Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Название Jane Austen: Oeuvres Majeures
Автор произведения Джейн Остин
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 9788027302383



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pardonner l’affection qu’elle avait inspirée à Edward, même en considérant que celui-ci n’avait alors que dix-huit ans ; elle ne voulait pas même admettre que ce goût fut naturel chez un homme, vivant seul à la campagne avec cette jeune personne. Il semblait à l’entendre qu’Edward aurait dû garder son cœur libre de tout sentiment jusqu’au moment où il devait voir Elinor.

      Maria avait bien écouté sa sœur tant qu’elle avait ignoré qu’Edward était engagé avec Lucy Stéeles ; elle ne savait point les détails et n’était pas en état de les entendre. Pendant long-temps tout ce que put faire Elinor, fut de l’adoucir, de calmer son ressentiment. Enfin Maria lui demanda depuis combien de temps elle savait cet odieux événement, et si c’était Edward qui le lui avait écrit.

      — Je le sais depuis quatre mois, dit Elinor, et non par lui. Quand Lucy vint à Barton ce dernier novembre, elle me le confia sous le sceau du secret.

      À ces paroles les yeux de Maria exprimèrent le plus grand étonnement ; à peine ses lèvres purent se mouvoir ; enfin elle s’écria : Dieu ! vous le savez depuis quatre mois, et par celle qui l’emportait sur vous. Elinor le confirma. Ah ! chère Elinor, dit elle en fondant en larmes et se jetant au cou de sa sœur ; quoi, pendant que vous m’avez soignée avec tant de tendresse, de calme, de raison, un chagrin si semblable au mien pesait sur votre cœur ! Ah Dieu ! et je vous reprochais d’être heureuse. (Elle cacha son visage sur l’épaule de sa sœur ; et ses larmes redoublèrent.)

      — Chère Maria, ne vous reprochez rien, vous ne pouviez savoir quels étaient mes tourmens, dit Elinor.

      — Quatre mois ! s’écria encore Maria, si calme, si souvent gaie. Oh ! Elinor ! qu’est-ce qui vous a soutenue ?

      — Le sentiment que je faisais mon devoir. Ma promesse à Lucy m’obligeait au secret ; je lui devais donc à elle de ne rien dire ni de ne rien faire qui pût trahir la vérité. Je devais à ma famille, à mes amis de ne pas exciter leur sollicitude sur moi, en leur laissant remarquer que j’avais un chagrin caché, que je ne pouvais leur confier ; enfin je me devais à moi-même de ne pas paraître trop humiliée et trop malheureuse aux yeux de ma rivale, et à Edward de ne pas augmenter la peine qu’il aura peut-être à tenir ses promesses.

      Maria parut très-frappée. J’ai souvent désiré, continua Elinor, de détromper vous et ma mère sur vos espérances. Une fois ou deux je l’ai même tenté ; mais sans trahir ma foi, sans pouvoir vous donner une preuve positive, vous ne l’auriez pas voulu croire.

      — Quatre mois si tranquille en apparence ! et cependant vous l’aimiez, dit Maria avec le regard et le ton du doute ?

      — Oui je l’aime, répondit Elinor avec candeur et sentiment ; mais je ne l’aime pas uniquement, et j’étais bien aise d’épargner à ceux oui me sont chers aussi ; le chagrin de me voir malheureuse. Je travaillais en silence, pendant que cet événement était un secret pour tout le monde, excepté pour moi seule, à le supporter avec courage quand il éclaterait. Ce moment est arrivé, et je vous assure que je puis en parler à présent sans trop d’émotion. Je vous conjure donc, chère Maria, de ne pas souffrir pour moi plus que je ne souffre moi-même. Ne comparez pas votre malheur au mien ; ils n’ont pas plus de rapports que nos caractères. Je perds plus que vous peut-être en perdant Edward, mais j’ai plusieurs motifs de consolation que vous n’aviez pas. Je puis encore estimer Edward, et je le justifie de tout tort essentiel ; je désire son bonheur et je l’espère, quoiqu’il n’ait pas peut-être, la compagne qui lui aurait convenu, parce qu’il sera soutenu comme moi par le sentiment d’avoir fait ce que sa conscience lui dictait. S’il éprouve d’abord quelques regrets, je le connais assez pour être sûre qu’il en aurait davantage encore, s’il était parjure, et qu’ils se calmeront peu-à-peu. Lucy ne manque ni d’esprit ni de bon sens ; ses défauts tiennent à son manque total d’éducation. Elle aime Edward, je l’espère du moins ; pourrait-elle ne pas l’aimer ? Elle se modèlera sur lui ; elle acquerra les vertus qui lui manquent, et qu’il possède à un si haut degré. Il l’a aimée une fois, il l’aimera plus encore lorsqu’elle le méritera, et que les qualités, les vertus de sa femme seront son ouvrage ; il oubliera j’espère qu’une autre lui avait paru supérieure.

