Promenades autour d'un village. Жорж Санд

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Название Promenades autour d'un village
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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que je sache; mais il n'a jamais rien détruit; sachons-lui-en gré. Les pans écroulés de ses vieilles murailles sombres dentellent son rocher dans un désordre pittoresque, et les longs épis historiés de ses girouettes tordues et penchées sur ses tours d'entrée ne peuvent être taxés d'imitation et de charlatanisme.

      Un autre monument du village, c'est une maison renaissance, fort élégante d'aspect, habitée par des paysans. Elle tombe en ruine.

      À quelque distance, on la croirait bâtie en beau moellon de granit; mais, comme toutes les autres, elle n'est qu'en pierre feuilletée et schisteuse de la localité.

      On l'a seulement revêtue de filets de mastic blanchâtre en relief, qui font un trompe-l'oeil très-harmonieux. Son pignon aigu est percé d'une petite fenêtre soutenue par un meneau déjeté, en vrai granit taillé en prisme.

      La porte cintrée est enfoncée sous le balcon de bois du premier étage et sous l'avancement de l'escalier, lequel est formé de gros blocs irréguliers à peine dégrossis.

      Une vigne folle court sur le tout et complète la physionomie pittoresque de cette élégante et misérable demeure, dont un appendice écroulé gît à son flanc depuis des siècles, sans qu'il soit question d'ôter les décombres.

      Au reste, cette maison, dans ses dispositions générales, paraît avoir servi de modèle à toutes celles du village. Sauf les grands pignons, qui ont été remplacés par des toits tombants, communs à plusieurs habitations mitoyennes, toutes sont construites sur le même plan.

      Le rez-de-chaussée, avec une porte à cintre surbaissé, ou à linteau droit, formée d'une seule pierre gravée en arc à contre-courbe, n'est qu'un cellier dont l'entrée s'enfonce sous le balcon du premier étage, quelquefois entre deux escaliers de sept à huit marches assez larges, descendant de face. Au premier, une ou deux chambres; au-dessus, un grenier dont la mansarde en bois ne manque pas de caractère.

      Beaucoup de ces maisons paraissent dater du XIVe ou du XVe siècle. Elles ont des murs épais de trois ou quatre pieds et d'étroites fenêtres à embrasures profondes, avec un banc de pierre posé en biais. On a presque partout remplacé le manteau des antiques cheminées par des cadres de bois; mais les traces de leurs grandes ouvertures se voient encore dans la muraille.

      Les chambres de ces vieilles maisons rustiques sont mal éclairées, d'autant plus qu'elles sont très spacieuses. Le plafond, à solives nues, est parfois séparé en deux par une poutre transversale et s'inclinant en forme de toit, des deux côtés. Le pavé est en dalles brutes, inégales et raboteuses. L'ameublement se compose toujours de grands lits à dossier élevé, à couverture d'indienne piquée, et à rideaux de serge verte ou jaune sortant d'un lambrequin découpé, de hautes armoires très-belles, de tables massives et de chaises de paille. Le coucou y fait entendre son bruit monotone, et les accessoires encombrent les solives: partout le filet de pêche et le fusil de chasse.

      Il y a, dans ce village, des constructions plus modernes, des maisonnettes neuves et blanches, crépies à l'extérieur, et dont les entourages, comme ceux du château, sont en brique rouge.

      Grâce à leurs petits perrons et aux vignes feuillues qui s'y enlacent, elles ne sont pas trop disparates à côté des constructions primitives qui montrent leurs flancs de pierres sèches d'un brun roux, leurs toits de vieilles tuiles toutes pareilles de ton et de forme à cette pierre plate du pays, et leurs antiques encadrements de granit à pans coupés. La couleur générale est sombre mais harmonieuse, et les grands noyers environnants jettent encore leur ombre à côté de celle des ruines de la forteresse.

      – Les maisons sont chères ici, nous dit notre guide. Vous voyez, il n'y a pas de place pour bâtir: le rocher ne veut pas.

      – Qu'est-ce que vous appelez chères, dans ce pays-ci?

      – De cinq cents à mille francs, suivant la bonté de la carcasse.

      – Croyez-vous qu'on pourrait trouver ici des chambres pour passer la nuit?

      – Tenez! dit-il en marchant devant nous pour ouvrir une porte qui n'avait pas de gâche à la serrure, regardez si ça vous convient.

