Promenades autour d'un village. Жорж Санд

Читать онлайн.
Название Promenades autour d'un village
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

dans ces parages; elle est presque partout semée de longues roches aiguës, qu'un léger sédiment blanchit au temps des crues. Quelquefois ce sont des crêtes quartzeuses, d'un vrai blanc de marbre, qui se dressent au milieu du sol primitif: on croirait pouvoir la franchir partout aisément en sautant de pierre en pierre; mais, vers son milieu, elle a presque toujours un canal rapide assez profond.

      Chaque moulin a son petit bateau, qui peut transporter quelques individus d'une rive à l'autre; mais rarement les propriétaires occupent les deux rives, et le besoin de communiquer entre eux se fait peu sentir aux habitants des deux plateaux, si bien que, d'un côté à l'autre du précipice, on passe très-bien plusieurs années sans se connaître et sans nouer de relations, du moins dans la partie qui s'étend de la grande ruine de Châteaubrun au point où nous étions.

      Nous rêvions fort tranquillement sur les îlots de roches du rivage, quand nous fûmes assaillis par les naturels du pays sous la forme de quatre gamins occupés, ou plutôt nullement occupés à garder quatre cochons. Chacun avait le sien par rang de taille, et le dernier bambin avait la gouverne du cochon de lait.

      Les cochons étaient bien sages, les enfants l'étaient moins; ils accoururent autour de nous, criant, hurlant, gambadant et nous montrant quatre effroyables petits museaux qui semblaient écorchés à vif et baignés d'un sang noirâtre, le tout dans l'évidente intention de nous effrayer.

      C'est un divertissement bien connu chez nous que ce barbouillage avec le jus des guignes noires qui pendent au-dessus des buissons et jonchent la terre à leur maturité.

      Amyntas répondit à ce défi par un prodige non moins terrible.

      Il tira de sa poche un de ces petits cornets qui servent à se rappeler quand on est trop éparpillé à la promenade, et dont nous sommes toujours munis.

      Le cri rauque de cet instrument fit merveille. Nos petits sauvages s'enfuirent à toutes jambes, en proie à une frayeur indicible, et le plus petit, beuglant et pleurant comme un veau, se laissa choir en criant merci. Il fallut aller le relever et le consoler.

      Le dîner fut excellent, le café fort passable, l'hôtesse très-obligeante et très-empressée.

      La promenade du lendemain fut réglée, des mesures prises pour le réveil et le départ. Puis nous descendîmes le village, chacun une lumière à la main, précaution indispensable pour la première fois dans ces rues difficiles; et notez que nous avions trouvé de la bougie, sybarites que nous étions!

      Notre rue est la plus encaissée et la plus enfouie du bourg, dans une coulisse de rochers; d'un côté les ruines de la forteresse, de l'autre une série de petites cours ouvertes, que l'on pourrait appeler des squares, fermés au fond par le roc qui se relève brusquement, et par un ruisselet d'eau vive, à peu près muet en cette saison, mais grouillant et joyeux à la moindre pluie.

      Les maisonnettes sont généralement disposées par trois, soudées ensemble, faisant face à deux ou trois autres toutes pareilles.

      Cela fait cinq ou six familles se voyant les unes chez les autres à toutes les heures du jour, élevant ensemble marmots, poules et pigeons, tout cela s'échelonnant sur les perrons ou se groupant dans la cour commune de la façon la plus pittoresque.

      Voilà donc un vrai village, non pas un village d'opéra-comique d'autrefois, lorsque les bergères avaient des robes de satin et les moutons des rubans roses, mais un village d'opéra-comique moderne, c'est-à-dire un décor à la fois charmant et vrai, un décor de Rubé et consorts, permettant une mise en scène heureuse et naïve, des détails empruntés avec amour à la nature; du réalisme comme il faut en faire, en choisissant dans le réel ce qui vaut la peine d'être peint: une petite ogive basse sur le ruisseau, un fond dont le toit en tourelle disparaît sous les fleurs sauvages, un buisson heureusement jeté sur les décombres, que sais-je?

      L'art aime et voit aujourd'hui tout ce qui est naïf, même la brouette cassée qui, avec une urne renversée, compose un tableau sur le fumier blond où le coq se promène d'un air aussi vaniteux que s'il foulait un tapis de pourpre, et où la poule gratteuse et affairée semble toujours absorbée dans la recherche de cette fameuse perle dont elle ne saurait que faire.

