Название | Les Mystères du Louvre |
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Автор произведения | Féré Octave |
Жанр | Историческая литература |
Серия | |
Издательство | Историческая литература |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Ce sarcasme ranima le verve du bouffon, qui n'était jamais, nous croyons l'avoir dit, en reste de méchanceté avec personne.
– Las! messire, soupira-t-il en affectant une grimace narquoise, peut-être bien n'est-ce pas mon propre mésaise que je rumine en ce coin maussade, mais celui de tel haut personnage qui, pour toucher un appointement plus sonnant que le mien, a grand'peine à porter sur son visage le contentement qui n'est pas en son esprit.
– De quel personnage entends-tu parler, s'il te plaît?
Et le ministre croisa ses redoutables sourcils; mais ce signe, précurseur habituel de l'orage, n'émut pas le moins du monde la placidité sardonique du bouffon, retrempée dans le dépit d'autrui.
Il ramassa sa marotte, en rajusta les grelots et les oripeaux bariolés, et les agitant à l'oreille de son farouche interlocuteur:
– Écoutez, messire, voici le langage du vrai bonheur, car c'est celui de la folie.
– Tu es un rusé et un impudent compère, je le sais, mais ne crois pas m'échapper par un lazzi; c'est bon pour le commun de ces jolis gentilshommes et de ces coquettes damoiselles qui paradaient tout à l'heure ici devant les princesses. Au fait, donc: parle, je le veux!
Profitant de ce que Triboulet s'était approché de lui pour l'insulter de son carillon moqueur, il lui saisit l'oreille dans ses doigts osseux.
Le bouffon poussa un cri d'orfraie.
– Silence! commanda Duprat, craignant de voir entrer les huissiers et d'être surpris dans ce grotesque tête-à-tête.
Puis, lâchant l'oreille à moitié décollée, il tira de son escarcelle une poignée d'or qu'il tendit à sa victime.
– Montjoie et Saint-Denis! c'est affaire à Votre Honneur de trouver la clef qui délie les langues. Interrogez donc, messire, et l'on vous répondra.
– Triple coquin!..
– Là! là! pas de gros mots; j'ai déjà l'oreille toute malade, vous achèveriez de me la déchirer… De quoi souhaitez-vous que je vous entretienne? Des promenades amoureuses du beau Cossé-Brissac? Des hésitations de damoiselle Françoise de Foi entre les galants qui la courtisent, depuis qu'elle a hérité le legs que lui laissa feue la reine Claudine? Des épîtres secrètes échangées par damoiselle Hélène de Tournon avec certain poète anacréontique?.. Demandez, monseigneur, mademoiselle ma marotte va sonner pour vous son plus beau carillon.
– Rien de ces fadaises!..
– Alors, expliquez-vous?
C'était précisément là ce que Duprat n'osait faire, et le perfide bouffon jouissait de son embarras. Cependant, il se décida:
– Pourquoi étais-tu sous ce rideau, et qui épiais-tu?
– Dites-moi, monseigneur, avez-vous remarqué quelquefois ce que font les chiens quand on leur marche sur la patte?.. Ils vont se cacher… Vous me reprochiez tout à l'heure d'être payé comme un dignitaire, mais vous oubliez que je suis traité comme un chien, et que je jouis du même rang à la cour que les lévriers de Sa Majesté. Beaucoup de gens me considèrent et me traitent en conséquence… La princesse Marguerite, par exemple.
Ce nom et surtout l'affectation que mit le fou d'office à le prononcer, amena une légère rougeur au visage du chancelier.
– Il y a longtemps, prononça-t-il en observant l'effet de ses paroles sur le masque crispé du bouffon, il y a longtemps que je me suis aperçu de ton assiduité aux environs de la princesse; tu espionnes ses moindres démarches… Or, si je sais comprendre, comme tu n'es pas homme à vouloir de bien à qui te méprise et te repousse, c'est la rancune qui te conduit.
– Oh! fit négligemment Triboulet, Votre Honneur me flatte; je ne suis ni méchant, ni si profond que cela…
– Allons, dit le chancelier en regardant autour d'eux pour bien s'assurer encore qu'ils étaient seuls, et en baissant la voix malgré cette certitude; c'est assez de préliminaires. Le premier mot que tu m'as dit me prouve que tu sais mon secret, et ceux que tu viens d'ajouter m'assurent que tu peux me servir… Y consens-tu?
