Название | La comtesse de Rudolstadt |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Est-il possible? dit la princesse Amélie, pour une semblable cause? Il était donc bien vil?
– Hélas! non, madame; mais il était vain et artiste. Il se fit protéger par la Corilla, la cantatrice disgraciée et furieuse, qui m'enleva son cœur, et l'amena rapidement à offenser et à déchirer le mien. Un soir, maître Porpora, qui avait toujours combattu nos sentiments, parce qu'il prétend qu'une femme, pour être grande artiste, doit rester étrangère à toute passion et à tout engagement de cœur, me fit découvrir la trahison d'Anzoleto. Le lendemain soir, le comte Zustiniani me fit une déclaration d'amour, à laquelle j'étais loin de m'attendre, et qui m'offensa profondément. Anzoleto feignit d'être jaloux, de me croire corrompue… Il voulait briser avec moi. Je m'enfuis de mon logement, dans la nuit; j'allai trouver mon maître, qui est un homme de prompte inspiration, et qui m'avait habituée à être prompte dans l'exécution. Il me donna des lettres, une petite somme, un itinéraire de voyage; il me mit dans une gondole, m'accompagna jusqu'à la terre ferme, et je partis seule, au point du jour, pour la Bohême.
– Pour la Bohême? dit madame de Kleist, à qui le courage et la vertu de la Porporina faisaient ouvrir de grands yeux.
– Oui, Madame, reprit la jeune fille. Dans notre langage d'artistes aventuriers, nous disons souvent courir la Bohême pour signifier qu'on s'embarque dans les hasards d'une vie pauvre, laborieuse et souvent coupable, dans la vie des Zingari, qu'on appelle aussi Bohémiens, en français. Quant à moi, je partais, non pour cette Bohême symbolique à laquelle mon sort semblait me destiner comme tant d'autres, mais pour le malheureux et chevaleresque pays des Tchèques, pour la patrie de Huss et de Ziska, pour le Boehmer-Wald, enfin pour le château des Géants, où je fus généreusement accueillie par la famille des Rudolstadt.
– Et pourquoi allais-tu dans cette famille? demanda la princesse, qui écoutait avec beaucoup d'attention: se souvenait-on de t'y avoir vue enfant?
– Nullement. Je ne m'en souvenais pas moi-même, et ce n'est que longtemps après, et par hasard, que le comte Albert retrouva et m'aida à retrouver le souvenir de cette petite aventure; mais mon maître le Porpora avait été fort lié en Allemagne avec le respectable Christian de Rudolstadt, chef de la famille. La jeune baronne Amélie, nièce de ce dernier, demandait une gouvernante, c'est-à-dire une demoiselle de compagnie qui fit semblant de lui enseigner la musique, et qui la désennuyât de la vie austère et triste qu'on menait à Riesenburg4. Ses nobles et bons parents m'accueillirent comme une amie, presque comme une parente. Je n'enseignai rien, malgré mon bon vouloir, à ma jolie et capricieuse élève, et…
– Et le comte Albert devint amoureux de toi, comme cela devait arriver?
– Hélas! Madame, je ne saurais parler légèrement d'une chose si grave et si douloureuse. Le comte Albert, qui passait pour fou, et qui unissait à une âme sublime, à un génie enthousiaste, des bizarreries étranges, une maladie de l'imagination tout à fait inexplicable…
– Supperville m'a raconté tout cela, sans y croire et sans me le faire comprendre. On attribuait à ce jeune homme des facultés supernaturelles, le don des prophéties, la seconde vue, le pouvoir de se rendre invisible… Sa famille racontait là-dessus des choses inouïes… Mais tout cela est impossible, et j'espère que tu n'y ajoutes pas foi?
– Épargnez-moi, Madame, la souffrance et l'embarras de me prononcer sur des faits qui dépassent la portée de mon intelligence. J'ai vu des choses inconcevables, et, en de certains moments, le comte Albert m'a semblé un être supérieur à la nature humaine. En d'autres moments, je n'ai vu en lui qu'un être malheureux, privé, par l'excès même de sa vertu, du flambeau de la raison; mais en aucun temps je ne l'ai vu semblable aux vulgaires humains. Dans le délire comme dans le calme, dans l'enthousiasme comme dans l'abattement, il était toujours le meilleur, le plus juste, le plus sagement éclairé ou le plus poétiquement exalté des hommes. En un mot, je ne saurais penser à lui ni prononcer son nom sans un frémissement de respect, sans un attendrissement profond, et sans une sorte d'épouvante; car je suis la cause involontaire, mais non tout à fait innocente, de sa mort.
