Han d'Islande. Victor Hugo

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Название Han d'Islande
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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ton profond respect pour mon sabre?

      – Par saint Waldemar, par saint Usuph, au nom de saint Hospice, épargnez un mort!

      – Aide-moi, et ne parle pas des saints au diable.

      – Seigneur, poursuivit le suppliant Spiagudry, par votre illustre aïeul saint Ingolphe!…

      – Ingolphe l'Exterminateur était un réprouvé comme moi.

      – Au nom du ciel, dit le vieillard en se prosternant, c'est cette réprobation que je veux vous éviter.

      L'impatience transporta le petit homme. Ses yeux gris et ternes brillèrent comme deux charbons ardents.

      – Aide-moi! répéta-t-il en agitant son sabre.

      Ces deux mots furent prononcés de la voix dont les prononcerait un lion, s'il parlait. Le concierge, tremblant et à demi mort, s'assit sur la pierre noire, et soutint de ses mains la tête froide et humide de Gill, tandis que le petit homme, à l'aide de son poignard et de son sabre, enlevait le crâne avec une dextérité singulière.

      Quand cette opération fut terminée, il considéra quelque temps le crâne sanglant, en proférant des paroles étranges; puis il le remit à Spiagudry pour qu'il le dépouillât et le lavât, et dit en poussant une espèce de hurlement:

      – Et moi, je n'aurai pas en mourant la consolation de penser qu'un héritier de l'âme d'Ingolphe boira dans mon crâne le sang des hommes et l'eau des mers.

      Après une sinistre rêverie, il continua:

      – L'ouragan est suivi de l'ouragan, l'avalanche entraîne l'avalanche, et moi je serai le dernier de ma race. Pourquoi Gill n'a-t-il pas haï comme moi tout ce qui porte la face humaine? Quel démon ennemi du démon d'Ingolphe l'a poussé sous ces fatales mines à la recherche d'un peu d'or?

      Spiagudry, qui lui rapportait le crâne de Gill, l'interrompit.

      – L'excellence a raison; l'or lui-même, dit Snorro Sturleson, s'achète souvent trop cher.

      – Tu me rappelles, dit le petit homme, une commission dont il faut que je te charge; voici une boîte de fer que j'ai trouvée sur cet officier, dont tu n'as pas, comme tu le vois, toutes les dépouilles; elle est si solidement fermée, qu'elle doit renfermer de l'or, seule chose précieuse aux yeux des hommes; tu la remettras à la veuve Stadt, au hameau de Thoctree, pour lui payer son fils.

      Il tira alors de son havresac de peau de renne un très petit coffre de fer. Spiagudry le reçut, et s'inclina.

      – Remplis fidèlement mon ordre, dit le petit homme en lui lançant un regard perçant; songe que rien n'empêche deux démons de se revoir; je te crois encore plus lâche qu'avare, et tu me réponds de ce coffre.

      – Oh! maître, sur mon âme.

      – Non pas! sur tes os et sur ta chair.

      En ce moment, la porte extérieure du Spladgest retentit d'un coup violent. Le petit homme s'étonna, Spiagudry chancela, et couvrit sa lampe de sa main.

      – Qu'est-ce? s'écria le petit homme en grondant.

      – Et toi, vieux misérable, comment trembleras-tu donc quand tu entendras la trompette du jugement dernier?

      Un second coup plus fort se fit entendre.

      – C'est quelque mort pressé d'entrer, dit le petit homme.

      – Non, maître, murmura Spiagudry, on n'amène point de morts passé minuit.

      – Mort ou vivant, il me chasse.– Toi, Spiagudry sois fidèle et muet. Je te jure, par l'esprit d'Ingolphe et le crâne de Gill, que tu passeras dans ton auberge de cadavres tout le régiment de Munckholm en revue.

      Et le petit homme, attachant le crâne de Gill à sa ceinture et remettant ses gants, s'élança avec l'agilité d'un chamois, et à l'aide des épaules de Spiagudry, par l'ouverture supérieure, où il disparut.

      Un troisième coup ébranla le Spladgest, et une voix du dehors ordonna d'ouvrir aux noms du roi et du vice-roi. Alors le vieux concierge, à la fois agité par deux terreurs différentes, dont on pourrait nommer l'une de souvenir, et l'autre d'espérance, s'achemina ver la porte carrée, et l'ouvrit.

