La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre

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Название La San-Felice, Tome 06
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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Votre Majesté à lord Nelson: nul ne peut quitter le vaisseau de Sa Majesté Britannique sans l'ordre de l'amiral.

      –Pas même moi? dit le roi. Ainsi, je suis prisonnier sur le Van-Guard?

      –Le roi n'est prisonnier nulle part; mais plus le voyageur est illustre, plus son hôte se croirait en disgrâce si le voyageur partait sans prendre congé de lui.

      Et, saluant le roi, Henry se dirigea vers le cabinet.

      –Anglais maudits! murmura le roi entre ses dents, je ne sais à quoi tient que je ne me fasse jacobin pour n'avoir désormais plus d'ordres à recevoir de vous!

      Ce désir du roi n'avait pas moins étonné Nelson que Henry. Aussi l'amiral monta-t-il rapidement sur la dunette.

      –Est-il vrai, demanda-t-il s'adressant au roi, au mépris de l'étiquette qui ne veut pas que l'on interroge les souverains, est-il vrai que le roi veuille quitter le Van-Guard à l'instant?

      –Rien de plus vrai, mon cher lord, dit le roi. Je suis à merveille sur le Van-Guard; mais je serai encore mieux à terre. Décidément, je n'étais pas né pour être marin.

      –Votre Majesté ne reviendra point sur cette résolution?

      –Non, je vous le proteste, mon cher amiral.

      –Le grand canot à la mer! cria Nelson.

      –Inutile, dit le roi. Que Votre Seigneurie ne dérange pas ces braves gens, qui sont fatigués.

      –Mais je ne puis croire à ce que m'a dit le capitaine Henry.

      –Que vous a dit le capitaine Henry, milord?

      –Que le roi voulait descendre à terre dans la barque de ce marin.

      –C'est la vérité. Il me parait à la fois un habile homme et un fidèle sujet. Je crois donc pouvoir me fier à lui.

      –Mais, sire, je ne puis permettre qu'un autre patron que moi, qu'un autre canot que celui du Van-Guard et que d'autres matelots que ceux de Sa Majesté Britannique vous déposent à terre.

      –Alors, fit le roi, comme je le disais au capitaine Henry tout à l'heure, je suis prisonnier.

      –Plutôt que de laisser le roi un instant dans cette croyance, je m'inclinerai à l'instant même devant son désir.

      –A la bonne heure; c'est le moyen de nous quitter bons amis, milord.

      –Mais la reine? insista Nelson.

      –Oh! la reine est fatiguée; la reine est souffrante: ce serait un grand embarras pour elle et les jeunes princesses de quitter ce soir le Van-Guard. La reine débarquera demain. Je vous la recommande, milord, avec tout le reste de ma cour.

      –Irai-je avec vous, mon père? demanda le jeune prince Léopold.

      –Non, non, répondit le roi. Que dirait la reine si je lui prenais son favori!

      Nelson s'inclina.

      –Descendez l'escalier de tribord, dit-il.

      L'escalier fut descendu: le pilote s'affala à un cordage, et fut, en quelques secondes, dans la barque, qu'il amena au pied de l'échelle.

      –Milord Nelson, dit le roi, au moment de quitter votre bâtiment, laissez-moi vous dire que je n'oublierai jamais les attentions dont nous avons été comblés à bord du Van-Guard, et, demain, vos matelots recevront une preuve de ma satisfaction.

      Nelson s'inclina une seconde fois, mais cette fois sans répondre. Le roi descendit l'escalier et s'assit dans la barque avec un soupir d'allégement qui fut entendu de l'amiral resté sur la première marche.

      –Pousse! dit le pilote au matelot qui tenait la gaffe.

      La barque se détacha de l'escalier et s'en éloigna.

      –Nagez, mes garçons, et vivement! dit le pilote.

      Les quatre avirons tombèrent en cadence dans la mer, et, sous leur vigoureuse impulsion, la barque s'avança vers la Marine, c'est-à-dire vers l'endroit du port où attendaient les voitures du roi, en face de la rue de Tolède.

      Le pilote sauta le premier à terre, tira la barque et l'assujettit contre la jetée.

