Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Название Aymeris
Автор произведения Blanche Jacques-Émile
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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d’un pèlerin, avec son bâton, sa gourde et les coquilles; l’autre statue, la madone, faisait une «pointe», comme une danseuse, sur un croissant argenté, et semblait s’élancer de ce tremplin vers le Père-Eternel. Un prie-dieu de bois noir et or, avec tapisserie à semis de fleur de lis, remplissait presque cette chapelle où Mme Aymeris demandait des forces à Dieu, quand elle se sentait faiblir, au souvenir de Marie et de Jacques, toujours présents à sa pensée. Georges respirait dans la chapelle une atmosphère idoine à ses rêveries. Il y entraîna sa compagne; mais, sans imagination, Jessie ne savait plus qu’y faire, après avoir balayé le tapis, mis les vases et les candélabres en ordre. Georges, à genoux sur le prie-dieu, ou immobile par terre, comme endormi, mettait Jess en fuite. Certain jour, elle le crut mort. – Où est Georges? lui demanda-t-on. On la pressa de questions, mais elle avait promis à Georges de ne jamais révéler la cachette. – Je ne l’ai pas vu. – Il sera sorti.

      Puis se troublant, elle avoua tout. On sonnait la cloche pour un repas, et Georges regagna la maison, plus muet encore, mais irradiant la foi du martyr, les prunelles étincelantes, quand sa mère lui dit: – Regarde-moi en face, dis-moi la vérité: tu étais à l’oratoire?

      – Je causais avec le Bon Dieu.

      Nous verrons plus tard que Mme Aymeris considérait le Bon Dieu comme un interlocuteur avec lequel un enfant, et même un adulte, ne peuvent pas se permettre des familiarités; sa religion était toute de crainte et elle n’en parlait jamais.

      Si les tantes fréquentaient l’église par décence et tradition, elles aimaient peu les enfants qui causent avec le Bon Dieu, «dans une ferveur morbide». Pierre avait, selon elles, de bons sentiments mais, comme les hommes très occupés, ne pratiquait cependant guère… De qui tenait donc Georges? Quel étrange petit être! Passe encore pour ses jeux d’artiste en herbe et sa manie de s’habiller en enfant de chœur! Mais on lui posait trois questions pour qu’il vous balbutiât une réponse… Il hésitait, ou feignait de ne point entendre. Fallait-il que le dernier des Aymeris fût si dégénéré, qu’il tombât en catalepsie, se vautrât dans un oratoire, au pied d’une «Anglaise idiote»? Ah! ces mariages tardifs entre cousins germains!

      Comme cadeau du jour de l’an, Georges choisit une chasuble d’or; il annonce qu’il se fera prêtre, qu’il sera pape peut-être; pour le moins évêque ou cardinal. Ce goût des grades et des pompes catholiques atténuait le déplaisir que prenaient ses tantes de ses trop longues prières à l’oratoire. Néanmoins, sa piété avait «quelque chose de théâtral et de mondain» pour des respectables demoiselles qui se croyaient si modérées en tout. Georges voulut acheter des vêtements sacerdotaux, des ornements d’église, des chromolithographies de Sa Sainteté Pie IX, et une vue du Vatican sur un certain abat-jour, où des trous d’épingle étaient percés à l’endroit des fenêtres et des fontaines jaillissantes de la place Saint-Pierre. Un jour, il apparut dans une robe de soie violette, de la garde-robe de sa mère, tendit sa main pour faire baiser une bague d’améthyste.

      Donc il serait pape! Et Jessie?.. Ah! Jessie! Elle serait supérieure d’un couvent, comme la tante de la rue d’Ulm. Sur ces entrefaites, l’abbé Gélines sollicita des Aymeris un «entretien sérieux». Tant au catéchisme qu’au confessionnal (on approchait du 12 mai, date de la communion), la tête de Georges semblait trop travailler, – dit l’abbé Gélines. L’abbé Gélines avait reçu les confidences de Georges, des aveux de songes bizarres, peut-être dus à la fièvre; hélas! d’un genre que l’ecclésiastique qualifia d’immodeste. Il se permettait ce mot en vieil ami de la maison.

      L’abbé fut sur le point d’interdire à Georges de faire sa première communion. Le curé de la paroisse «en personne» vint voir M. Aymeris, rapporta confidentiellement les scrupules du vicaire; ces messieurs inclinaient pour un collège de Jésuites, dont la discipline sévère rendrait la santé à Georges, en l’arrachant à des influences féminines. M. le curé laissait «à la sagacité de M. Aymeris de les découvrir».

