Childéric, Roi des Francs, (tome premier). Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie

Читать онлайн.
Название Childéric, Roi des Francs, (tome premier)
Автор произведения Comtesse de Beaufort d’Hautpoul Anne Marie
Жанр Историческая литература
Серия
Издательство Историческая литература
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/34991



Скачать книгу

blessure au point que sa vie étoit menacée; les remèdes pourront la prolonger, mais ils laissent craindre une mort prochaine ou des souffrances habituelles; le monarque s'affoiblit de jour en jour; Viomade en est troublé, tandis que l'ambitieux Egidius jouit en secret et s'abandonne à une grande espérance. Egidius, général de la milice romaine, et gouverneur pour les Romains dans la Gaule, commandoit à Soissons, et avoit la faveur de l'armée; brave et adroit, il s'étoit fait une reputation guerrière, et passoit également pour réunir toutes les vertus: il savoit se montrer aux hommes sous l'aspect le plus favorable à ses projets, et cachoit avec art son vrai caractère et ses desseins. Depuis la perte du jeune prince, il s'étoit toujours flatté de succéder à Mérovée; c'étoit dans cette pensée qu'il avoit répandu le bruit de la mort de Childéric, passant dans une barque ennemie; un roi sans héritier, et mourant lui-même, n'étoit plus qu'un foible obstacle à son ambition; il se plaît à répandre dans l'armée de secrètes inquiétudes sur la santé chancelante du souverain, sur l'inaction dans laquelle il va tenir ses troupes si accoutumées à combattre et à vaincre, sur la nécessité d'élire un chef pour le remplacer pendant les combats; mais son parti n'est pas assez fort: il craint l'horreur qu'inspire le nom romain, l'amour du peuple pour son roi, les Druides dont il ne suit pas la religion, et dont il redoute l'empire; mais ce qu'il craint bien plus encore que la haine ou l'amour léger d'un peuple inconstant, extrême, facile à émouvoir, à contenir, à exciter, qui n'ayant pas de volonté qui lui soit propre, cède à tout ce qui le maîtrise, et semblable à cette même onde qui s'irrite, se soulève, déborde au gré du vent qui l'agite, se calme et s'écoule lentement, sans que sa fureur ni sa tranquillité viennent d'elle-même; ce qu'il craint enfin plus que les Druides, le roi et toute l'armée, c'est Viomade, ce brave toujours occupé de son maître, déjouant les projets, et le surveillant avec autant de zèle que d'activité et d'intelligence, aimé du monarque comme de la France entière. Egidius n'a pas de plus forte barrière entre lui et le trône; la renverser paroît impossible, la force du moins seroit impuissante; Egidius aura recours à la ruse, arme du lâche, et l'ingrat Draguta va servir ses odieux projets. Draguta, né parmi les Huns, avoit poursuivi Viomade avec audace et témérité devant Cologne; blessé dangereusement, il étoit tombé parmi les morts, on l'avoit trouvé pendant la cérémonie funèbre qui suit les sanglans exploits, il respiroit encore, il fut transporté parmi les blessés par ordre de Viomade, il fut traité avec soin et générosité. Sa blessure étoit si dangereuse, qu'il fut plus d'une année sans se rétablir entièrement; par reconnoissance il témoigna le désir de rester encore près de son bienfaiteur. Egidius l'ayant souvent aperçu, crut démêler dans ses regards l'ame d'un traître, et l'ayant fait sonder adroitement, il vit qu'il ne s'étoit point abusé, et que Draguta joignoit aux connoissances qu'il avoit su acquérir depuis son arrivée en France, et pendant un séjour de plusieurs années, la férocité de sa patrie, et la haine du nom des Francs, que des secours et tant de bienfaits n'avoient pu éteindre.

      Instruit des volontés d'Egidius, flatté des récompenses énormes qui lui sont promises, heureux surtout de satisfaire sa fureur et d'assouvir sa vengeance, Draguta se présente à son bienfaiteur; il s'efforce de donner à ses traits plus de douceur, à son sourire moins de perfidie; mais il n'a rien à redouter du cœur franc et sans défiance du plus vertueux des braves, qui, incapable de feindre, l'est aussi de soupçonner. Je vous dois, lui dit le fourbe, le bonheur et la vie, m'acquitter est un devoir et un besoin; je viens satisfaire mon cœur, en rendant au vôtre et la joie et l'espoir. Viomade l'écoute, et lui tendant la main avec cette franchise d'une grande ame: Parle, ami, lui répond-il, mais crois qu'en te conservant le jour, j'ai déjà reçu ma récompense.

      Draguta, loin d'être attendri par ces paroles et l'air plein de douceur dont elles furent accompagnées, s'applaudit au contraire d'avoir à tromper un si facile ennemi, et reprenant son discours, il dit: Vous pleurez Childéric depuis cinq années; mon amour pour Attila, mes sermens de fidélité, mon devoir, m'ont défendu de vous instruire de sa destinée; mais mon roi n'est plus, et ce que je vous dois m'ordonne aujourd'hui de vous révéler ce que j'ai dû vous taire: Childéric est prisonnier. Clodebaud l'ayant aperçu pendant la terrible bataille qui coûta tant de sang à ma malheureuse patrie, nous ordonna de nous emparer du jeune prince, et je fus du nombre de ceux qui l'enlevèrent; je le remis à Clodebaud, qui fier et heureux d'une si belle proie, jura d'épargner ses jours, mais de le vouer à un éternel esclavage.

