Han d'Islande. Victor Hugo

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Название Han d'Islande
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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ce que l'on doit aux morts?

      – Oh! s'écria le pauvre concierge, grâce, ce n'est pas moi! Si vous saviez!.... Et il s'arrêta, car il se rappela ces mots du petit homme: Sois fidèle et muet.

      – Avez-vous vu quelqu'un sortir par cette ouverture? demanda-t-il d'une voix éteinte.

      – Oui. Est-ce ton complice?

      – Non, c'est le coupable, le seul coupable! j'en, jure par toutes les réprobations infernales, par toutes les bénédictions célestes, par ce corps même si indignement profané!– Et il s'était prosterné sur la pierre devant Ordener.

      Tout hideux qu'était Spiagudry, il y avait cependant dans son désespoir, dans ses protestations, un accent de vérité qui persuada le jeune homme.

      – Vieillard, dit-il, relève-toi, et si tu n'as point outragé la mort, n'avilis point la vieillesse.

      Le concierge se releva. Ordener continua:

      – Quel est le coupable?

      – Oh! silence, noble jeune seigneur, vous ignorez de qui vous parlez. Silence!

      Et Spiagudry se répétait intérieurement: Sois fidèle et muet.

      Ordener reprit froidement:

      – Quel est le coupable? Je veux le connaître.

      – Au nom du ciel, seigneur! ne parlez pas ainsi, taisez-vous, de peur....

      – La peur ne me fera point taire et te fera parler.

      – Excusez-moi, pardon, mon jeune maître! dit le désolé Spiagudry, je ne puis.

      – Tu le peux, car je le veux. Tu nommeras le profanateur!

      Spiagudry chercha encore à tergiverser.

      – Eh bien! noble maître, le profanateur de ce cadavre est l'assassin de cet officier.

      – Cet officier est donc mort assassiné? demanda Ordener, ramené par cette transition au but de sa recherche.

      – Oui, sans doute, seigneur.

      – Et par qui? par qui?

      – Au nom de la sainte que votre mère invoquait en vous donnant le jour, ne cherchez pas à savoir ce nom, mon jeune maître, ne me forcez pas à le révéler.

      – Si l'intérêt que j'ai à le savoir avait besoin d'être accru, vous y ajouteriez, vieillard, l'intérêt de la curiosité. Je vous commande de me nommer ce meurtrier.

      – Eh bien, dit Spiagudry, remarquez ces profondes déchirures produites par des ongles longs et tranchants sur le corps de ce malheureux. Elles vous nomment l'assassin.

      Et le vieillard montrait à Ordener de longues et fortes égratignures sur le cadavre nu et lavé.

      – Comment? dit Ordener, est-ce quelque bête fauve?

      – Non, mon jeune seigneur.

      – Mais, à moins que ce ne soit le diable....

      – Chut! prenez garde de trop bien deviner. N'avez-vous jamais entendu parler, poursuivit le concierge à voix basse, d'un homme ou d'un monstre à face humaine, dont les ongles sont aussi longs que ceux d'Astaroth qui nous a perdus, ou de l'Antéchrist qui nous perdra?

      – Parlez plus clairement.

      – Malheur! dit l'Apocalypse....

      – C'est le nom de l'assassin que je vous demande.

      – L'assassin… le nom?.... Seigneur, ayez pitié de moi, ayez pitié de vous.

      – La seconde de ces prières détruirait la première, quand bien même des motifs graves ne me forceraient pas à t'arracher ce nom. N'abuse pas plus longtemps....

      – Eh bien, vous le voulez, jeune homme, dit Spiagudry se redressant et d'une voix haute, ce meurtrier, ce profanateur est Han d'Islande.

      Ce nom redoutable n'était pas ignoré d'Ordener.

      – Comment! reprit-il, Han! cet exécrable bandit!

      – Ne l'appelez pas bandit, car il vit toujours seul.

      – Alors, misérable, comment le connaissez-vous? Quels crimes communs vous ont donc rapprochés?