      Le père se rebiffa. Les prêtres allaient-ils lui parler comme les médecins qu’il consultait à l’insu de Mme Aymeris? Georges était déjà en retard dans ses études, à cause de la guerre: il fallait d’urgence qu’il communiât cette année… Et que pas un mot, surtout, ne fût dit à la mère.

      La Journée d’un Chrétien, l’Ange Gardien du Premier Communiant, les ouvrages de la comtesse de Flavigny, le livre de Cantiques, entretenaient Georges dans un état de surexcitation qui se traduisait par un besoin de parler et de chanter. Sa voix dominait celle de ses camarades, quand on entonnait: Esprit-Saint, descendez en nous. Se prosternait-il? Georges ne se relevait que si l’abbé Gélines lui touchait l’épaule, longtemps après que les autres enfants s’étaient rassis. Aux sermons de la retraite, Georges eut des crises de nerfs et, le dernier soir, une syncope. Le lendemain, jour de la Suprême Joie, le suisse dut soutenir Georges, le ramena jusqu’à sa chaise, lui ayant arraché des mains la sainte nappe dans laquelle il sanglotait. Après l’office, Miss Ellen et Nou-Miette voulurent faire rentrer Georges à la maison. Il les repoussa: – Laissez-moi! Je porte en moi le Sang et la Chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ – dit-il. – Je resterai à l’église; qu’on déjeune sans moi! Et ce furent M. l’abbé Gélines, le suisse, le bedeau et la chaisière, qui le mirent de force dans la rue.

      Sur la terrasse du parc, la famille Aymeris, rassemblée, attendit Georges; il n’apparaissait point. Où donc était passé le communiant, en l’honneur duquel un repas solennel était donné? Jessie courut jusqu’à l’oratoire, peut-être Georges serait-il encore blotti derrière son prie-dieu, tout près de l’autel?

      L’oratoire était vide.

      M. le curé devait présider au repas. A une heure, on se mit à table, car les vêpres étaient pour deux heures et demie. Des serviteurs se répandirent dans le quartier – à cette époque, Passy était un village. Du haut de l’impériale de 1’«américaine de Versailles», un voisin croyait avoir vu Georges se dirigeant vers la Seine.

      Une nouvelle catastrophe menaçait-elle la maison?

      Non, à deux heures, Georges était agenouillé, à la paroisse, avant le retour de ses camarades… et l’on ne sut rien du mystérieux emploi qu’il avait fait de son temps, entre la messe et les vêpres: il prétendit qu’il était allé en bateau-mouche à Notre-Dame, baiser les reliques, le morceau de la Très Sainte Couronne d’épines que l’on conserve dans une châsse. Au vrai, comment eût-il eu le temps d’y aller? Il s’embrouilla dans des mensonges peu dignes d’un petit saint.

      Mon ami avoue, dans ses cahiers rétrospectifs, qu’il était resté tout bêtement étendu sous son lit, pris de court pour inventer quelque chose d’admirable et qui lui valût des louanges. En rentrant de la messe, il avait volé, dans l’office d’Antonin, un des gros babas à la crème, en réserve pour le goûter, et des sandwiches qu’il dévora avant de s’offrir un court somme dans l’obscurité. Son seul dessein avait été de faire croire aux «centenaires» que «le petit saint» s’était envolé pour le Paradis.

      Paradis ou Notre-Dame, ses parents comprirent alors qu’ils n’étaient point au bout de leurs tourments. Mme Aymeris eut recours au fameux remède de Miss Ellen: la campagne. Dès la fin de mai, on expédia Georges à Longreuil. Le docteur Brun lui ordonna de longues vacances, un repos total, pour combattre l’anémie, fortifier son corps et «l’armer contre les assauts de son imagination».

      On suspendit les leçons, on cacha les livres et la musique. Georges tomba en mélancolie et, une fois encore, Mme Aymeris se demanda comment on le distrairait, puisque la marche lui était contraire et qu’il devrait, des semaines, rester au jardin sans rien faire. Le bébé et l’adolescent, la fillette et le garçon qu’il était à la fois, parlaient chacun sa langue; et les femmes de son entourage, si habituées qu’elles fussent à leur tâche, durent s’avouer vaincues. Elles «donnaient leur langue au chat». Quand il fut mieux, Georges se promena seul, la compagnie de Jessie étant défendue. Parfois, il ne rentrait pas, à la nuit. Son père songea à prendre un précepteur. Mme Aymeris inclinait à garder Georges tout à elle, tel qu’il était.

      Les