      VII

      Cette joie à laquelle se réduit la félicité temporelle, elle s'est fatiguée à la poursuivre par des sentiers âpres et douloureux, sans avoir jamais pu l'atteindre.

(Confessions de saint Augustin.)

      Rentré dans son cabinet après avoir quitté Poël, le gouverneur de Drontheim s'enfonça dans un large fauteuil, et ordonna, pour se distraire, à l'un de ses secrétaires de lui rendre compte des placets présentés au gouvernement.

      Celui-ci, après s'être incliné, commença:

      – «1° Le révérend docteur Anglyvius demande qu'il soit pourvu au remplacement du révérend docteur Foxtipp, directeur de la bibliothèque épiscopale, pour cause d'incapacité. L'exposant ignore qui pourra remplacer ledit docteur incapable; il fait seulement savoir que lui, docteur Anglyvius, a longtemps exercé les fonctions de bibliothéc....»

      – Renvoyez ce drôle à l'évéque, interrompit le général.

      – «2° Athanase Munder, prêtre, ministre des prisons, demande la grâce de douze condamnés pénitents, à l'occasion des glorieuses noces de sa courtoisie Ordener Guldenlew, baron de Thorvick, chevalier de Dannebrog, fils du vice-roi, avec noble dame Ulrique d'Ahlefeld, fille de sa grâce le comte grand-chancelier des deux royaumes.»

      – Ajournez, dit le général. Je plains les condamnés.

      – «3° Fauste-Prudens Destrombidès, sujet norvégien, poëte latin, demande à faire l'épithalame desdits nobles époux.»

      – Ah! ah! le brave homme doit être vieux, car c'est le même qui en 1674 avait préparé un épithalame pour le mariage projeté entre Schumacker, alors comte de Griffenfeld, et la princesse Louise-Charlotte de Holstein-Augustenbourg, mariage qui n'eut pas lieu.– Je crains, ajouta le gouverneur entre ses dents, que Fauste-Prudens soit le poëte des mariages rompus.

      – Ajournez la demande et poursuivez. On s'informera, à l'occasion dudit poëte, s'il n'y aurait pas un lit vacant à l'hôpital de Drontheim.

      – «4° Les mineurs de Guldbranshal, des îles Faroër, du Sund-Moër, de Hubfallo, de Roeraas et de Kongsberg, demandent à être affranchis des charges de la tutelle royale.»

      – Ces min eurs sont remuants. On dit même qu'ils commencent déjà à murmurer du long silence gardé sur leur requête. Qu'elle soit réservée pour un mûr examen.

      – «5° Braal, pêcheur, déclare, en vertu de l'Odelsrecht[4], qu'il persévère dans l'intention de racheter son patrimoine.

      – «6° Les syndics de Noes, Loevig, Indal, Skongen, Stod, Sparbo et autres bourgs et villages du Drontheimhus septentrional, demandent que la tête du brigand, assassin et incendiaire Han, natif, dit-on, de Klipstadur en Islande, soit mise à prix.– S'oppose à la requête Nychol Orugix, bourreau du Drontheimhus, qui prétend que Han est sa propriété.– Appuie la requête Benignus Spiagudry, gardien du Spladgest, auquel doit revenir le cadavre.»

      – Ce bandit est bien dangereux, dit le général, surtout lorsqu'on craint des troubles parmi les mineurs. Qu'on fasse proclamer sa tête au prix de mille écus royaux.

      – «7° Benignus Spiagudry, médecin, antiquaire, sculpteur, minéralogiste, naturaliste, botaniste, légiste, chimiste, mécanicien, physicien, astronome, théologien, grammairien…»

      – Eh mais, interrompit le général, est-ce que ce n'est pas le même Spiagudry que le gardien du Spladgest?

      – Si vraiment, votre excellence, répondit le secrétaire— «… concierge, pour sa majesté, de l'établissement dit Spladgest, dans la royale ville de Drontheim, expose— que c'est lui, Benignus Spiagudry, qui a découvert que les étoiles appelées fixes n'étaient