Les Mystères du Louvre. Féré Octave

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Название Les Mystères du Louvre
Автор произведения Féré Octave
Жанр Историческая литература
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Издательство Историческая литература
Год выпуска 0
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consens; je parlerai. Mais je mets en gage mademoiselle du Carillon contre l'escarcelle de mademoiselle d'Heilly, que vous ne croirez pas un mot de ce que je vais vous dire, tant il est sûr que vérité est bien moins accueillie dans cette auguste Cour que mensonge…

      «Au milieu de cette nuit dernière, pris d'un malaise, je m'étais mis à la fenêtre de mon retrait, là-haut, au quatrième étage, pour essayer si la fraîcheur de l'air ne me soulagerait pas. Il faisait un temps superbe. Madame Phébé et ses filles les étoiles, resplendissaient comme autant de soleils. La cour du Louvre est moins claire en plein midi qu'elle n'était alors.

      «Je ne sais plus à quoi je pensais, – peut-être bien ne pensais-je à rien, comme il arrive si souvent à messire le grand pénitencier, fit-il en se tournant vers ce personnage, qui se contenta de hausser les épaules, – quand j'aperçus, aussi distinctement que je vois ici chacun de vous, un fantôme qui se promenait à travers la cour carrée.

      – Hein!.. un fantôme!.. répéta le grand pénitencier Loys Chantereau.

      – Un fantôme blanc? demanda madame de la Trémouille.

      – Un fantôme noir… tout noir…

      – Et comment sais-tu que c'était un fantôme? objecta messire Loys.

      – Vous allez en juger, reprit le bouffon: c'était un grand corps tout d'une venue; il ne marchait pas, il glissait sur le sable. De la tête aux pieds, il était couvert d'un long drap noir comme on n'en met que sur le cercueil des trépassés. Je n'ai vu ni son visage ni ses mains; tout disparaissait sous ce drap.

      Il avançait donc sans que je distinguasse le mouvement de ses pieds… Je parie qu'ils étaient fourchus.

      – Et où tendait-il? demanda le grand pénitencier qui, en sa qualité d'exorciste, avait une propension à croire aux apparitions et possessions infernales.

      – Il allait tout droit, sans dévier d'un pouce, vers la grosse tour.

      – Eh bien, et les fossés… et le pont-levis?

      – Attendez donc, messire, c'est là que gît le merveilleux. Je me disais aussi: Et les fossés, et le pont-levis?.. mais il en était moins en peine que moi, et n'y pensait guère, car il allait toujours…

      A la Cour du Louvre, on était habitué aux plaisanteries d'un goût équivoque, aux mystifications de messire Triboulet. Tromper les gens, puis se moquer impitoyablement d'eux, était son principal talent. Brouiller les meilleurs ménages, diviser les plus intimes amis, allumer la discorde, susciter les querelles, remuer les médisances, insinuer les calomnies, c'était pour cet étrange objet de la bienveillance royale, récréations journalières.

      Il se rendait parfaitement justice à lui-même; il se savait laid, difforme, repoussant, méprisé des hommes, répulsif aux femmes, incapable d'inspirer ni sympathie ni affection, il avait pris à rebours ce monde qui le dédaignait. Relégué au rang des chiens et des perruches, il empruntait l'instinct des uns et des autres, il mordait et il insultait.

      Autrement fait, autrement placé, eût-il été meilleur? Nous ne savons; la chose n'est pas impossible; la vieille fable de l'amour rognant les griffes du lion n'est-elle pas puisée à l'enseignement éternel de la nature humaine?

      Mais Triboulet était-il capable de ressentir un sentiment si doux?.. et s'il l'eût ressenti, si, en effet, un lambeau de cœur se fût avisé de battre au fond de cette poitrine difforme, quelle femme eût jamais aimé Triboulet?..

      Donc, l'amour étant le foyer, la source du bien, le bouffon, haïssant et haï, appliquait toute son intelligence à faire le mal.

      Il ne laissait pas d'y être encouragé à merveille, hâtons-nous de le dire, par son influence auprès du roi, et par la manière dont chacun saluait ses saillies, tant qu'elles s'exerçaient aux dépens d'autrui.