      — Il n’a point aimé Lucy, dit vivement Maria ; il ne l’aimera jamais… ou il n’a jamais aimé Elinor. Bien certainement un cœur, tel que celui que vous supposez à Edward, ne peut s’attacher deux fois, et à deux objets aussi différens.

      — Vous en revenez toujours à votre système de constance éternelle, ma chère Maria. Il prouve non seulement votre sensibilité, mais aussi, permettez-moi de vous le dire, l’exaltation un peu trop romanesque de votre esprit qui vous entraîne au-delà de la réalité. Quoi ! parce qu’on a eu le malheur d’être trompé dans un premier attachement, on aurait encore celui de ne pouvoir plus s’attacher à personne ? et parce qu’un cœur sincère et sensible a été déchiré, rien ne guérira sa blessure, et il doit rester isolé pendant toute l’existence ? Non, non cela ne peut être, non je ne puis le croire, et…

      — Ainsi, interrompit vivement Maria, c’est la sage, la prudente Elinor, qui pense que l’on peut ainsi passer sa vie, d’attachement en attachement ; car si vous supposez la possibilité d’aimer deux fois, il n’y a plus de bornes ; pourquoi pas trois, dix, vingt, trente ! comment soutenir cette idée ?

      — Non pas, chère Maria, dit Elinor en souriant, mais je crois que celui ou celle qui a été trompé une fois ne le sera pas deux. Un second attachement n’aura peut-être pas la vivacité du premier, mais il n’en aura ni la promptitude ni l’illusion ; et l’on cherchera à bien connaître la personne avant de s’y attacher ; on n’aimera que ce qu’on estime, et alors on l’aimera toujours.

      — Cependant dit Maria, vous avez bien cru connaître Edward ?

      — Et je le crois encore ; Edward ne m’a point trompée, et s’il était libre, j’ose assurer que je n’aurais jamais aimé que lui ; mais il ne l’est plus, et je dois effacer de mon cœur tout autre sentiment que l’estime ; s’il épouse Lucy, et s’il ne l’épouse pas je dois renoncer même à l’estime… Mais je ne veux seulement pas le supposer.

      — Je crois, dit Maria, que vous n’aurez pas grand peine à triompher de tous vos sentimens, si la perte de celui que vous aimiez vous touche aussi peu. Votre courage, votre empire sur vous-même sont peut-être moins étonnans… et votre malheur est alors en effet très-supportable.

      — Je vous entends Maria, vous supposez que je ne suis pas susceptible d’un attachement vif, et que par conséquent je ne suis pas très-malheureuse. Vous vous trompez ; j’ai tendrement aimé Edward, et j’ai cru l’être de lui ; j’ai long-temps nourri l’espoir enchanteur d’être sa compagne, et la certitude que nous serions heureux ensemble. Le coup qui m’a frappée était complètement inattendu, et m’a laissée sans espérance et sans consolation. Pendant quatre mois j’ai porté seule tout le poids de ma douleur, sans avoir la liberté de la soulager en la confiant à une amie, ayant non seulement mon propre chagrin à supporter, mais aussi le sentiment du vôtre et de celui de ma mère quand vous viendriez à l’apprendre, et n’osant pas même vous y préparer. J’avais su mon malheur par la personne même dont les droits plus anciens que les miens et plus sacrés, puisqu’ils reposaient sur une promesse solennelle, m’ôtaient toute espérance, et j’avais cru voir dans cette confidence un triomphe et des soupçons jaloux qui m’obligeaient à montrer une complète indifférence pour celui qui m’intéressait si vivement. J’étais obligée d’entendre sans cesse le détail de leur amour, de leurs projets, et dans ces cruels détails pas un mot, pas une circonstance qui pût me consoler de perdre Edward pour jamais en me le montrant moins digne de mon affection. Au contraire tous les éloges de Lucy, tout ce qu’elle me disait de lui justifiait mon opinion en augmentant mes regrets. Vous avez vu comme j’ai été traitée ici par sa mère et par sa sœur. J’ai souffert la punition d’un amour auquel je devais renoncer, et tout cela dans un moment où j’avais encore à supporter le malheur d’une sœur chérie. Ah Maria ! si vous ne me jugez pas tout-à-fait insensible, vous devez penser que j’ai bien