La Flandre pendant des trois derniers siècles. Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove

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Название La Flandre pendant des trois derniers siècles
Автор произведения Joseph Marie Bruno Constantin Baron Kervyn de Lettenhove
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066079727



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ville de l'Europe. Ses habitants prétendent que le circuit de ses remparts offre un développement de sept lieues. On raconte que jadis sept rois l'assiégèrent pendant sept ans et ne purent s'en emparer, et aujourd'hui encore, à côté de ses sept ponts de marbre, construits sur l'Escaut, on remarque sept églises fondées par les sept rois aux lieux mêmes ou s'élevèrent leurs camps. Une de ces églises, celle de Saint-Michel, possède, dit-on, un si grand nombre de paroissiens, que chaque année on y voit communier, aux fêtes de Pâques, vingt-huit mille personnes.»

      Un même sentiment de résistance dominait chez tous les habitants de Gand. Les bourgeois, accablés de taxes, ne voulaient plus en accepter de nouvelles; les tisserands et les petits métiers rappelaient les anciens principes du droit communal sur l'obligation limitée de servir le prince pendant un certain nombre de jours. Enfin, il fut résolu, dans la collace du 14 avril 1537, «que si avant que l'Impérialle Majesté leur seigneur naturel et prince natif avoit nécessairement affaire des gens de guerre de son pays de Flandres contre le roy de France son ennemy et pour la deffense de cestuy son pays, ils présentoient à Sa Majesté volontaire assistance par gens d'iceluy pays, selon l'ancien transport et ancienne coustume et les payer, et autrement point.» Cette réponse fut portée à Bruxelles par les échevins Régnier Van Huffel, Jacques Van Melle, Jean Vanden Eeckhaute et le grand doyen Liévin Pym.

      La reine de Hongrie, qui venait d'apprendre l'invasion d'une armée française en Artois, crut devoir temporiser, de crainte d'exciter trop profondément le mécontentement des Gantois. Elle leur demanda de nouvelles explications, et ce fut pour satisfaire à ce désir que les Gantois déclarèrent, dans la collace du 29 avril, «qu'ils entendoient ce faire par le grand estandart et par gens du pays comme autrefois a esté fait.» Cependant le comte du Rœulx avait déjà réussi à arrêter l'armée française, et la reine de Hongrie n'hésita plus à ordonner dans la châtellenie de Gand la levée de l'impôt qu'avait sanctionné le vote de trois membres du pays de Flandre. Il fallut cette fois recourir à des voies d'intimidation, mais les magistrats de Gand, qui semblaient peu les redouter, s'adressèrent itérativement à la reine de Hongrie pour protester contre les arrestations qui avaient eu lieu, alléguant que, d'après les priviléges du pays, «l'accord de la plus grande partie ne peult charger, ni obliger la moindre partie en la contribution d'aulcunes aides, subventions ou impositions,» et que les châtellenies, soumises à leur autorité, ne pouvaient être imposées sans leur assentiment; ils prétendaient, en conséquence, que les poursuites exercées étaient «notoirement (en parlant en toute révérence) contre toute raison, droit, priviléges, anciennes coustumes et libertés desdits de Gand, et en dehors de tout entendement raisonnable.»—«Et comme ledit maistre Liévin, ajoute le Discours des troubles de Gand, eust présenté ladite requeste et se fust retiré de la chambre, il retourna demandant de dire encore un mot, disant en tremblant avoir charge de ses maistres de déclarer que si la royne ne vouloit accomplir le contenu en ladite requeste, qu'ils estoient délibérés d'envoyer leurs députés vers l'Empereur, requérant que on ne le print de male part.»

      Une démarche faite par le sire de Herbaix au nom de Charles-Quint eût pu apaiser les Gantois. Rien n'était plus propre à atteindre ce but que le discours qu'il leur adressa: «Par espécial suis chargé de faire ceste requeste à vous, messieurs de Gand, pour l'entière et totale confidence qu'il a en vous pour autant qu'il n'est point seulement vostre seigneur et prince naturel, mais est né et natif d'icelle, ce qui communément et de nature engendre quelque affection et amour espécial de l'ung à l'autre, et si depuis ung peu il porroit avoir aucune chose mal entendue, Sa Majesté ne sçauroit avoir de vous aultre ymagination sinon que ce ait esté par faute d'avoir bien comprins l'ung l'autre.»

