Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Название Aymeris
Автор произведения Blanche Jacques-Émile
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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nom qui lui semblait être une contrefaçon, car il entendait parler d’Edouard par Mme Demaille, la parente du magistrat M. Manet, père du «barbouilleur» dont elle déplorait l’excentricité. M. Léon Maillac, qui possédait des toiles de Renoir, connaissait la plupart de ces artistes.

      Au retour de ses visites au magasin de Cadart, Georges rentrait chez Jean. Dans un cabinet pris sur l’espace d’une remise servant d’atelier à l’emballeur, Jean lut à Georges Manon Lescaut, des pièces de théâtre d’Octave Feuillet, du Musset, des drames de Victor Hugo; il récita des poèmes «à la gloire de l’amour». Jean s’était épris d’une cousine, choriste à l’Opéra-Comique; il composait pour elle et lui adressait des vers tendres et idylliques, d’une passion éthérée et cérébrale. Georges, pour paraître instruit, répétait des phrases de Viterbo et de Souchon, engageait son Jean à être plus audacieux et moins cérébral dans ses invocations; mais le poète planait et ne comprenait pas mieux que Georges par quels mystérieux maléfices, d’un sentiment tendre pour une belle demoiselle, le même garçon passait à un autre, cet amour dont les effets sont épouvantables, puisque les héros de la classe, avec leur teint de plomb, avaient l’air de pochards ou de chlorotiques.

      Les tièdes et molles journées d’avril qui égarent la raison des vierges, inspirent à ces ardentes colombes des désirs moins clandestins, des inventions moins perfides que l’éveil des sens chez un jeune mâle tapi entre les murs d’une classe de collégiens. Jean et moi reculions de dégoût au bord de ce cloaque, nous refusant à laisser choir la fleur précieuse que nous serrions encore dans notre main.

      Chaque lundi, selon le résultat d’une composition, pour la semaine les élèves changeaient de place sur des amphithéâtres à la mode de 1830, mal aérés, obscurs, empuantis par la respiration de cinquante poitrines. Le professeur ne s’adressait qu’aux meilleurs sujets, ses «chouchoux». Les autres causaient entre eux – et de quoi, mon Dieu! – les moins corrompus étant tout de même très avertis. Un Arménien, Zacharies, trop souvent assis auprès de Georges, c’est-à-dire au dernier rang, lui prêtait des livres, la République des Lettres, périodique publié à Lyon et où parurent les premiers poèmes de Maupassant, «d’un réalisme brutal»; de Zola, l’Assommoir; de Monsieur Mallarmé, des poèmes en prose et en vers. Georges avait eu comme maître d’anglais, en cinquième, ce Monsieur Mallarmé. A cause de sa bonne prononciation, mon ami s’était attiré la sympathie du professeur qui gardait les devoirs d’Aymeris, corrigés à l’encre rouge et d’une écriture ravissante de demoiselle.

      Un sonnet Vere novo, paru dans le Parnasse contemporain de 1876, et que lui signala Zacharies, plut tant à Georges, qu’il supplia Monsieur Stéphane Mallarmé de bien vouloir lui en donner une copie manuscrite. Ces vers, les seuls qu’il pût retenir, il les récitait devant le pavillon des Gonnard, dans le parfum des glycines et des seringas.

      Le printemps maladif a chassé tristement

      L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,

      Et dans mon être à qui le sang morne préside

      L’impuissance s’étire en un long bâillement.

      Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne

      Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,

      Et, triste, j’erre après un rêve vague et beau

      Par les champs où la sève immense se pavane.

      Ce sonnet fut un de mes appâts à la littérature. M. Léon Maillac approuva Mallarmé: comme Claude Monet, Renoir, et, d’une façon générale, mon goût. (Cahiers de 1883.)

      Jessie demeurait invisible. Georges lui écrivait, puisque, le soir, elle n’était jamais plus à table chez Mme Aymeris. L’infidèle ne répondait point à des lettres désespérées.

      Mme Aymeris était seule, à son ordinaire, lisant la Patrie, ou tricotant avec Nou-Miette qui, au lieu de s’en être allée vivre au pays, demeurait, plus que jadis influente, comme femme de charge ou dame de compagnie de sa patronne; elle mangeait avec Mme Aymeris.