– Voyons, chère comtesse, essuie tes beaux yeux, prends courage, et continue. Je t'écoute sans ironie et sans légèreté profane, je te le jure.
– Il m'aima d'abord sans que je pusse m'en douter. Il ne m'adressait jamais la parole, il ne semblait même pas me voir. Je crois qu'il s'aperçut pour la première fois de ma présence dans le château, lorsqu'il m'entendit chanter. Il faut vous dire qu'il était très-grand musicien, et qu'il jouait du violon comme personne au monde ne se doute qu'on puisse en jouer. Mais je crois bien être la seule qui l'ait jamais entendu à Riesenburg; car sa famille n'a jamais su qu'il possédait cet incomparable talent. Son amour naquit donc d'un élan d'enthousiasme et de sympathie musicale. Sa cousine, la baronne Amélie, qui était fiancée avec lui depuis deux ans, et qu'il n'aimait pas, prit du dépit contre moi, quoiqu'elle ne l'aimât pas non plus. Elle me le témoigna avec plus de franchise que de méchanceté; car, au milieu de ses travers, elle avait une certaine grandeur d'âme; elle se lassa des froideurs d'Albert, de la tristesse du château, et, un beau matin, nous quitta, enlevant, pour ainsi dire, son père le baron Frédéric, frère du comte Christian, homme excellent et borné, indolent d'esprit et simple de cœur, esclave de sa fille et passionné pour la chasse.
– Tu ne me dis rien de l'invisibilité du comte Albert, de ses disparitions de quinze et vingt jours, au bout desquelles il reparaissait tout d'un coup, croyant ou feignant de croire qu'il n'avait pas quitté la maison, et ne pouvant ou ne voulant pas dire ce qu'il était devenu pendant qu'on le cherchait de tous cotés.
– Puisque M. Supperville vous a raconté ce fait merveilleux en apparence, je vais vous en donner l'explication; moi seule puis le faire, car ce point est toujours resté un secret entre Albert et moi. Il y a près du château des Géants une montagne appelée Schreckenstein5, qui recèle une grotte et plusieurs chambres mystérieuses, antique construction souterraine qui date du temps des Hussites. Albert, tout en parcourant une série d'opinions philosophiques très-hardies, et d'enthousiasme religieux portés jusqu'au mysticisme, était resté hussite, ou, pour mieux dire, taborite dans le cœur. Descendant par sa mère du roi Georges Podiebrad, il avait conservé et développé en lui-même les sentiments d'indépendance patriotique et d'égalité évangélique que la prédication de Jean Huss et les victoires de Jean Ziska ont, pour ainsi dire, inoculés aux Bohémiens…
– Comme elle parle d'histoire et de philosophie! s'écria la princesse en regardant madame de Kleist: qui m'eût jamais voulu dire qu'une fille de théâtre comprendrait ces choses-là comme moi qui ai passé ma vie à les étudier dans les livres? Quand je te le disais, de Kleist, qu'il y avait parmi ces êtres que l'opinion des cours relègue aux derniers rangs de la société, des intelligences égales, sinon supérieures, à celles qu'on forme aux premiers avec tant de soin et de dépense!
– Hélas! Madame, reprit la Porporina, je suis fort ignorante, et je n'avais jamais rien lu avant mon séjour à Riesenburg. Mais là j'ai tant entendu parler de ces choses, et j'ai été forcée de tant réfléchir pour comprendre ce qui se passait dans l'esprit d'Albert, que j'ai fini par m'en faire une idée.
– Oui, mais tu es devenue mystique et un peu folle toi-même, mon enfant! Admire les campagnes de Jean Ziska et le génie républicain de la Bohême, j'y consens, j'ai des idées tout aussi républicaines que toi là-dessus peut-être; car, moi aussi, l'amour m'a révélé une vérité contraire à celle que mes
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Château des Géants, en allemand.
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La