      Mais on savait aussi ce qu'elles valaient, et c'était à qui se mettrait sur ses gardes dès qu'on voyait poindre une de ces anecdotes scabreuses qu'il inventait ou grossissait si habilement.

      En cette circonstance encore, l'incrédulité avait accueilli le début de son récit, et les lazzis dont il l'avait accompagné d'abord justifiaient ce sentiment. Bientôt, néanmoins, son ton devint si sérieux, son geste si expressif, qu'il rendit son auditoire aussi attentif qu'il était grave lui-même.

      On brûlait trop de sorciers, à cette époque, pour se piquer d'esprit fort. De tout temps le Louvre avait eu une réputation suspecte, sous le rapport des malins esprits ou des revenants.

      Les fosses de la grosse tour avaient étouffé tant d'iniquités, absorbé tant de victimes connues et inconnues, que l'apparition de quelques-uns de leurs spectres ne se présentait pas à l'esprit du grand pénitencier lui-même comme un phénomène trop invraisemblable.

      Le bouffon eut donc la joie de constater, à l'attitude de son auditoire, l'intérêt réel excité par sa narration.

      – Ah! continua-t-il, c'est ici que le bénitier de messire Loys de Chantereau eût été d'un grand secours!..

      «Je suivais pas à pas l'apparition, curieusement accroché aux grillages de ma croisée, et le cœur me battait, je le déclare, comme le vôtre, seigneur de Cossé-Brissac, certain soir que vous attendiez quelqu'un au fond du grand parterre de la reine…

      A cette impertinente apostrophe, le beau Cossé s'agita comme un lion piqué d'un moustique; mais on lui fit signe de réprimer sa colère, et il se contenta de tordre sa moustache en silence.

      – Le fantôme noir arriva enfin aux piliers massifs de l'arcade du roi Charles V. J'écarquillais les yeux de plus belle, car cette construction, frappée d'un côté en plein par la lune, projetait une ombre épaisse de celui de la cour.

      – Enfin?.. demanda l'un des auditeurs impatienté de ces digressions.

      – C'est tout.

      – Comment? tout?

      – Oui, je perdis de vue mon spectre en cet endroit; s'était-il fondu dans l'ombre? Était-il entré dans le pilier? Je ne saurais dire, je n'en ai rien aperçu. En sorte qu'après être demeuré une grande heure et plus en arrêt sur la maçonnerie, sur le fossé et sur la cour, j'ai fait un grand signe de croix, et je suis rentré prudemment dans mon lit, bien plus malade que quand j'en étais sorti.

      «Eh bien, madame la duchesse, et vous, messires, que vous semble de mon aventure? Méritait-elle d'être narrée?»

      – Si je l'entendais de tout autre bouche que celle d'un maître sot, répondit le beau Cossé, qui avait sur le cœur l'insinuation du bouffon, je la tiendrais pour étonnante au premier chef.

      – En fait de sottises, c'est comme en fait d'esprit, messire, n'est pas maître qui veut.

      – Çà, interrompit Hélène de Tournon, parlons raison plutôt, s'il est possible; ne te joues-tu point de nous, suivant ton habitude, messire Triboulet, et tout du moins ne nous contes-tu point comme histoire ce que tu aurais rêvé?

      – Non! par ma marotte! belle dame, je tiens pour bien dit ce que j'ai dit, et la preuve, c'est que de ma vie je n'ai ressenti aussi grand'peur qu'à la disparition plus encore qu'à la découverte de ce fantôme.

      – Ainsi, tu affirmes ton récit! intervint Louise de Savoie.

      – J'ai juré sur ma marotte, tout à l'heure; mais pour vous, mon honorée souveraine, j'atteste sur mon salut.

      Ce serment était trop solennel pour laisser subsister aucun doute. Les courtisans se sentirent comme un effroi involontaire.

      La régente se tourna vers les ecclésiastiques admis à la réception:

      – Quel est votre avis sur tout cela, messires?

      – Notre avis, répondit sentencieusement Loys Chantereau, est que les temps sont calamiteux; or, l'Écriture nous enseigne qu'aux jours néfastes il se produit des signes dans le ciel et sur la terre, pour servir d'avertissement aux pécheurs et aux royaumes.

      – Oui, les temps sont