P'tit-bonhomme. Jules Verne

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Название P'tit-bonhomme
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074326



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entrailles de l'artiste? Est-ce que ce ne seraient pas de vraies larmes qui couleraient de ses yeux? Il y eut là un nouvel emballement de miss Anna Waston, et même l'un des plus réussis de sa carrière dramatique.

      On se mit à la besogne, et P'tit-Bonhomme fut conduit aux dernières répétitions.

      La première fois, il éprouva un extrême étonnement de tout ce qu'il voyait, de tout ce qu'il entendait. Miss Anna Waston l'appelait bien: «mon enfant» en récitant son rôle, mais il lui semblait qu'elle ne le serrait pas éperdûment entre ses bras, qu'elle ne pleurait pas en l'attirant sur son cœur. Et, en effet, de pleurer à des répétitions c'eût été à tout le moins inutile. A quoi bon s'user les yeux? C'est assez de verser des larmes en présence du public.

      Notre petit garçon se sentait d'ailleurs très impressionné. Les châssis de ces coulisses sombres, cet air mélangé d'un relent humide, cette salle spacieuse et déserte, dont les lucarnes, au dernier amphithéâtre, ne laissaient filtrer qu'un jour grisâtre, c'était d'un aspect lugubre, comme une maison dans laquelle il y aurait eu un mort. Cependant, Sib—il s'appelait Sib dans la pièce—fit ce qu'on lui demandait, et miss Anna Waston n'hésita pas à prophétiser qu'il obtiendrait un grand succès,—elle aussi.

      Peut-être, il est vrai, cette confiance n'était-elle pas généralement partagée? La comédienne ne manquait pas d'un certain nombre d'envieux, surtout d'envieuses parmi ses bonnes camarades. Elle les avait souvent blessées par sa personnalité encombrante, avec ses caprices d'artiste en vedette, sans s'en apercevoir—comment s'en serait-elle aperçue?... et sans le savoir—comment se fût-on hasardé à l'en avertir? Et maintenant, grâce à l'exagération habituelle de son tempérament, voici qu'elle répétait à qui voulait l'entendre que, sous sa direction, ce petit, haut comme une botte, enfoncerait un jour les Kean, les Macready, et n'importe quel autre premier grand rôle du théâtre moderne!... En vérité, cela dépassait la mesure.

      Enfin, le jour de la première représentation arriva.

      C'était le 19 octobre, un jeudi. Il va de soi que miss Anna Waston devait se trouver alors dans un état d'énervement très excusable. Tantôt elle saisissait Sib, l'embrassait, le secouait avec une violence nerveuse, tantôt sa présence l'agaçait, elle le renvoyait, et il n'y comprenait rien.

      On ne saurait s'étonner qu'il y eût ce soir-là grande affluence au théâtre de Limerick, où le public s'était porté en foule. Et, du reste, l'affiche avait produit un effet d'extrême attraction

       Pour les représentations

       de

      Miss Anna Waston.

       LES REMORDS D'UNE MÈRE

      POIGNANT DRAME DU

      CÉLÈBRE FURPILL,

      ETC., ETC.

      Miss Anna Waston remplira le rôle de la duchesse de Kendalle.

       Le rôle de Sib sera tenu par P'tit-Bonhomme,

       âgé de cinq ans et neuf mois... etc., etc.

      Aurait-il été fier, notre garçonnet, s'il se fût arrêté devant cette affiche. Il savait lire, et c'était sur fond blanc, s'il vous plaît, que son nom ressortait en grosses lettres.

      Par malheur, sa fierté eut bientôt à souffrir: un réel chagrin l'attendait dans la loge de miss Anna Waston.

      Jusqu'à ce soir-là, il n'avait point «répété en costume», comme on dit, et vraiment cela n'en valait pas la peine. Il était donc venu au théâtre avec ses beaux habits. Or, dans cette loge où se préparait la riche toilette de la duchesse de Kendalle, voici qu'Élisa lui apporte des haillons qu'elle se dispose à lui mettre. De sordides loques, propres en dessous certainement, mais en dessus, sales, rapiécées, déchirées. En effet, dans ce drame émouvant, Sib est un enfant abandonné que sa mère retrouve avec son accoutrement de petit pauvre,—sa mère, une duchesse, une belle dame toute en soie, en dentelles et en velours!