      – Ramène donc tes camarades à dîner avec nous, disait maman. Amuse-toi! Vois-tu, mon chéri, je suis trop vieille! Jessie est loin d’être ce que j’eusse espéré, et je la crois d’ailleurs perdue. Elle est comme une feuille de papier blanc, elle ne se traîne plus, elle a peur de se montrer. J’appelle le docteur Brun; Ellen le renvoie, car elle a soi-disant son médecin à elle, et le consulte pour sa sœur. Je ne m’en mêlerai plus, comme diraient tes tantes, jusqu’à ce qu’on vienne me prier de faire quelque chose.

      Nou-Miette se rengorgeait. Georges laissait tomber la conversation, et s’asseyait au bureau de son père où il rédigeait fièvreusement une épître de plus, qu’à la nuit il jetait dans la boîte aux lettres, l’adresse écrite en caractères d’imprimerie pour que la concierge ne reconnût pas sa main; puis il remontait dans sa chambre en se tamponnant les yeux avec ses poings.

      – Georges, ne piétine pas des heures dans ta chambre, tu m’empêches de dormir, mon enfant! Je suis sûre que tu vas encore réciter des vers, au lieu de préparer ta composition de demain!.. – disait maman.

      Il ne pouvait pas répondre, partait en sanglotant.

      Un vendredi treize – Georges en devint superstitieux par la suite – sous une pluie tiède de mai, la voiture l’attendait à six heures et demie, rue du Havre, à la porte du lycée. Dans la calèche, au lieu de Mme Aymeris, était assise la tante Lili. Elle désigna à Georges une petite malle qu’il fallut enjamber pour s’asseoir sur la banquette.

      – A qui cela, tante?

      – Nous passerons par la gare de l’Est avant de rentrer, mon chou. Octave a porté le bagage de la Jessie au chemin de fer et ce colis a été oublié. Il faut que nous le fassions enregistrer pour Cologne.

      Georges presse sa tante Lili de questions; il n’obtient que cette réponse:

      – Nul à la maison ne t’en dira rien, c’est plus convenable, mais la maison est nettoyée! Les intrus ont été flanqués dehors et ce n’est pas trop tôt! Ta chère compagne est partie. Elle sera demain matin dans un couvent sur les bords du Rhin. Ne demande pas d’explications! Tout est pour le mieux. Papa et maman ont été bien inconséquents. Vois-tu, mon petit chéri, on a assez de ses propres parents. A un certain point, bonté et bêtise ne font qu’un. Ta mère est trop généreuse. Ton père a ses occupations; sans cela, c’est lui qui aurait depuis beau temps fait la lessive de ce linge sale…

      Georges, dégoûté par ce ton vulgaire, fait arrêter la voiture, crie à sa tante: – Menteuse! – et rentre à pied.

      Le récit de Mlle Aymeris n’était point exact… Ellen Gonnard était encore dans son pavillon. Le lendemain matin, un pot de faïence à la main, elle se rendait à la loge de la concierge où l’on déposait le lait pour son ménage. Gonnard ne l’accompagnait pas jusqu’à la grille, comme d’ordinaire, quand il s’en allait au manège, la taille pincée, les jambes arquées et faisant sonner ses éperons; aujourd’hui, Ellen était seule, les yeux rougis par les larmes. L’atmosphère de la maison était plus lourde encore que de coutume. Avant de se remettre en route pour Fontanes, muet, Georges prit son thé dans la chambre de sa mère. Mme Aymeris, enfin, jugea nécessaire de rompre le silence:

      – Tu sais, Jessie est dans un couvent… Il fallait compléter son éducation; une occasion s’est offerte, elle est partie hier. Elle sera heureuse là-bas. La pauvre enfant m’a donné un témoignage de confiance et d’affection que j’eusse à peine attendu de sa part. Elle m’a chargée de te demander pardon.

      Georges détourna la tête. Mme Aymeris reprit:

      – Sache seulement que M. Gonnard est un misérable; il était cruel pour sa femme et sa belle-sœur. Si je te disais tout, tu ne comprendrais pas… Ton père a séparé le couple, et délivré Jessie qui était sous la domination de son coquin de beau-frère. Nous ne verrons plus ce