      – Oh! noble maître, daignez ne pas croire aux apparences. Le tronc de chêne est-il vénéneux parce que le serpent s'y abrite?

      – Point de vaines paroles! un scélérat ne peut avoir d'ami qu'un complice.

      – Je ne suis point son ami, et moins encore son complice; et si mes serments ne vous ont pas persuadé, seigneur, veuillez de grâce remarquer que cette profanation détestable m'expose, dans vingt-quatre heures, quand on viendra relever le corps de Gill Stadt, au supplice des sacrilèges, et me jette ainsi dans la plus effroyable inquiétude où innocent se soit jamais trouvé.

      Ces considérations d'intérêt personnel firent encore plus sur Ordener que la voix suppliante du pauvre gardien, auquel elles avaient probablement inspiré en bonne partie sa pathétique, quoique inutile résistance au sacrilège du petit homme. Ordener parut méditer un moment, pendant lequel Spiagudry cherchait à lire sur son visage si ce repos déciderait la paix ou ramènerait la tempête.

      Enfin il dit d'un ton sévère, mais calme:

      – Vieillard, soyez véridique. Ayez-vous trouvé des papiers sur cet officier?

      – Aucun, sur mon honneur.

      – Savez-vous si Han d'Islande en a trouvé?

      – Je vous jure par saint Hospice que je l'ignore.

      – Vous l'ignorez? savez-vous où se cache ce Han d'Islande?

      – Il ne se cache jamais, il erre toujours.

      – Soit; mais enfin quelles sont ses retraites?

      – Ce païen, répondit le vieillard à voix basse, a autant de retraites que l'île de Hitteren a de récifs, que l'étoile Sirius a de rayons.

      – Je vous engage de nouveau, interrompit Ordener, à parler en termes positifs. Je vais vous donner l'exemple; écoutez. Vous êtes mystérieusement lié avec un brigand dont vous soutenez ne pas être le complice. Si vous le connaissez, vous devez savoir où il s'est maintenant retiré.– Ne m'interrompez pas.– Si vous n'êtes pas son complice, vous n'hésiterez pas à me conduire à sa recherche.

      Spiagudry ne put contenir son effroi.

      – Vous, noble seigneur, vous, grand Dieu! plein de jeunesse et de vie, provoquer, rechercher ce démoniaque! Quand Ingiald aux quatre bras combattit le géant Nyctolm, du moins avait-il quatre bras.

      – Eh bien, dit Ordener en souriant, s'il faut quatre bras, ne serez-vous pas mon guide?

      – Moi! votre guide! Comment pouvez-vous vous railler ainsi d'un pauvre vieillard qui a déjà presque besoin d'un guide lui-même?

      – Écoutez, reprit Ordener, n'essayez pas vous-même de vous jouer de moi. Si cette profanation, dont je veux bien vous croire innocent, vous expose au châtiment des sacrilèges, vous ne pouvez rester ici. Il vous faut donc fuir. Je vous offre ma sauvegarde, mais à condition que vous me conduirez à la retraite du brigand. Soyez mon guide, je serai votre protecteur. Je dis plus; si j'atteins Han d'Islande, je l'amènerai ici mort ou vif. Vous pourrez prouver votre innocence, et je vous promets de vous faire rentrer dans votre emploi. Voilà, en attendant, plus d'écus royaux qu'il ne vous en rapporte par an.

      Ordener, en gardant la bourse pour la fin, avait observé dans ses arguments la gradation voulue par les saines lois de la logique. Cependant ils étaient par eux-mêmes assez forts pour faire rêver Spiagudry. Il commença par prendre l'argent.

      – Noble maître, vous avez raison, dit-il ensuite, et son?il, jusqu'alors indécis, se releva sur Ordener. Si je vous suis, je m'expose quelque jour à la vengeance du formidable Han. Si je reste, je tombe demain entre les mains du bourreau Orugix.– Quel est donc déjà le supplice des sacrilèges? N'importe.– Dans les deux cas, ma