Название | La San-Felice, Tome 04 |
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Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Oh! voyons, cher lord, dit Emma, avec un de ces airs de tête qui n'appartenaient qu'à elle, tant ils étaient gracieux et charmants, ne faites pas ici l'oiseau de mauvais augure. Les Français seront battus sur terre par le général Mack, comme ils l'ont été sur mer par l'amiral Nelson… Et tenez, j'entends le bruit d'un fouet qui nous annonce des nouvelles. Entendez-vous, madame? Entendez-vous, milord?.. Eh bien, c'est le courrier que nous promettait le roi et qui nous arrive.
Et, en effet, on entendit se rapprochant rapidement du château les claquements réitérés d'un fouet; il n'était point difficile de deviner que le bruit de ce fouet était l'éclatante musique par laquelle les postillons ont l'habitude d'annoncer leur arrivée; mais, en même temps, ce qui pouvait quelque peu embrouiller les idées des auditeurs, c'est qu'on entendait le roulement d'une voiture. Cependant tout le monde se leva par un mouvement spontané et prêta l'oreille.
Acton fit davantage encore: visiblement le plus ému de tous, il se retourna vers la reine Caroline.
– Votre Majesté permet-elle que je m'informe? demanda-t-il.
La reine répondit par un signe de tête affirmatif.
Acton s'élança vers la porte, les yeux fixés sur les appartements par lesquels devait arriver l'annonce d'un courrier ou le courrier lui-même.
On avait entendu le bruit de la voiture, qui s'arrêtait sous la voûte du grand escalier.
Tout à coup, Acton, faisant trois pas en arrière, rentra à reculons dans la salle, comme un homme frappé de quelque apparition impossible.
– Le roi! s'écria-t-il, le roi! Que veut dire cela?
LVIII
TOUT EST PERDU, VOIRE L'HONNEUR
Presque aussitôt, en effet, le roi entra, suivi du duc d'Ascoli. Une fois arrivé, et n'ayant plus rien à craindre, le roi avait repris son rang et était passé le premier.
Sa Majesté était dans une singulière disposition d'esprit; le dépit que lui inspirait sa défaite luttait en elle contre la satisfaction d'avoir échappé au danger, et il éprouvait ce besoin de railler qui lui était naturel, mais qui devenait plus amer dans les circonstances où il se trouvait.
Ajoutez à cela le malaise physique d'un homme, disons plus, d'un roi qui vient de faire soixante lieues dans un mauvais calessino, sans trouver à manger, par une froide journée et par une pluvieuse nuit de décembre.
– Brrrou! fit-il en entrant et en se frottant les mains sans paraître faire attention aux personnes qui se trouvaient là. Il fait meilleur ici que sur la route d'Albano; qu'en dis-tu, Ascoli?
Puis, comme les convives de la reine se confondaient en révérences:
– Bonsoir, bonsoir, continua-t-il; je suis bien content de trouver la table mise. Depuis Rome, nous n'avons pas trouvé un morceau de viande à nous mettre sous la dent. Du pain et du fromage sur le pouce ou plutôt sous le pouce, comme c'est restaurant! Pouah! les mauvaises auberges que celles de mon royaume, et comme je plains les pauvres diables qui comptent sur elles! A table, d'Ascoli, à table! J'ai une faim d'enragé.
Et le roi se mit à table sans s'inquiéter s'il prenait la place de quelqu'un et fit asseoir d'Ascoli près de lui.
– Sire, seriez-vous assez bon pour calmer mon inquiétude, fit la reine en s'approchant de son auguste époux, dont le respect tenait tout le monde éloigné, en me disant à quelle circonstance je dois le bonheur de ce retour inattendu?
– Madame, vous m'avez raconté, je crois, – à coup sûr, ce n'est point San-Nicandro, – l'histoire du roi François Ier, qui, après je ne sais quelle bataille, prisonnier de je ne sais quel empereur, écrivait à madame sa mère une longue lettre qui finissait par cette belle phrase: Tout est perdu, fors l'honneur. Eh bien, supposez que j'arrive de Pavie, – c'est le nom de la bataille, je me le rappelle maintenant; – supposez donc que j'arrive de Pavie et que, n'ayant pas été assez bête pour me laisser prendre comme le roi François Ier, au lieu de vous écrire, je viens vous dire moi-même…
– Tout est perdu, fors l'honneur! s'écria la reine effrayée.
– Oh! non, madame, dit le roi avec un rire strident, il y a une petite variante: Tout est perdu, voire l'honneur!
– Oh! sire, murmura d'Ascoli honteux, comme Napolitain, de ce cynisme du roi.
– Si l'honneur n'est pas perdu, d'Ascoli, fit le roi en fronçant le sourcil et en serrant les dents, preuve qu'il n'était pas aussi insensible à la situation qu'il feignait de le paraître, après quoi donc couraient ces gens qui couraient si fort, qu'en payant un ducat et demi de guides, j'ai eu toutes les peines du monde à les dépasser? Après la honte!
Tout le monde se taisait, et il s'était fait un silence de glace; car, sans rien savoir encore, on soupçonnait déjà tout. Le roi, nous l'avons dit, était assis et avait fait asseoir le duc d'Ascoli à son côté, et, allongeant sa fourchette, il avait pris, sur le plat qui se trouvait en face de lui, un faisan rôti qu'il avait divisé en deux parts et dont il avait mis une moitié sur son assiette et passé l'autre à d'Ascoli.
Le roi regarda autour de lui et vit que tout le monde était debout, même la reine.
– Asseyez-vous donc, asseyez-vous donc, dit-il; quand vous aurez mal soupé, les affaires n'en iront pas mieux.
Se versant alors un plein verre de vin de Bordeaux, et passant la bouteille à d'Ascoli:
– A la santé de Championnet! dit le roi. A la bonne heure! en voilà un homme de parole; il avait promis aux républicains d'être à Rome avant le vingtième jour, et il y sera revenu le dix-septième. C'est lui qui mériterait de boire cet excellent bordeaux, et moi qui mérite de boire de l'asprino.
– Comment, monsieur! que dites-vous? s'écria la reine. Championnet est à Rome?
– Aussi vrai que je suis à Caserte. Seulement il n'y est peut-être pas mieux reçu que je ne le suis ici.
– Si vous n'êtes pas mieux reçu, sire, si l'on ne vous a pas fait l'accueil auquel vous avez droit, vous ne devez l'attribuer qu'à l'étonnement que nous a causé votre présence, au moment où nous nous attendions si peu au bonheur de vous revoir. Il y a à peine trois heures que j'ai reçu une lettre de vous qui m'annonçait un courrier, lequel devait m'apporter des nouvelles de la bataille.
– Eh bien, madame, reprit le roi, le courrier, c'est moi; les nouvelles, les voici: nous avons été battus à plate couture. Que dites-vous de cela, milord Nelson, vous, le vainqueur des vainqueurs?
– Une demi-heure avant que Votre Majesté arrivât, j'exprimais mes craintes sur une défaite.
– Et personne de nous ne voulait y croire, sire, ajouta la reine.
– Il en est ainsi de la moitié des prophéties, et cependant milord Nelson n'est point prophète dans son pays. En tout cas, c'était lui qui avait raison et les autres qui avaient tort.
– Mais enfin, sire, ces quarante mille hommes avec lesquels le général Mack devait, disait-il, écraser les dix mille républicains de Championnet?..
– Eh bien, il paraît que Mack n'était pas prophète comme milord Nelson, et que ce sont, au contraire, les dix mille républicains de Championnet qui ont écrasé les quarante mille hommes de Mack. Dis donc,