que celui de Paul de Saint-Victor, pourtant fin critique littéraire et écrivain très coloriste, subissait la pleine influence d'Alfred de Musset. Celui-là, c'était son dieu, son maître, son idéal et son modèle! Il devait, plus tard, renier sensiblement l'idole de la vingtième année. Alfred de Musset, dont la véritable gloire provient du théâtre et non de la poésie lyrique, est surtout le poète favori de ceux qui ne sentent ni ne comprennent poétiquement. Tous les hommes de prose raffolent d'Alfred de Musset. On peut expliquer cette prédilection par la forme facile, par la versification lâchée et souvent prosaïque de ses poèmes. Ils n'ont pas d'aspérités ni de difficultés. Ils sont limpides, coulants, pour employer l'expression favorite des professeurs de littérature, ces vers qui semblent «écrits comme on parle», le plus bel éloge dans une bouche incompétente. N'étaient ses tableaux trop crus et ses sujets souvent trop hardis, Musset serait devenu le poète des institutions de jeunes demoiselles. L'Espoir en Dieu, les Stances à Malibran, et quelques autres pièces décentes figurent dans les anthologies ad usum puellarum. Il prêche aussi une philosophie facile, à la portée de chacun, et qui séduit les âmes simples. Les sanglots passionnés, les beuglements désespérés, qu'il pousse avec l'élan d'un chanteur de romances, dans la sensible oreille du vulgaire, retentissent, comme la plus sublime expression de l'amour déçu, de la jalousie inquiète, de la débauche et de l'ivresse aussi. Chaque petit jeune homme retrouve un peu de ses clameurs, ou de ses hoquets, dans ces vers tumultueux. Le jeune Zola admirait tout dans Musset. Il disait: «Quelle grande et belle figure que ce Rolla!» Éloge excessif pour un fêtard décavé, qui se tue sur le lit d'une pauvre fille, dont il a payé, avec ostentation, la triste nuit. Il loue même son poète à raison de sa versification incorrecte et du décousu de sa forme. Il lui emprunte son apostrophe à la cheville: «J'ai une sainte horreur de la cheville. C'est, à mon avis, la lèpre qui ronge le vers.» Il confondait volontiers la cheville avec l'épithète, qui est la parure du vers. Sans épithètes, la phrase rimée, le vers, n'ont ni force ni coloris. La cheville n'est que la mauvaise épithète, en toc, la monture mal sertie par un joaillier insuffisamment approvisionné, et peu habile.
L'influence mussettiste, très vivace durant la période juvénile de Zola, chez lui ne persista pas. Elle apparaît dans les poèmes de Paolo, de l'Aérienne, de Rodolpho, elle demeure invisible, complètement éteinte dans l'œuvre virile, dans l'œuvre véritable.
Michelet, Hégésippe Moreau, Rabelais, Dante, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, et quelques autres auteurs modernes, figurent encore parmi les confidents et les consolateurs du jeune ermite du belvédère de la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, mais ne semblent pas avoir sérieusement agi sur sa pensée, sur ses projets littéraires. Il devait, plus tard, lire Taine et quelques livres de physiologie et de science mentale, comme l'Hérédité du docteur Lucas, ou de sociologie anecdotique, comme le Sublime de Denis Poulot. Ces ouvrages contribuèrent à la seconde éducation de Zola. Ils agirent sur sa pensée émancipée, et sur son œuvre d'homme fait. Le rimeur obstiné, mais pas doué, qu'était l'auteur de Rodolpho, parvenu à la maturité de l'intelligence, en possession de toute sa volonté, énergiquement renonça à la poésie. Il fit, avec un héroïsme dégoûté, le sacrifice de ses rimes. Jetant ses premiers vers au fond d'un tiroir, sans préoccupation d'éditeur, accrochant la lyre dans l'armoire aux souvenirs, avec une résignation virile,