Le crime de l'omnibus. Fortuné du Boisgobey

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Название Le crime de l'omnibus
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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fit ce que lui disait Freneuse, et le chat revint se coucher à la place qu’il affectionnait.

      – C’est parfait comme ça, reprit le peintre, et puisque tu es gentille, tu sauras que si je ne suis pas allé te dire bonsoir hier, c’est qu’il était trop tard quand je suis passé près de ta rue… minuit moins un quart… tout le monde dormait dans la caserne où Lorenzo loge ses pifferari.

      – Moi, je ne dormais pas, dit tout bas Pia.

      – À cette heure indue! c’est très mal, petite. Les fillettes de ton âge doivent se coucher comme les fauvettes… à l’Ave Maria, comme on dit dans ton pays.

      – C’est ce que je fais tous les soirs, mais hier…

      – Pas d’explications, mademoiselle. Vous changeriez encore de position si vous vous mettiez à bavarder, et je n’ai pas de temps à perdre. Le jour s’en va déjà. Et pour que vous ne soyez pas tentée de causer, je ne vous raconterai pas une histoire qui m’est arrivée… en revenant de votre maudit quartier…

      – Oh! M. Paul!… je vous jure que je ne dirai pas un mot.

      – Du tout! du tout! tu te tairais peut-être, mais mon histoire te ferait encore pleurer… et justement, je tiens tes yeux.

      – Il ne vous est rien arrivé de mal, j’espère!

      – Non, non. Tu le vois bien. Je n’ai jamais été si en train de travailler. Si je continuais de ce train-là, mon tableau serait fini dans quinze jours.

      – Et après…, je ne viendrais plus? demanda vivement Pia.

      – Allons! voilà encore que ta figure change d’expression. À la pose, gamine, à la pose! Après ce tableau, j’en ferai un autre… où tu seras debout…, trois heures sur tes jambes… Tu seras si fatiguée, que tu n’auras pas envie de parler.

      À ce moment, la porte de l’atelier s’ouvrit brusquement, et Binos entra comme un obus en s’écriant:

      – Je l’ai vue, mon cher. Elle est admirable!

      – Qui? demanda Freneuse.

      – Parbleu! la morte. Je viens de la Morgue. Elle y est exposée depuis une heure… et il y a une foule!…

      Binos n’eut pas plutôt lâché ces mots: «Je viens de la Morgue», que Freneuse se mit à lui faire des signes dont le sens était très clair; mais Binos ne s’arrêtait jamais une fois qu’il était lancé, et il reprit imperturbablement le fil de son discours.

      – Tu avais raison, elle est admirable, continua-t-il. Si elle avait voulu poser de son vivant, on l’aurait payée vingt francs l’heure. Pia est un modèle comme on n’en voit guère, n’est-ce pas? Eh bien, elle n’approche pas de celle-là. J’ai essayé de prendre un croquis au vol en passant devant le vitrage, mais les sergents de ville m’ont forcé de circuler, et il y avait là un bourgeois qui m’a dit des sottises. Il m’a appelé sans cœur, cet imbécile. J’en ai plus que lui, du cœur. Ce que j’en faisais, c’était dans l’intérêt de l’art. Heureusement qu’on va la photographier.

      «Du reste, quand j’ai vu qu’on me mettait à la porte, je me suis dit: il n’y a qu’un moyen, et je suis allé tout droit sonner à…

      – Te tairas-tu, maudit bavard? lui cria Freneuse; si tu ajoutes un mot, moi aussi, je vais te mettre à la porte.

      – Pourquoi? qu’est-ce qui te prend? demanda le rapin d’un air ébahi.

      – Il me prend que tu m’empêches de travailler, et ensuite que tu effarouches la petite avec tes vilaines histoires.

      – Comment! parce que je parle de la Morgue! Ah! elle est bonne, celle-là! mais ça l’amusera, au contraire. Je parie qu’elle ne passe jamais devant l’établissement sans y entrer, et comme elle doit y passer à peu près tous les jours pour venir de chez elle ici…

      – Binos, mon garçon, pour la seconde fois, je t’enjoins le silence, et je te préviens qu’à la troisième sommation, si tu n’obéis pas… tu sais comment sous l’Empire on dispersait les rassemblements.

