La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre

Читать онлайн.
Название La San-Felice, Tome 06
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

toujours mauvais joueur?

      –Toujours, sire.

      –Et chasseur enragé?

      –Plus que jamais.

      –C'est bien. Je vous invite à mon jeu, à la condition que vous m'inviterez à vos chasses.

      –C'est un double honneur que me fait Votre Majesté.

      –Maintenant, messieurs, continua le roi s'adressant à tout le monde, si vous avez aussi faim et aussi soif que moi, j'ai un bon conseil à vous donner: c'est de faire comme moi, c'est-à-dire de souper et vous coucher après.

      Cette invitation était un congé bien en règle; aussi la triple députation se retira-t-elle après avoir salué le roi.

      Ferdinand, éclairé par quatre domestiques, monta le grand escalier d'honneur, suivi par Jupiter, le seul convive qu'il eût jugé à propos de retenir.

      Un dîner de trente couverts était servi.

      Le roi s'assit à une extrémité de la table et fit asseoir Jupiter à l'autre, garda un domestique pour lui et en donna deux à son chien, auquel il fit servir de tous les plats qu'il mangea.

      Jamais Jupiter ne s'était trouvé à pareille fête.

      Puis, après le souper, Ferdinand l'emmena dans sa chambre, lui fit apporter, au pied de son lit, les tapis les plus moelleux, et, passant, avant de se coucher lui-même, la main sur la belle tête intelligente du fidèle animal:

      –J'espère, dit-il, que tu ne diras pas, comme je sais quel poëte, que l'escalier d'autrui est rude et que le pain de l'exil est amer.

      Sur quoi, il s'endormit, rêva qu'il faisait une pêche miraculeuse dans le golfe de Castellamare et tuait des sangliers par centaines dans la forêt de Ficuzza.

      L'ordre était donné à Naples, lorsque le roi n'avait pas sonné à huit heures, d'entrer dans sa chambre et de l'éveiller; mais, comme le même ordre n'avait pas été donné à Palerme, le roi se réveilla et sonna à dix heures seulement.

      Pendant la matinée, la reine, le prince Léopold, les princesses, les ministres et les courtisans avaient débarqué et avaient cherché leurs logements, les uns au palais, les autres dans la ville. Le corps du petit prince avait, en outre, été porté dans la chapelle du roi Roger.

      Le roi demeura un instant soucieux et se leva. Cette dernière circonstance qu'il paraissait avoir complètement oubliée, maintenant qu'il était hors de danger, pesait-elle plus tristement sur son coeur paternel, ou bien réfléchissait-il que saint François de Paule avait un peu lésiné dans la protection qu'il lui avait accordée, et qu'en bâtissant l'église qu'il avait votée, il allait payer bien cher une protection qui s'était si incomplètement étendue sur sa famille?

      Le roi donna l'ordre que le corps du jeune prince restât exposé toute la journée dans la chapelle et qu'il fût, le lendemain, enterré sans aucune solennité.

      Sa mort seulement serait signifiée aux autres cours, et celle des Deux-Siciles, réduite à la Sicile seule, porterait un deuil de quinze jours en violet.

      Cet ordre donné, on annonça au roi que l'amiral Caracciolo, qui, la veille, comme nous le savons déjà par le récit du pilote, avait fait le maréchal des logis pour le roi et la famille royale, sollicitait l'honneur d'être reçu par Sa Majesté et attendait son bon plaisir dans l'antichambre.

      Le roi s'était rattaché à Caracciolo de toute l'antipathie que commençait à lui inspirer Nelson; aussi s'empressa-t-il d'ordonner qu'on le fît entrer dans le cabinet-bibliothèque attenant à sa chambre à coucher, et, dans son empressement à voir l'amiral, y entra-t-il lui-même avant d'être complètement habillé, et, donnant à son visage l'expression la plus riante possible:

      –Ah! mon cher amiral, lui dit-il, je suis bien aise de te voir, d'abord pour te remercier de ce qu'étant arrivé avant moi, tu as aussitôt pensé à moi.

