Название | Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron |
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Автор произведения | Ciceron |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373825 |
Vous m’avez souvent engagé, Atticus, à écrire sur l’amitié : un tel sujet m’a paru digne à la fois, et de la curiosité publique, et de l’intimité qui nous unit. Je me suis donc sans peine décidé, sur vos exhortations, à faire un ouvrage qui pourra être utile à plusieurs. Dans le Traité de la Vieillesse qui vous est adressé, j’ai choisi le vieux Caton pour interlocuteur, parce que personne ne m’a paru plus propre à parler de cet âge, que celui dont la vieillesse avait été si longue et si florissante. De même dans ce livre, d’après l’amitié mémorable qui exista entre P. Scipion et C. Lélius, j’ai cru devoir mettre dans la bouche de ce dernier la dissertation sur l’amitié que Scévola se souvenait de lui avoir entendu faire. Ce genre de discours, ainsi étayé de l’autorité des anciens, quand ce sont des hommes illustres, semble, je ne sais comment, avoir plus de gravité. Moi-même, lorsque je lis mon Traité de la Vieillesse, je me fais quelquefois illusion jusqu’à croire que c’est Caton qui parle, et non pas moi. Dans ce livre, un vieillard écrivait sur la vieillesse à un autre vieillard ; dans celui-ci, c’est le plus tendre ami qui écrit sur l’amitié à son ami : là, c’est Caton qui parle, l’homme le plus sage et presque le plus vieux de son temps ; ici, c’est Lélius, également célèbre par sa sagesse et par la gloire de l’amitié, qui raisonne sur l’amitié. Ne pensez plus à moi maintenant pour n’entendre que Lélius.
C. Fannius et Q. Mucius Scévola se rendent chez leur beau-père après la mort de l’Africain ; ils ouvrent le discours ; Lélius continue : leur discussion roule tout entière sur l’amitié. En la lisant, vous allez vous y reconnaître vous-même.
II. — Fannius. Oui, sans doute, Lélius : jamais homme ne fut plus grand ni plus vertueux que l’Africain. Mais à présent, n’en doutez pas, tous les regards se portent sur vous ; c’est à vous seul qu’on croit devoir donner le nom de sage. De nos jours, Caton a obtenu ce titre. Nous apprenons que nos pères le donnèrent aussi à L. Attilius ; mais l’un et l’autre le mérita pour une raison différente : Attilius le dut à sa profonde connaissance du droit civil ; Caton, à sa grande expérience, à sa prévoyance admirable, à la fermeté, à l’éloquence qu’il avait souvent fait briller au forum comme dans le sénat : de là vint, dans sa vieillesse, le surnom de sage qu’on s’accoutumait à lui donner. Pour vous, un autre motif encore vous l’a fait obtenir : ce n’est pas seulement à votre caractère et à vos qualités naturelles, c’est aussi à vos études et à vos principes que vous le devez ; et si on vous le donne, ce n’est pas dans le sens du vulgaire, c’est dans celui des gens instruits, et comme il ne convient à aucun homme de la Grèce ; car ceux qui raffinent sur cette matière le refusent aux sept sages eux-mêmes. À Athènes, un seul homme le mérita, et c’est celui que l’oracle d’Apollon déclara le plus sage. Votre sagesse, à vous, de l’aveu de tout le monde, est celle qui consiste à ne dépendre que de soi, et à s’élever, par la seule vertu, au-dessus de tous les événements humains. On me demande donc, et à Scévola aussi, je pense, de quelle manière vous supportez la mort de l’Africain ; on nous le demande surtout, depuis qu’aux dernières nones, nous étant tous rendus dans les jardins de l’augure D. Brutus[3] pour nos conférences ordinaires, vous ne vous y êtes point trouvé, vous qui, à pareil jour, n’aviez jamais manqué de remplir un tel devoir.
— Scévola. Oui, Lélius, beaucoup de gens me font cette demande, comme vous l’a dit Fannius ; et je réponds que vous supportez avec modération, comme j’ai cru m’en apercevoir, la douleur que vous a causée la mort d’un ami aussi cher et d’un personnage aussi illustre ; que vous n’êtes pas assez insensible pour n’en être point affecté ; mais que si vous n’avez pas assisté à notre assemblée des dernières nones, la cause en est au dérangement de votre.santé, et non à l’excès de votre affliction.
— Lélius. Vous avez raison, Scévola. Je n’ai pas dû, pour une perte qui m’est particulière, manquer à un devoir que j’ai toujours rempli avec zèle quand ma santé me l’a permis ; et je ne pense pas que, dans aucun cas, un homme grave doive interrompre ses fonctions. Pour vous, Fannius, lorsque vous dites qu’on m’accorde une gloire à laquelle je ne prétends point, et où je ne puis me reconnaître, c’est l’amitié qui vous fait ainsi parler ; mais il me semble que vous ne rendez pas à Caton toute la justice qu’il mérite. Ou il n’y a jamais eu de sage, comme je le croirais plutôt, ou, s’il en a existé quelqu’un, c’est Caton. Pour ne citer de lui qu’un seul trait, comment supporta-t-il la mort de son fils ? J’avais ouï parler de Paul-Émile ; j’avais vu Gallus ; mais ils n’avaient perdu que des enfants, et Caton avait vu mourir un fils déjà illustre. Gardez-vous donc bien de mettre personne au-dessus de lui, non pas même celui qu’Apollon déclara le plus sage. Si celui-ci est célèbre par ses paroles, Caton l’est par ses actions.
III. Je vous réponds maintenant à tous les deux ; voici ce que vous devez penser de moi. Si je disais que je n’ai pas été affecté de la mort de Scipion, ce serait aux sages à voir jusqu’à quel point je serais digne de leurs éloges ; mais certainement je mentirais. Oui, je suis vivement touché de la perte d’un tel ami, d’un ami comme il n’y en aura jamais, je crois, et comme, j’ose l’assurer, il n’y en a jamais eu. Mais je n’ai besoin des consolations de personne ; j’en trouve assez en moi-même, et la plus grande me vient de ce que je suis exempt d’une erreur qui en tourmente tant d’autres, lorsqu’ils viennent à perdre leurs amis. Je ne pense point que la mort soit un mal pour Scipion : s’il y en a, ce n’est que pour moi. Or, s’affliger de ses propres maux, est amour de soi, et non pas amitié. Qui osera dire que Scipion ait eu à se plaindre de sa destinée ? À moins de désirer l’immortalité, ce qui n’entra jamais dans son esprit, à quoi l’homme peut-il aspirer, où il ne soit parvenu ? Dès son enfance, il fit concevoir de lui, à ses concitoyens, les plus hautes espérances, et il les surpassa ensuite, dans sa jeunesse, par la plus éclatante vertu. Il ne demanda jamais le consulat, et il fut deux fois consul ; d’abord, avant l’âge prescrit(2), puis en son temps et presque trop tard pour la république. Il vainquit et renversa les deux villes qui étaient les plus dangereuses ennemies de cet empire, et nous délivra par là des guerres présentes et futures. Que dirai-je de ses mœurs si faciles, de sa piété filiale envers sa mère, de sa libéralité à l’égard de ses sœurs, de sa bonté pour les siens, de sa justice envers tous ? Ce sont des choses qui vous sont connues ; et le deuil de ses funérailles a prouvé combien il était cher aux Romains. Eh ! quel plaisir