Название | La Flandre pendant des trois derniers siècles |
---|---|
Автор произведения | Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079727 |
Pour compléter ce tableau de la décadence de Bruges, il faut ajouter que ses magistrats chargèrent, en 1495, d'autres députés de se rendre à Lubeck pour essayer de rappeler les marchands osterlings. Vingt-quatre ans plus tard, au moment même où ils envoyaient l'abbé des Dunes exposer leur détresse en Espagne, ils adressaient les plus vives instances à une flotte vénitienne, alors à l'ancre dans les ports de l'Angleterre, afin qu'elle consentît à se diriger vers l'Écluse. Les digues du Zwartegat avaient été rétablies en 1510, et l'on venait de vérifier avec la sonde la profondeur des eaux du Zwyn pour calmer les terreurs des pilotes étrangers.
Le commerce de la Flandre, menacé de se voir privé de ses relations maritimes, tendait, sous Charles VIII et sous Louis XII, à se rapprocher de la France. Machiavel dit à ce sujet: «La France n'a rien à craindre de la part des dix-sept provinces des Pays-Bas, ce qui vient de la froideur du climat et de sa stérilité en blés et en vins, et comme on n'y recueille pas de quoi nourrir les habitants, ils sont obligés de tirer leur subsistance de Bourgogne, de Picardie et d'autres provinces de France. De plus, les habitants des Pays-Bas subsistent par des manufactures et par des merceries qu'ils débitent en France aux foires de Paris et de Lyon, car du côté de la mer ils n'en trouveraient pas le débit. Ainsi, lorsque les Flamands seront privés du commerce de la France, ils ne pourront débiter leurs marchandises, ni avoir aisément de quoi subsister; ils n'auront donc jamais de guerres avec la France que lorsqu'ils y seront forcés.» Il ne faut plus s'étonner de ce que souffrit la Flandre pendant la longue rivalité de Charles-Quint et de François Ier.
Cette malheureuse époque vit les marchands les plus riches s'éloigner à jamais de la Flandre. Ce fut ainsi que les Fugger et les Velser, si fameux en Allemagne par leur opulence, les Galteretti, de Florence, les Bonvisi, de Lucques, les Spinola, de Gênes, se retirèrent successivement à Anvers: il ne resta guère à Bruges que quelques marchands espagnols.
Près de la vieille cité des dix-sept nations, languissaient, atteintes comme elle par les coups de la fortune, ses deux filles du Zwyn et de la Reye: l'Écluse, assise au fond de son golfe, rival longtemps heureux du Rhin et de la Tamise; Damme, placée entre Bruges et l'Ecluse comme une étape sur la route des caravanes commerciales du moyen-âge. «Damme, la clef et la porte de la mer; Damme, qui ouvre ou ferme aux Brugeois l'entrée de l'Océan; Damme, autrefois si peuplée et si opulente, a vu fuir ses marchands et n'est plus qu'un village.» Trois siècles se sont écoulés depuis que Meyer écrivait ces lignes. Si le port de l'Écluse a disparu dans les sables, le port de Damme s'est effacé au niveau des joncs des marais comme Venise descendra quelque jour aussi dans ses lagunes.
Cette décadence de la Flandre paraissait aux historiens français une révélation prophétique du déclin de la puissance si formidable et si altière de Charles-Quint né dans l'une de ses villes et profondément attaché à ses mœurs. Robert Gaguin, après avoir résumé les péripéties que lui présentent les annales de la Flandre, si rapidement tombée du faîte de la prospérité et de la grandeur, ne manque point d'ajouter: «Grande leçon pour ceux qui, trop confiants dans l'éclat de leur origine et de leur puissance, peuvent aussi devenir, par une chute rapide, un enseignement pour la postérité.»
Il faut ajouter que l'absence de toute administration régulière s'était fait sentir à la fin du quinzième siècle dans l'ordre industriel aussi bien que dans l'ordre politique. Maximilien avait cru affaiblir les grandes villes qu'il combattait, en méconnaissant leurs priviléges, et la même préoccupation se fit remarquer dans quelques actes du gouvernement de Charles-Quint. Cependant, lorsqu'on reconnut que l'industrie ne présentait plus dans sa fabrication ni règles incontestables qui déterminassent les droits réciproques des maîtres et des ouvriers, ni garanties légales qui maintinssent vis-à-vis du marchand la réputation méritée par une production longtemps irréprochable, on s'efforça vainement de revenir en arrière: on multiplia les ordonnances et les règlements, mais l'on ne parvint point à rétablir la prospérité qui était due à l'ancienne organisation des métiers intimement liée à la puissance politique des grandes communes flamandes.