      Sentir que tout est du ressort de l'artiste, voilà, quant à moi, tout ce que je peux entendre au mot de réalisme, arboré comme une nouveauté par les uns, et repoussé comme une hérésie par les autres.

      Mais laissons les discussions littéraires. J'y reviendrai certainement, car il y a beaucoup à dire en faveur d'un certain sentiment de la réalité qui peut être trop dédaigné, et contre ce même sentiment poussé trop loin.

      Continuons notre exploration.

      Celle de l'appartement ne fut pas longue; au dehors, la lune avait un si mince croissant d'argent, qu'il n'y avait pas à regarder beaucoup par la fenêtre. Tout était sombre. La porte ne fermant pas, il était bien évident que le vol était chose inconnue en ce pays.

      – Que les misanthropes disent ce qu'ils voudront, qu'ils raillent amèrement ceux qui croient encore à la vie rustique; voici, me disais-je, une porte sans loquet qui répond victorieusement. Cette maison appartient à quelqu'un qui ne l'habite pas, qui demeure à l'autre bout du village et qui y laisse un petit mobilier sous la bonne foi publique. La cour n'a aucune espèce de clôture: s'il n'y a pas un seul larron sur sept cents habitants, c'est toujours quelque chose, il faut en convenir.

      Le silence de la nuit fut inouï. Pas un souffle dans l'air et pas un souffle humain; pas un bruissement d'animal quelconque. Je croyais avoir trouvé chez nous l'idéal du silence nocturne. Mais notre silence est un vacarme à côté de celui-ci. Je ne m'en suis pas encore rendu compte.

      Dans un si petit espace rempli de gens et de bêtes, vivant, pour ainsi dire, en un tas, d'où vient que rien ne bouge et ne transpire? Avec cette nuit sombre, c'était presque solennel.

      Mais à peine fit-il jour, que les coqs vinrent chanter à notre porte. Si nous ne l'eussions soutenue d'une chaise, pour nous préserver du frais de la nuit, toutes les volailles du pays seraient entrées chez nous pour nous annoncer l'approche du soleil. Et puis des voix d'enfants espiègles et rieuses chantèrent avec les oiseaux, dès que les rayons du matin dépassèrent le haut du rocher.

      Je regardai la maison neuve et propre qui nous faisait face. C'est l'école communale. Fillettes et garçons arrivaient en belle humeur, et le pauvre petit instituteur, bossu comme Ésope, assis, je ne sais comment, sur son escalier en plein air, les attendait d'un air doux et mélancolique.

      Nous partîmes à pied pour Châteaubrun, escortés d'un âne qui portait notre déjeuner.

      Avant d'étudier plus à fond le village, je voulais montrer à mes compagnons une des ruines les plus pittoresques du pays et refaire connaissance avec tous les remarquables environs du village.

      IV

      Nous prîmes le plus court, par égard pour l'âne, que madame Rosalie, notre aubergiste, avait chargé comme un mulet d'Espagne. Il portait, en outre, un gamin chargé de le ramener, et l'épervier de pêche de Moreau, qui ne saurait faire un pas sans ce compagnon fidèle.

      Ce chemin est insipide, comme tous les bons chemins. Il s'en va tout droit sur un plateau tout nu. Les six kilomètres en plaine nous parurent plus longs que douze en montagne.

      Les entomologistes allaient devant, peu surpris de rencontrer de temps à autre le grand Mars, qu'ils avaient signalé dès la veille comme un hôte logique de ces régions, mais se plaignant beaucoup de l'absence de papillons et de l'aridité du sol.

      Je fis la conversation avec Moreau. C'est un malin, un sceptique et un railleur; mais c'est un grand philosophe.

      – J'ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il. Je ne sais pas, si vous vous souvenez que j'étais marié. J'ai perdu ma femme. J'étais un peu meunier et un peu ouvrier. Mais, seul du village où vous avez laissé hier votre voiture, je n'ai que mon corps et ma maison. Dans nos petits bourgs, tout le monde est propriétaire, et il n'y a point de malheureux. Moi, j'ai bien un roc… À propos, le voulez-vous, mon roc? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse? Je ne vous vends