      Nous montâmes l'inévitable perron, dont les rampes sont toujours revêtues de grands carrés de micaschiste jaune brun ou de galets granitiques des bords de la Creuse, ce qui rappelle les constructions pyrénéennes en dalles de basalte et en cailloux des gaves.

      Nous trouvâmes là deux petites chambres blanchies à la chaux, plafonnées en bois brut, meublées de lits de merisier et de grosses chaises tressées de paille. C'est très-propre. Nous voilà logés.

      III

      Il s'agissait de dîner.

      – Dîner? s'écria Moreau. La belle affaire! Regardez! le village est rempli de poules et de poulets qui ne sont pas farouches. On en aura vite attrapé deux ou trois. Voyez combien de vaches rentrent du pré! Chacun a la sienne, tout au moins. Croyez-vous qu'on manque ici de lait et de beurre? Et les oeufs! Il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser. Enfin la Creuse n'est pas loin. Je m'y en vas donner un coup d'épervier, et, si je ne vous rapporte pas une belle truite, à tout le moins je trouverai bien une belle friture de tacons.

      Or, le tacon est le saumon en bas âge; les saumons de mer, remontant la Loire, viennent frayer dans les eaux vives de la Creuse, et ce n'est point là un mets à dédaigner. On n'a pas encore à se tourmenter ici de pisciculture, à moins que ce ne soit pour étudier les procédés de l'ingénieuse et bonne nature, afin de les appliquer en d'autres pays.

      Outre ce menu, nous avions cueilli en route de beaux ceps. Tout cela était fort alléchant pour des gens affamés, même ces pauvres poulets qui couraient encore. Mais il fallait une cuisine et une femme; car aucun de nous ne possédait les utiles talents de l'auteur des Impressions de voyage.

      – De quoi diable vous inquiétez-vous? dit le guide. Il y a ici une auberge dont la maîtresse cuisinerait pour un archevêque. C'est elle qui vous prêtera les chambres où vous voilà, à condition que vous irez dîner chez elle, en haut du village. Est-ce convenu? restez-vous ici? Je vas commander la soupe. En attendant, descendez ce chemin, et vous vous trouverez à la rencontre de la petite rivière et de la grande. Restez-y une heure et revenez: tout sera prêt, même le café, car je me souviens que vous n'aimez point à vous passer de ça.

      – Mais je me reconnais très-bien, lui dis-je; il n'y a point de pont en bas du village.

      – Si fait, il y en a un maintenant. Allez devant vous.

      Nous trouvâmes le chemin rapide, mais commode, le pont très-joli et le confluent des deux torrents admirable de fraîcheur et de mystère.

      Le soleil était déjà couché pour nous, il était descendu derrière les rochers qui nous faisaient face; mais, au loin, il envoyait, à travers ses brisures, de grandes lueurs chaudes et brillantes sur les fonds d'émeraude de la gorge.

      Quand on est tout au fond de cette brèche qui sert de lit à la Creuse, l'aspect devient quelquefois réellement sauvage. Sauf les pointes effilées de quelques clochers rustiques qui, de loin en loin, se dressent comme des paratonnerres sur le haut du plateau, et quelques moulins charmants échelonnés le long de l'eau, avec leurs longues écluses en biais ou en éperon, qui rayent la rivière d'une douce et fraîche cascatelle, c'est un désert.

      Pour peu que l'on se trouve engagé dans un de ses coudes rocailleux, assez escarpés pour ne pas livrer passage aux troupeaux, on se croirait au sein d'une nature âpre et désolée. Mais, un peu plus loin, la rivière tourne, et la scène change. Le ravin s'adoucit un instant et laisse couler des zones d'herbe fraîche et de beaux arbres, jusqu'à de délicieuses pelouses, où les pieds meurtris se reposent dans du velours. Et puis ce sont de longues flaques de sable fin et humide où croissent des plantes exquises, diverses espèces de sauges et de baumes, et ces grandes menthes aux grappes lilas, dont les mouches, les papillons et les coléoptères semblent se disputer le nectar avec une sorte de rage.

      Tout ce monde-là était endormi pendant que le soleil s'en allait, et on ne voyait plus voler que le satyre janira, ce papillon si abondant dans toute la France, hardi et pullulant comme le moineau, dont il a la