      Les Gantois aimèrent mieux recourir aux trois autres membres pour qu'ils les aidassent à soutenir leurs priviléges, et le 24 septembre 1537 les quatre membres de Flandre réclamèrent d'un commun accord, près de la reine de Hongrie, la liberté de toutes les personnes qui avaient été arrêtées. Dans ces conjonctures difficiles, la reine de Hongrie proposa aux Gantois de soumettre leurs réclamations à la décision du conseil privé ou à celle du grand conseil de Malines, ou bien à celle de l'Empereur lui-même, en consentant à ce que pendant cette procédure les prisonniers fussent provisoirement mis en liberté; mais les magistrats de Gand désiraient qu'on reconnût leurs priviléges et non point qu'on les discutât. En effet, les discuter c'était supposer qu'ils étaient sujets à contestation et qu'il était loisible de les interpréter et même de ne pas s'y conformer: ils ne répondirent pas aux propositions de Marie de Hongrie. Enfin, le 2 décembre, voyant que les prisonniers n'étaient point relâchés, ils portèrent de nouvelles plaintes à la reine, qui répliqua qu'ils avaient laissé s'écouler les délais de surséance qu'elle leur avait offerts pour qu'il fût statué sur leurs réclamations. Peu de jours après, le 31 décembre, les magistrats de Gand rédigèrent par-devant notaire un acte d'appel à l'Empereur.

      Charles-Quint se trouvait à Barcelonne. Il répondit le 31 janvier à la protestation des Gantois. Bien que dans sa lettre il soutienne la conduite de sa sœur en ordonnant la levée immédiate des quatre cent mille carolus, nonobstant tout appel, il leur permet d'exposer leurs griefs au grand conseil de Malines, et l'on rencontre de nouveau dans son manifeste quelques lignes où il rappelle les liens qui l'unissent à sa patrie: «Toutefois avions tousjours eu cette opinion et espoir de vous que, durant nostre absence, vous vous deviez plus employer à nous aider, assister et servir que nuls autres, à cause que sommes Gantois et avons prins naissance en nostre ville de Gand... et quant à ce que vous vous excusez sur la povreté du peuple, petite négociation et la charge des précédentes aydes qui ont esté grandes, vous pouvez bien considérer que les mêmes raisons militent aussy bien pour les trois membres de Flandres et ceux de nostre pays de Brabant que pour vous, lesquels, toutefois, considérans mieux valoir de deffendre les frontières que laisser entrer les ennemis au pays, n'ont voulu refuser à nous faire toute assistence en si urgente nécessité et extrémité, comme aussy espérons que vous, les choses bien entendues, faire ne vouldrez; et nous desplaist que les aydes ont esté si grandes, veu que ce n'a esté pour nostre prouffict particulier, mais seullement à cause des grandes affaires que avons eu pour garder et maintenir nostre estat et réputation et pour le bien et utilité de nos pays, repos, seureté et tranquillité de tous nos subjects.»

      Charles-Quint croyait pouvoir calmer les Gantois par ces paroles, aussi douces et conciliantes que celles que le sire de Herbaix avait déjà fait entendre en son nom. Marie de Hongrie alla même jusqu'à suspendre la levée des quatre cent mille carolus: rien ne devait confirmer ces espérances.

      Évidemment, il existait chez nos populations flamandes du seizième siècle une tendance funeste à un abaissement moral, conséquence inévitable de l'abaissement politique: «Les vieillards, écrivait Meyer, prétendent que tout est changé dans les mœurs de notre nation, et ils se plaignent qu'à des hommes simples, francs, loyaux, courageux, robustes et d'une haute stature a succédé une génération corrompue par le vice, l'oisiveté, l'ambition et l'orgueil. Les désordres se sont multipliés, la piété du clergé s'est refroidie. Autrefois il suffisait de l'arbitrage de quelques hommes sages pour éteindre de rares discussions soulevées par des achats et des ventes qui se faisaient souvent sans témoins: aujourd'hui, chacun recourt à des actes écrits, de crainte de rencontrer une mauvaise foi que ne connurent jamais nos ancêtres.»

      Rien ne prouve mieux le relâchement qui régnait dans le lien social que le penchant des esprits à rompre le lien religieux consacré par le culte des générations qu'il unissait entre elles dans une pieuse communauté de traditions et de souvenirs. Les doctrines des luthériens s'étaient rapidement introduites dans les Pays-Bas, surtout dans les cités commerciales et industrielles où affluaient un grand nombre d'étrangers. Dès 1522, un an après la diète de Worms, elles avaient fait de grands progrès à Anvers; Charles-Quint y fit même brûler, en sa présence, les livres de Martin Luther, qui y avaient été envoyés d'Allemagne, et deux moines augustins de cette ville, convaincus de les avoir propagés, furent punis du dernier supplice à Bruxelles: ce qui fit dire à Luther, dans une lettre adressée aux chrétiens de la Hollande, du Brabant et de la Flandre: «Dieu soit loué de nous avoir donné de vrais saints et de vrais martyrs! Nos frères d'Allemagne n'ont pas encore été jugés dignes de consommer un si glorieux sacrifice!» Luther