Название | La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
LA COUPE
«Il y a trois choses que Dieu ne peut point ne pas accomplir: ce qu'il y a de plus avantageux, ce qu'il y a de plus nécessaire, ce qu'il y a de plus beau pour chaque chose.»
LIVRE PREMIER
L'enfant du prince a voulu se promener bien haut sur la montagne, et son gouverneur l'a suivi. L'enfant a voulu voir de près les belles neiges et les grandes glaces qui ne fondent jamais, et son gouverneur n'a pas osé l'en empêcher. L'enfant a joué avec son chien au bord d'une fente du glacier. Il a glissé, il a crié, il a disparu, et son gouverneur n'a pas osé se jeter après lui; mais le chien s'est élancé dans l'abîme pour sauver l'enfant, et le chien aussi a disparu.
Pendant des minutes qui ont paru longues comme des heures, on a entendu le chien japper et l'enfant crier. Le bruit descendait toujours et allait s'étouffant dans la profondeur inconnue, et puis on a vainement écouté: la profondeur était muette. Alors les valets du prince et les pâtres de la montagne ont essayé de descendre avec des cordes; mais ils n'ont vu que la fente verdâtre qui plongeait toujours plus bas et devenait toujours plus rapide.
Ils y ont en vain risqué leur vie, et ils ont été dire au prince ce qu'ils avaient fait. Le prince les a fait pendre pour avoir laissé périr son fils. On a tranché la tête à plus de vingt nobles qui pouvaient avoir des prétentions à la couronne et qui avaient bien certainement signé un pacte avec les esprits de la montagne pour faire mourir l'héritier ducal. Quant à maître Bonus, le gouverneur, on a écrit sur tous les murs qu'il serait brûlé à petit feu, ce que voyant, il a tant couru qu'on n'a pu le prendre.
L'enfant a eu bien peur et bien froid dans les profondeurs du glacier. Le chien n'a pu l'empêcher de glisser au plus bas; mais, le retenant toujours par sa ceinture, il l'a empêché de glisser trop vite et de se briser contre les glaces. Entraîné par le poids de l'enfant, il a tant résisté qu'il a les pattes en sang et les ongles presque arrachés. Cependant il n'a pas lâché prise, et quand ils ont enfin trouvé un creux où ils ont pu s'arrêter, le chien s'est couché sur l'enfant pour le réchauffer.
Et tous deux étaient si las qu'ils ont dormi. Quand ils se sont réveillés, ils ont vu devant eux une femme si mince et si belle qu'ils n'ont su ce que c'était. Elle avait une robe aussi blanche que la neige et de longs cheveux en or fin qui brillaient comme des flammes répandues sur elle. Elle a souri à l'enfant, mais sans lui parler, et, le prenant par la main, elle l'a fait sortir du glacier et l'a emmené dans une grande vallée sauvage où le chien tout boiteux les a suivis.
Cachée dans un pli profond des montagnes, cette vallée est inconnue aux hommes. Elle est défendue par les hautes murailles de granit et par les glaciers impénétrables. Elle est horrible et riante, comme il convient aux êtres qui l'habitent. Sur ses flancs, les aigles, les ours et les chamois ont caché leurs refuges. Dans le plus profond, la chaleur règne, les plus belles plantes fleurissent; les fées y ont établi leur séjour, et c'est à ses sœurs que la jeune Zilla conduit l'enfant qu'elle a trouvé dans les flancs glauques du glacier.
Quand l'enfant a vu les ours passer près de lui, il a eu peur, et le chien a tremblé et grondé; mais la fée a souri, et les bêtes sauvages se sont détournées de son chemin. Quand l'enfant a vu les fées, il a eu envie de rire et de parler; mais elles l'ont regardé avec des yeux si brillants qu'il s'est mis à pleurer. Alors Zilla, le prenant sur ses genoux, l'a embrassé au front, et les fées ont été en colère, et la plus vieille lui a dit en la menaçant:
«Ce que tu fais là est une honte: jamais fée qui se respecte n'a caressé un enfant. Les baisers d'une fée appartiennent aux colombes, aux jeunes faons, aux fleurs, aux êtres gracieux et inoffensifs; mais l'animal impur et malfaisant que tu nous amènes souille tes lèvres. Nous n'en voulons point ici, et, quant au chien, nous ne le souffrirons pas davantage. C'est l'ami de l'homme, il a ses instincts de destruction et ses habitudes de rapine; reconduis ces créatures où tu les as prises.