A Charles-Quint commence en Flandre la nouvelle draperie, c'est-à-dire la draperie alimentée par les laines d'Espagne. Le duc Philippe de Bourgogne, époux d'Isabelle de Portugal, avait déjà eu la même pensée lorsque, dans une charte du 26 octobre 1464, il se plaignait que les Anglais vendaient leurs laines si cher «qu'il en résultoit grant dommaiges et inconvéniens pour les pays de Brabant et de Flandre qui sont principalement fondés sur fait de draperie.» Charles-Quint, fils d'une princesse espagnole, devait la réaliser. Lier la Flandre à l'Espagne par les besoins de son industrie, était un acte habile au point de vue politique.
L'industrie flamande continua à fabriquer quelques étoffes précieuses; elle produisit encore quelques somptueuses tapisseries notamment celles qu'admirait la cour de Charles VIII ou celles qui furent offertes au pape par François Ier. Son activité se porta, toutefois, principalement vers des étoffes d'un genre nouveau et d'un prix moins élevé: pour les unes on appela des tisserands d'Armentières, pour d'autres des ouvriers de Hondschoote.
A la même époque, afin que la Flandre restât sans cesse une terre commerciale, s'élevait dans les campagnes l'industrie linière, héritière de l'industrie des grandes villes qui se bornait aux étoffes de laine. Liée intimement au sol qu'elle fertilisait, elle puisait dans l'agriculture, et l'agriculture puisait en elle, un mutuel et réciproque appui. Le même toit abritait la charrue et le métier du cultivateur devenu tisserand. Pendant les longues veillées de l'hiver, la moisson de l'été se métamorphosait, sous les mains qui l'avaient recueillie, en trésors mercantiles: la femme même, assise à son rouet, concourait, par son adresse, à assurer la paix et l'abondance dans le foyer domestique. «La Flandre sera riche, disait Charles-Quint, tant que l'on n'aura point coupé le pouce de ses fileuses.»
Si les relations du commerce extérieur s'éteignaient dans les villes de la Flandre, si parfois dans ses campagnes mêmes un cri de guerre semait la désolation, il faut aussi signaler, à certains intervalles, une autre source de souffrances et de détresse: l'accroissement progressif des impôts. Dès 1516, Érasme écrivait à Thomas Morus: «On réclame du peuple des sommes énormes, et la demande a été agréée par les grands et par les prélats, c'est-à-dire par ceux qui seuls ne doivent rien donner, et toutes nos campagnes sont couvertes de soldats. Trop infortuné pays! et toutefois combien ne serait-il point heureux si ses villes pouvaient s'entendre entre elles!» En 1524, la levée des impôts excita des troubles dans toutes les provinces des Pays-Bas. Les biens du clergé n'en étaient plus exempts, et sa résistance fut si vive en Flandre qu'une partie de ses domaines fut saisie; ce qui fait dire, en 1529, à Érasme: «Les exactions accablantes au delà de toute mesure sont devenues communes à tous, et nous les supportons d'autant plus impatiemment que l'argent qu'elles produisent, est porté en Allemagne et en Espagne.»
En 1536, la reine de Hongrie, sœur de Charles-Quint, qui avait succédé à Marguerite d'Autriche dans le gouvernement des Pays-Bas, avait obtenu une aide de quatre cent mille carolus d'or, dont le tiers devait être payé par la Flandre. Bruges, Ypres et le Franc obéirent, mais une vive opposition se manifesta à Gand.
Les désastres des guerres et des révolutions, qui avaient ruiné Bruges en exilant les marchands étrangers, avaient exercé moins d'influence sur la prospérité des Gantois, entretenue par l'activité intérieure du travail de leurs métiers. Les documents contemporains reproduisent encore le tableau que Froissart traçait au quatorzième siècle de la puissance de Gand et de ses richesses. Ils la nomment tour à tour «une ville fort belle, grande, puissante et ample, la plus belle et ample ville de la crestienneté, une fort belle et triomphante ville, une ville sans pair à cause des belles rivières qui y descendent de tous quartiers, au moyen desquelles tous biens et marchandises y arrivent,