      Quand il vit ces guenilles, P'tit-Bonhomme eut d'abord l'idée qu'on allait le renvoyer à la ragged-school.

      «Madame Anna... madame Anna! s'écria-t-il.

      —Eh qu'as-tu? répondit miss Waston.

      —Ne me renvoyez pas!...

      —Te renvoyer?... Et pourquoi?...

      —Ces vilains habits...

      —Quoi!... il s'imagine...

      —Eh non, petit bêta!... Tiens-toi un peu! répliqua Élisa, en le ballotant d'une main assez rude.

      —Ah! l'amour de chérubin!» s'écria miss Anna Waston, qui se sentit prise d'attendrissement.

      Et elle se faisait de légers sourcils bien arqués avec l'extrémité d'un pinceau.

      «Le cher ange... si l'on savait cela dans la salle!»

      Et elle se mettait du rouge sur les pommettes.

      «Mais on le saura, Élisa... Ce sera demain dans les journaux... Il a pu croire...»

      Et elle passait la houppe blanche sur ses épaules de grand premier rôle.

      «Mais non... mais non... invraisemblable babish!... Ces vilains habits, c'est pour rire...

      —Pour rire, madame Anna?...

      —Oui, et il ne faut pas pleurer!»

      Et volontiers elle aurait versé des larmes, si elle n'eût craint d'endommager ses couleurs artificielles.

      Aussi Élisa de lui répéter en secouant la tête:

      «Vous voyez, madame, que nous ne pourrons jamais en faire un comédien!»

      Cependant P'tit-Bonhomme, de plus en plus troublé, le cœur gros, les yeux humides, pendant qu'on lui enlevait ses beaux habits, se laissa mettre les haillons de Sib.

      C'est alors que la pensée vint à miss Anna Waston de lui donner une belle guinée toute neuve. Ce serait son cachet d'artiste en représentation, «ses feux!» répéta-t-elle. Et, ma foi, l'enfant, vite consolé, prit la pièce d'or avec une évidente satisfaction et la fourra dans sa poche, après l'avoir bien regardée.

      Cela fait, miss Anna Waston lui donna une dernière caresse, et descendit sur la scène, en recommandant à Élisa de le garder dans la loge, puisqu'il ne paraissait qu'au troisième acte.

      Ce soir-là, le beau monde et le populaire remplissaient le théâtre depuis les derniers rangs de l'orchestre jusqu'aux cintres, bien que cette pièce n'eût plus l'attrait de la nouveauté. Elle avait déjà vu le feu de la rampe pendant douze à treize cents représentations sur les divers théâtres du Royaume-Uni,—ainsi que cela arrive souvent pour des œuvres du cru, même quand elles sont médiocres.

      Le premier acte marcha d'une façon convenable. Miss Anna Waston fut chaleureusement applaudie, et elle le méritait par la passion de son jeu, par l'éclat de son talent, dont les spectateurs subissaient la très visible impression.

      Après le premier acte, la duchesse de Kendalle remonta dans sa loge, et, à la grande surprise de Sib, voici qu'elle enlève ses ajustements de soie et de velours pour revêtir le costume de simple servante,—changement nécessité par des combinaisons de dramaturge aussi compliquées que peu nouvelles, et sur lesquelles il est inutile d'insister.

      P'tit-Bonhomme contemplait cette femme de velours qui devenait une femme de bure, et il se sentait de plus en plus inquiet, abasourdi, comme si quelque fée venait d'opérer devant lui cette fantastique transformation.

      Puis la voix de l'avertisseur parvint jusqu'à la loge,—une grosse voix de stentor qui le fit tressaillir, et la «servante» lui fit un signe de la main, en disant:

      «Attends, bébé!... Ce sera bientôt ton tour.»