      L'amiral s'inclina, et, sans que le bon accueil du roi changeât rien à la gravité de son visage:

      –Sire, dit-il, c'était mon devoir comme fidèle et obéissant sujet de Votre Majesté.

      –Puis je voulais te faire des compliments sur la façon dont tu as manoeuvré ta frégate au milieu de la tempête. Sais-tu que tu as failli faire crever Nelson de rage? J'aurais bien ri, je t'en réponds, si je n'avais pas eu si grand'peur.

      –L'amiral Nelson, répondit Caracciolo, ne pouvait faire, avec un bâtiment lourd et mutilé comme le Van-Guard, ce que je pouvais faire avec ma frégate, bâtiment léger de construction moderne, et qui n'a jamais souffert. L'amiral Nelson a fait ce qu'il a pu.

      –C'est ce que je lui ai dit, avec un autre sens peut-être, mais absolument dans les mêmes termes; et j'ai même ajouté que j'avais un profond regret de t'avoir manqué de parole et d'être venu avec lui, au lieu d'être venu avec toi.

      –Je le sais, sire, et j'en suis profondément touché.

      –Tu le sais! et qui te l'a dit? Ah! je comprends: le pilote?

      Caracciolo ne répondit point à la question du roi. Mais, au bout d'un instant:

      –Sire, dit-il, je viens demander une grâce au roi.

      –Bien! tu tombes dans un bon moment! Parle.

      –Je viens demander au roi de vouloir bien accepter ma démission d'amiral de la flotte napolitaine.

      Le roi recula d'un pas, tant il s'attendait peu à cette demande.

      –Ta démission d'amiral de la flotte napolitaine! dit-il. Et pourquoi?

      –D'abord, sire, parce qu'il est inutile d'avoir un amiral quand on n'a plus de flotte.

      –Oui, je le sais bien, dit le roi avec une visible expression de colère, milord Nelson l'a brûlée; mais, un jour où l'autre, nous serons les maîtres chez nous, et nous la reconstruirons.

      –Mais, alors, répondit froidement Caracciolo, comme j'ai perdu la confiance de Votre Majesté, je ne pourrai plus la commander.

      –Tu as perdu ma confiance, toi, Caracciolo?

      –J'aime mieux croire cela, sire, que d'avoir à reprocher, à un roi dans les veines duquel coule le plus vieux sang royal d'Europe, d'avoir manqué à sa parole.

      –Oui, c'est vrai, dit le roi, je t'avais promis…

      –De ne point quitter Naples, d'abord, ou, si vous le quittiez, de ne le quitter que sur mon bâtiment.

      –Voyons, mon cher Caracciolo! dit le roi tendant la main à l'amiral.

      L'amiral prit la main du roi, la baisa respectueusement, fit un pas en arrière et tira un papier de sa poche.

      –Sire, dit-il, voici ma démission, que je prie Votre Majesté d'accepter.

      –Eh bien, non, je ne l'accepte pas, ta démission, je la refuse..

      –Votre Majesté n'en a pas le droit.

      –Comment, je n'en ai pas le droit? Je n'ai pas le droit de refuser ta démission?

      –Non, sire; car Votre Majesté m'a promis hier de m'accorder la première grâce que je lui demanderais; eh bien, cette grâce, c'est de vouloir bien recevoir et accepter ma démission.

      –Hier, je t'ai promis?.. Tu deviens fou!

      Caracciolo secoua la tête.

      –J'ai toute ma raison, sire.

      –Hier, je ne t'ai point vu.

      –C'est-à-dire que Votre Majesté ne m'a point reconnu. Mais peut être reconnaîtra-t-elle cette montre?

      Et Caracciolo tira de sa poitrine une montre magnifique, ornée du portrait du roi et enrichie de diamants.

      –Le pilote! s'écria le roi en reconnaissant la montre qu'il avait donnée, la veille, à l'homme qui, si habilement, l'avait conduit dans le port; le pilote!

      –C'était moi, sire, répondit Caracciolo en s'inclinant.

      –Comment!