Название | Aymeris |
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Автор произведения | Blanche Jacques-Émile |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– J’espère! Rien de plus, n’est-ce pas? s’était écriée Mme Aymeris. Ce qui me crucifie, ce sont nos explications devant Georges. M. Aymeris fait le saint Martin, il coupe son manteau en deux. J’aurais eu le droit à plus que la moitié. J’étais pourtant sa collaboratrice naturelle, intelligente, je crois, ou pas plus sotte qu’une autre… l’humble alliée de cet homme supérieur. Je n’ai pas été habile? Je lui fais peur! On dit que je suis frémissante. M’en a-t-on rebattu les oreilles, de ma sensibilité frémissante! Enfin, mettons que nos caractères dans l’âge mûr aient été trop formés. M. Aymeris ne pouvait pas plus se refaire que moi. Parfois j’ai la mort dans l’âme, mais céder? non! Alors, il s’en va, court ailleurs, à son apostolat! Je ne demanderais qu’à en être, de ses charités… pourvu que ce ne fût pas à la façon de l’autre. Vous me trouvez bien ridicule? Mon ami, il y a des êtres qui aiment jusqu’à la mort… comme à vingt ans! J’en suis!
– «Ne laisse jamais une place vide, tôt ou tard quelqu’un s’y glisse» – dit Léon Maillac, qui comme Mme Demaille citait volontiers des dictons.
– S’y glisser, ce n’est pas la manière de Marianne Demaille, la pauvre bonne. Si son genre de bonté répond aux besoins de Pierre, tant mieux pour elle! moi, je juge, je tiens à décider, j’ordonne même, dit-on. Alors M. Aymeris dissimule pour n’en faire qu’à sa guise, et le tour est joué! Il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat, si l’avenir de Georges… Enfin, je tiens les cordons de la bourse… Pourquoi complotent-ils? Pourquoi retire-t-on les clefs du classeur, où ils rangent les lettres de quête? Ils complotent comme des gamins…
On ne complotait pas rue de la Ferme et Mme Aymeris le savait mieux que quiconque.
L’avocat s’y rendait avant le dîner. Mme Demaille allait ouvrir la porte, dès que les roues de la voiture grinçaient contre le trottoir, et elle riait dans l’escalier: – C’est vous, Monsieur? Vite! Vous m’abandonnez donc? Je croyais que vous ne viendriez plus! Hier, dix minutes en retard; aujourd’hui un quart d’heure! D’où venez-vous, si je ne suis pas indiscrète? Encore de chez vos serruriers aux quatorze enfants, ou de chez quelqu’autre de vos indigents… Et moi, ne suis-je pas une indigente aussi?
M. Aymeris une fois dans le salon déboutonnait sa pelisse, déposait son chapeau sur la table, mettait une calotte de soie, il était chauve et craignait les refroidissements.
– Ah! ma bonne, des reproches? Vous aussi?
Et Mme Demaille le faisant asseoir près du feu, déficelait devant lui deux paquets noués de faveurs bleues ou roses, qu’elle enroulait à ses doigts.
Mme Demaille rendait compte de sa journée:
– J’ai fait un tour de visites à mes contemporaines, puisqu’elles ne sortent plus. A notre âge, on ne doit pas se laisser engourdir. Nous ne sommes plus que trois de chez Mlle Sauvant! Donc, j’ai été chez Mélanie, et puis, en revenant, j’ai pris un petit fiacre, oui monsieur, pour faire vos emplettes: un brave homme de cocher, un cheval boiteux – ils n’allaient pas trop vite, rassurez-vous! Voici vos commissions, monsieur: des gants du Tyrol, la spécialité de la rue Chauveau-Lagarde, la petite boutique près du marché…
– Oui, je sais, ma bonne!..
– Ils sont un peu plus clairs que les derniers, monsieur; et puis il n’y a plus de bretelles souples en tricot rouge: il a fallu les faire faire chez Aucoc. Enfin les voici. Vous plaisent-elles? Ça a pris du temps! Chauffez-vous les pieds, mon ami, vous devez les avoir froids, il n’y a rien de mauvais comme le froid-(t) aux pieds…
– Ma chère, on ne lie pas le d de froid!