      Mais, avant qu'il eût tendu la main au roi, le roi avait pris son élan et avait sauté sur le quai.

      –Ah! dit-il avec une joyeuse exclamation, me voilà donc sur la terre ferme. Que le diable emporte maintenant le roi George, l'amirauté, lord Nelson, le Van-Guard et toute la flotte de Sa Majesté Britannique! Tiens, mon ami, voilà pour toi.

      Et il tendit sa bourse au pilote.

      –Merci, sire, répondit celui-ci en faisant un pas en arrière, mais Votre Majesté a entendu ce que j'ai répondu au capitaine Henry. Je suis payé par mon gouvernement.

      –Et tu as même ajouté que tu ne recevais d'argent qu'à l'effigie du roi Ferdinand et du roi Charles: prends donc.

      –Sire, êtes-vous sûr que celui que vous me donnez ne soit pas à l'effigie du roi George?

      –Tu es un hardi coquin de vouloir donner une leçon à ton roi. En tout cas, apprends une chose, c'est que, si j'ai reçu de l'argent de l'Angleterre, elle m'en fait payer cher les intérêts. L'argent est pour tes hommes, et cette montre sera pour toi. Si jamais je redeviens roi et que tu aies quelque grâce à me demander, tu viendras à moi, tu me présenteras cette montre, et la grâce te sera accordée.

      –Demain, sire, dit le pilote en prenant la montre et en jetant la bourse à ses matelots, je serai au palais, et j'espère que Votre Majesté ne me refusera pas la grâce que j'aurai l'honneur de lui demander.

      –Eh bien, dit le roi, celui-là n'aura point perdu de temps.

      Et, sautant dans celle des trois voitures qui était la plus rapprochée de lui:

      –Au palais royal! dit-il.

      La voiture partit au galop.

      CIII

      QUELLE ÉTAIT LA GRACE QU'AVAIT A DEMANDER LE PILOTE

      Prévenu par l'amiral Caracciolo de l'arrivée du roi, le gouverneur du château avait officiellement annoncé cette arrivée aux autorités de Palerme.

      Le syndic, la municipalité, les magistrats et le haut clergé de Palerme attendaient le roi depuis trois heures de l'après-midi dans la grande cour du palais. Le roi, qui avait besoin de manger et aussi de dormir, se dit que c'étaient trois discours à entendre, et il en frissonna de la pointe des pieds à la racine des cheveux.

      Aussi, prenant le premier la parole:

      –Messieurs, dit-il, quel que soit votre talent d'orateurs, je doute que vous trouviez moyen de me dire quelque chose d'agréable. J'ai voulu faire la guerre aux Français, et ils m'ont battu; j'ai voulu défendre Naples, et j'ai été forcé de la quitter; je me suis embarqué, et j'ai essuyé une tempête. Me dire que ma présence vous réjouit serait me dire que vous êtes contents des malheurs qui m'arrivent, et, par-dessus tout, en me disant cela, vous m'empêcheriez de souper et de me coucher; ce qui, dans ce moment, me serait plus désagréable encore que d'avoir été battu par les Français, d'avoir été forcé de me sauver de Naples, et d'avoir eu, pendant trois jours, le mal de mer et la perspective d'être mangé par les poissons, attendu que je meurs de faim et de sommeil. Sur ce, je regarde vos discours comme faits, monsieur le syndic et messieurs du corps municipal. Je donne dix mille ducats pour les pauvres: vous pouvez les envoyer prendre demain.

      Avisant alors l'évêque au milieu de son clergé:

      –Monseigneur, dit-il, demain, à Sainte-Rosalie, vous direz un Te Deum d'actions de grâces pour la façon miraculeuse dont j'ai échappé au naufrage. J'y renouvellerai solennellement le voeu que j'ai fait à saint François de Paule de lui bâtir une église sur le modèle de Saint-Pierre de Rome, et vous nous désignerez les membres de votre clergé les plus méritants. Si réduits que soient nos moyens, nous tâcherons de les récompenser selon leurs mérites.

      Puis, se tournant vers les magistrats