Zilla a répondu à la vieille Trollia: «Vous êtes aussi fière et aussi méchante que si vous étiez née de la vipère ou du vautour. Ne vous souvient-il plus d'avoir été femme avant d'être fée, et vous est-il permis de haïr et de mépriser la race dont vous sortez? Quand, sur les derniers autels de nos antiques divinités, vous avez bu le breuvage magique qui nous fit immortelles, n'avez-vous pas juré de protéger la famille des hommes et de veiller sur leur postérité?»
Alors la vieille Trollia: «Oui, j'ai juré, comme vous, de faire servir la science de nos pères au bonheur de leurs descendants; mais les hommes nous ont déliées de notre serment. Comment nous ont-ils traitées? Ils ont servi de nouveaux dieux et nous ont appelées sorcières et démons. Ils nous ont chassées de nos sanctuaires, et, détruisant nos demeures sacrées, brûlant nos antiques forêts, reniant nos lois et raillant nos mystères, ils ont brisé les liens qui nous unissaient à leur race maudite.
»Pour moi, si j'ai jamais regretté de m'être, par le breuvage magique, soustraite à l'empire de la mort, c'est en songeant que j'avais perdu le pouvoir de la donner aux hommes. Autrefois, grâce à la science, nous pouvions jouer avec elle, la hâter ou la reculer. Désormais elle nous échappe et se rit de nous. L'implacable vie qui nous possède nous condamne à respecter la vie. C'est un grand bien pour nous de n'être plus forcées de tuer pour vivre; mais c'est un grand mal aussi d'être forcé de laisser vivre ce que l'on voudrait voir mort.»
En disant ces cruelles choses, la vieille magicienne a levé le bras comme pour frapper l'enfant; mais son bras est retombé sans force; le chien s'est jeté sur elle et a déchiré sa robe, souillée de taches noires qu'on dit être les restes du sang humain versé jadis dans les sacrifices. L'enfant; qui n'a pas compris ses paroles, mais qui a vu son geste horrible, a caché son visage dans le sein de la douce Zilla, et toutes les jeunes fées, ont ri follement de la rage de la sorcière et de l'audace du chien.
Les vieilles ont tancé et injurié les jeunes, et tant de paroles ont été dites que les ours en ont grogné d'ennui dans leurs tanières. Et tant de cris, de menaces, de rires, de moqueries et d'imprécations ont monté dans les airs, que les plus hautes cimes ont secoué leurs aigrettes de neige sur les arbres de la vallée. Alors la reine est arrivée, et tout est rentré dans le silence, car la reine des fées peut, dit-on, retirer le don de la parole à qui en abuse, et perdre la parole est ce que les fées redoutent le plus.
La reine est jeune comme au jour où elle a bu la coupe, car, en se procurant l'immortalité, les fées n'ont pu ni se vieillir ni se rajeunir, et toutes sont restées ce qu'elles étaient à ce moment suprême. Ainsi les jeunes sont toujours impétueuses ou riantes, les mûres toujours sérieuses ou mélancoliques, les vieilles toujours décrépites ou chagrines. La reine est grande et fraîche, c'est la plus forte, la plus belle, la plus douce et la plus sage des fées; c'est aussi la plus savante, c'est elle qui jadis a découvert le grand secret de la coupe d'immortalité.
«Trollia, dit-elle, ta colère n'est qu'un bruit inutile. Les hommes valent ce qu'ils valent et sont ce qu'ils sont. Haïr est contraire à toute sagesse. Mais toi, Zilla, tu as été folle d'amener ici cet enfant. Avec quoi le feras-tu vivre? Ne sais-tu pas qu'il faut qu'il respire et qu'il mange à la manière des hommes? Lui permettras-tu de tuer les animaux ou de leur disputer l'œuf, le lait et le miel, ou seulement les plantes qui sont leur nourriture? Ne vois-tu pas qu'avec lui tu fais entrer la mort dans notre sanctuaire?
– Reine, répond la jeune fée, la mort ne règne-t-elle donc pas ici comme ailleurs? Avons-nous pu la bannir de devant nos yeux? et de ce que les fées ne la donnent pas, de ce que l'arome des fleurs suffit à leur nourriture, de ce que leur pas léger ne peut écraser un insecte, ni leur souffle éthéré absorber un atome de vie dans la nature, s'ensuit-il que les animaux ne se dévorent ni ne s'écrasent les uns les autres? Qu'importe que, parmi ces êtres dont la vie ne s'alimente