      Après avoir ainsi obéi à mon général, je revins au combat, où je vous attaquai avec une rage dont je fus puni; vos soins généreux ouvrirent mon ame au repentir, et souvent en voyant les douleurs que vous causoit l'absence du prince, je fus sur le point de vous tout avouer; retenu par mon attachement pour Attila, je résistai au mouvement qui m'entraînoit; j'ignorois d'ailleurs si Clodebaud avoit réellement laissé la vie au prince; mais depuis qu'Attila n'est plus, j'ai su par ceux qui sont venus apporter la nouvelle de sa mort, que Childéric étoit vivant, et réduit à la plus honteuse servitude; que Clodebaud, qui conserve le commandement d'une partie des troupes, insulte sans cesse à son malheur, et qu'il n'est pas impossible de le délivrer, si vous voulez suivre mes avis et accompagner mes pas. Je le veux! s'écria Viomade en se levant et avec une noble vivacité; ô Draguta! je le veux, sois mon guide, mon interprète, mon bienfaiteur; ma reconnoissance sera sans bornes comme tes bienfaits, compte sur celle d'un grand roi, d'un père à qui tu rendras le bonheur. Eh bien! reprit Draguta, partons promptement et sans suite, car nous serions arrêtés, et le nombre ne nous sauveroit pas; je vous promets le secours de mes frères, tous jeunes, vaillans et hardis; je vous conduirai par de secrètes routes, qui nous éviteront des rencontres fâcheuses. Au reste, je répondrai de vous, et vous n'aurez rien à craindre. Je ne crains rien non plus, lui dit Viomade, ma vie est à mon roi; vivre et mourir pour lui, voilà ma noble destinée; mais retire-toi, Draguta, je vais porter à mon auguste maître l'espérance que tu as répandue dans mon cœur; reçois cette bourse d'or, non comme une récompense; ah! Draguta, qui jamais pourra te récompenser! Le brave à ces mots embrasse avec attendrissement le perfide qui, sans repentir et sans trouble, approche de ce cœur d'où s'émanent tant de vertus.

      Viomade, l'ame ouverte à la plus vive joie, s'empresse de verser dans le sein paternel l'espoir dont lui-même est enivré, et vole rejoindre son maître; sa physionomie exprime tant de bonheur, que Mérovée en est frappé, et sourit à la félicité d'un ami. Quelle fut son émotion au récit animé et consolateur de Viomade! Childéric esclave et malheureux! quelle pensée pour un père et pour un roi! Mais Childéric vivant! et rendu à son amour! Hélas! pourquoi ce bonheur ne peut-il plus être partagé par Aboflède? A cette triste pensée, le front de Mérovée s'obscurcit, et la douce joie dont il rayonnoit s'est éteinte. Ah! sans le douloureux mélange de regrets et d'espoir, le bonheur inespéré du roi seroit trop vif, il auroit peine à le supporter. Viomade ne trouble point les méditations de son maître, il lit dans son ame, il voit se succéder les sentimens tristes et doux, et attend que le calme y renaisse pour lui parler avec cette franchise qui le distingue. Mérovée, reprenant bientôt un noble empire sur lui-même, lève sur son ami des regards paisibles, et Viomade lui parle ainsi:

      Je n'ai pas besoin de dire au plus aimé des rois que je suis prêt à partir; mais je dois l'instruire qu'Egidius agite l'armée turbulente, et que la paix dont nous jouissons, après tant de combats et de victoires, est déjà le sujet d'audacieux murmures. Cet ambitieux romain, que nous avons tant de fois vaincu et repoussé, s'est fait de ses défaites même un titre à la gloire; son adresse égare les troupes, et vous dépeint, accablé par les chagrins et les souffrances, incapable de combattre, anéanti sous le poids des maux; il annonce que les Saxons sont prêts à vous attaquer; un mot de vous peut détruire ses orgueilleuses espérances; le danger s'accroît: ô mon roi! épargnez aux Francs l'ingratitude et le repentir; daignez assembler votre armée, et vous montrer à elle plein d'espérance. Annoncez le retour du descendant de Pharamond; le peuple aime l'aspect du roi, et vos malheurs ont trop long-tems privé les Francs de votre auguste présence.

      Mérovée, à ce discours, reconnoît la prudence et l'amitié de Viomade; il donne à l'instant ses ordres pour que l'armée soit assemblée le lendemain au champ de Mars, et pour qu'un grand sacrifice soit préparé: il veut, et remercier les dieux du bonheur qu'il éprouve, et attirer leur toute puissante protection sur le voyage que médite son généreux ami, et sur ce fils qui semble déjà