La bouche difforme du fou royal s'ouvrit pour laisser passer un gros rire; mais au lieu de le proférer, il se frappa la poitrine du poing pour le réprimer à sa source, et d'un accent incisif et métallique, plus pareil à un grincement de lime qu'à une voix humaine:
– C'est-à-dire que vous voulez que je seconde votre amour pour madame Marguerite de Valois?
– Tais-toi!.. s'écria le chancelier, en appliquant la main sur ses lèvres. Ne répète jamais cela, jamais, entends-tu!
– Bah! grimaça Triboulet, puisque je connais votre passion et que personne ne nous entend!..
– N'importe!.. cette parole coûterait la vie à tout autre qu'à toi. De cette minute, c'est un pacte entre nous; songes-y… Ton dévouement et ta discrétion, ou ta tête…
– Par Notre-Dame du salut! éclata le bouffon en se tenant les côtes, il est heureux que nul ne nous voie, car il ne saurait lequel est le plus fou, de moi qui porte la marotte, ou de Votre Seigneurie qui me tient de tels discours!..
– A d'autres!.. Ce qui est arrêté est arrêté… Je compte sur ton adresse compte sur ma bourse.
– Alors, la feinte est inutile. Mais, insista Triboulet en arrêt sur les traits de son nouveau patron, vous l'aimez donc bien, cette fière princesse?..
– Tais-toi!.. prononça avec une sombre ardeur Antoine Duprat; tais-toi! Ce n'est pas un brasier que tu remues en moi avec ce mot, c'est un volcan!.. N'interroge pas sur un mal que tu ne saurais comprendre.
Triboulet passa sa marotte sur ses lèvres; les paroles et l'accent du ministre avaient amené au coin de sa bouche une légère écume teinte de sang.
– Moi! dit-il avec un éclat de rire strident, je suis un jongleur, un joyeux bouffon, je n'aime que ma marotte!.. ah! ah! ah!
Et faisant pirouetter celle-ci en l'air, il la reçut en équilibre sur son front.
Il est probable, ceci par parenthèse, que le chancelier, auquel tous les moyens étaient bons pour assurer sa politique, n'en était pas à son premier marché avec le maître fou du roi, et que celui-ci, espion et fureteur né du palais, avait déjà rendu plus d'un service de nature suspecte à son noble complice.
Aujourd'hui, au lieu de diplomatie, il s'agissait d'une intrigue galante; qu'importait à Duprat! Il ne voyait qu'une chose, c'est qu'il s'agissait d'y mettre le prix, et l'argent ne lui manquait pas.
– Suis-moi, dit-il.
Le lieu ne lui paraissait pas assez sûr pour achever un entretien de ce genre.
Il sortit de la salle, passa hautain et fier devant les gardes, les huissiers et les pages de la galerie, répondit à peine de la main aux marques de respect des gentilshommes du palais qu'il rencontra dans son trajet, et auxquels le bouffon, meilleur prince, adressait en courant ses malices ou ses grimaces.
Puis, toujours suivi de ce grotesque compagnon, il atteignit son appartement jusqu'à son cabinet de travail.
Refermant alors la porte avec soin, il commença par prendre dans un coffre-fort, dont la clef ne le quittait jamais, et qui, divisé en deux compartiments, contenait, dans l'un, des papiers importants, dans l'autre, son épargne, une pile de ces larges pièces d'or où figuraient, d'un côté, la tête du roi, et de l'autre, l'écu aux trois fleurs de lis.
– Ceci t'appartient, ami Triboulet, dit-il, c'est un quartier arriéré de tes émoluments. Il est bon que nos affaires d'intérêt soient en règle.
– Décidément, ricana le bouffon, Votre Grâce tient à être bien servie.
Duprat se laissa tomber sur un fauteuil.
Triboulet s'accroupit, les jambes croisées, sur la natte.
– Ainsi, reprit le ministre, décidé à s'ouvrir tout entier à son confident,