– …Thonérieux ne fabrique plus de ces grosses semelles doubles, cousues comme jadis. Ces fournisseurs sont tout à la moderne! Quelle farce! Enfin! mais, dites-moi, vos gens de Vaugirard, comment que ça va, monsieur?
– Ah! ma bonne! Je vous en prie, qu’est-ce que cela vous coûterait de dire ça va-t-il? Vous faites encore le bébé!
Me Aymeris ramène sa calotte de soie sur son nez. Mme Demaille minaude.
– J’en r’deviens peut-être un, de bébé! C’est pour ça que j’ai besoin de vous, mon jeune papa!
– Ah! ma bonne! non!.. de bébé!.. pourquoi de?
M. Aymeris coupe court à ces badineries par des questions qui comportent des réponses nettes:
– Josselin a-t-il porté les caleçons de laine aux pauvres petits diables de tuberculeux de la femme Cauches? J’ai préféré faire faire la chose par vous, ma bonne, par vous qui avez des jambes de quinze ans!
– Elles me sont revenues en rajeunissant, alors, Monsieur?
– Ah! cette fois, non, ma bonne, assez du genre bébé!
Mme Demaille prend peur.
– C’est bon: tout ce que vous voulez! je suis à votre disposition, toujours et chaque fois qu’Alice ronchonne. En ce moment Alice en a après les Cauches, ça passera comme c’est venu mais… on ne sait jamais, avec ses bizarreries!.. elle fait du «chichi»!
M. Aymeris implore du geste; encore un mot qui ne figure pas dans le dictionnaire!
– Ah! non, ne parlez pas ainsi, ma bonne! Alice est aussi charitable qu’on peut l’être, mais avec ses indigents; elle a les siens, elle a ses œuvres, elle dit que je ne compte pas assez. C’est peut-être vrai…
Mme Demaille se trouble.
– Eh quoi, monsieur le richard? quand vous serez à sec je vous passerai ma bourse, elle est plate… mais tout de même!
M. Aymeris n’aime point non plus cette plaisanterie.
Josselin salue et prononce, comme un maître des cérémonies qui invite la famille d’un mort à partir pour l’église:
– Madame est servie!
Mme Demaille courbe son bras en anse de panier:
– La main aux dames, Monsieur!
M. Aymeris profère un long «ma chè…ère!», obsédé par le retour quotidien de cette formule et de la révérence qui la souligne. On mange le potage à la crème de riz; la maîtresse de maison astique, à l’indignation de Josselin, une cuiller où l’on se mirerait; le convive la retire du poing de Mme Demaille, et repose la cuiller sur la nappe, s’excuse: – Vous connaissez votre maîtresse, mon brave! – Et l’on mange en silence.
Du temps du lycée, on composait le menu de Georges, pour le lendemain. Me Aymeris se tournait vers Josselin: – Monsieur Georges a-t-il un peu déjeuné aujourd’hui? Il n’a pas d’appétit le pauvre enfant? Il est si nerveux! Je ne sais pas ce qu’il a! Il ne cause qu’avec sa mère.
Josselin fait: hum! hum! tousse, et son larynx étant dégagé: – M. Georges a eu de la salade qu’on avait pour nous à la cuisine, i’n’mange que des cochonneries, sauf vot’respect, monsieur…
– Josselin, vieux nigaud, dites pas ça à M. Aymeris, on ne peut pas faire mourir de faim cet enfant, quand il refuse des nouilles et de la laitue cuite. Aviez-vous lavé la salade à l’eau filtrée, Josselin?
– On tuera mon fils, conclut papa.
Tels étaient les propos de l’avocat chez sa vieille amie, comme nous les rapporte Georges, dans ses cahiers d’enfance.
Mme Demaille aurait en ce temps-là – c’était hier encore – voulu posséder Georges, du matin au soir, et le faire marcher, manger engraisser, «forcir». Georges (une autre des remarques quotidiennes de la bonne dame) était «tout du côté d’Alice»; ce n’était pas le bon cher Jacques! Celui-là avait votre cœur, votre bonne humeur de jadis, enfin vos perfections, monsieur! D’ailleurs, les nerfs de