      – Des menaces? des violences? Sur quelle herbe as-tu donc marché ce matin? Hier soir, tu ne faisais que parler de ton aventure.

      – Encore!

      – C’est bon! c’est bon! je ne savais pas que la Pia fût si impressionnable… mais du moment que Mademoiselle a des nerfs, je serai muet comme un poisson… jusqu’à ce qu’elle soit partie, car, après, j’ai un tas de choses à t’apprendre.

      – Laisse-moi tranquille, en attendant. Je n’ai pas de temps à perdre. Remets-toi à la pose, ma chère Pia, et si ce fou se permet d’ouvrir encore la bouche, fais-moi le plaisir de ne pas l’écouter.

      – La Morgue, c’est cette maison où l’on expose les morts? demanda l’enfant tout émue.

      – Allons, bien! toi aussi, tu t’en mêles! s’écria Freneuse. Vous avez donc juré, tous les deux, que je ne ferais rien aujourd’hui…

      – Je sais où c’est, continua Pia; mais je n’ai pas osé y entrer… et jamais je n’oserai… oh! non, jamais!… jamais!…

      – Parbleu! je l’espère bien. Si tu t’en avisais, je ne te recevrais plus ici. Mais tu ne me parais pas disposée à te tenir en repos sur ton marchepied, et je vais lever la séance. Encore trois minutes d’immobilité, et ce sera fini, fillette. Une touche à donner seulement… je commençais à attraper ce ton, quand cet animal de Binos est venu nous déranger… Ah! je le tiens, maintenant… ne bougeons plus.

      Pia n’avait garde. Elle était devenue songeuse, et ses grands yeux noirs n’exprimaient plus rien, ils regardaient vaguement Mirza qui venait de se réveiller et qui faisait le gros dos.

      Binos, pour se consoler de ne plus raconter, furetait dans tous les coins de l’atelier, retournait les tableaux accrochés la face au mur, ouvrait les boîtes à couleurs et tracassait les chevalets.

      Il en fit tant, que Freneuse, impatienté, lui cria:

      – Finiras-tu de remuer? Qu’est-ce que tu cherches?

      – Du tabac. J’ai oublié d’en acheter, répondit le rapin en agitant une longue pipe qui ne le quittait guère.

      – Le pot est aux pieds du mannequin, sous la fenêtre.

      – Très bien. Alors tu ne pousses pas la sévérité jusqu’à m’interdire de fumer? Merci de votre indulgence, mon prince. Ah! mais, dis donc, la farce est mauvaise, il est vide, ton pot… il n’y a pas plus de tabac dedans que de cervelle dans le crâne de mon bourgeois de la Morgue.

      – Es-tu assez assommant! Cherche ma blague dans la poche de mon pardessus qui est pendu là-bas.

      – J’obéis, seigneur, répondit gravement Binos, en portant ses deux mains à son front pour imiter un salut à l’orientale.

      Et il se mit à fouiller le paletot, pendant que Freneuse, qui essuyait ses pinceaux, disait à Pia:

      – Assez pour aujourd’hui, petite. Je n’y vois plus.

      – Ta blague! ta blague! grommelait Binos; j’ai beau sonder les profondeurs de ce vêtement luxueux, je ne la découvre pas, ta blague… je ne découvre même rien du tout… c’est-à-dire, si… mes doigts investigateurs ont rencontré un objet qui pourra me servir à débourrer ma pipe… quand je l’aurai fumée. Voyons un peu ça… Tiens! une épingle de femme! Binos, ravi de sa trouvaille, brandissait triomphalement l’épingle dorée qu’il venait d’extraire de la poche du pardessus de son ami.

      – Ah! mon gaillard, criait-il, tu farcis tes habits d’ustensiles à l’usage du beau sexe! Quelle est la princesse qui t’a laissé ce gage de son amour?

      Freneuse l’avait complètement oubliée, cette épingle qu’il avait ramassée la veille dans l’omnibus, et il trouvait inopportunes les facéties que le camarade