P'tit-bonhomme. Jules Verne

Читать онлайн.
Название P'tit-bonhomme
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074326



Скачать книгу

      —Oui, certes!... une belle dame!

      —Et pourquoi une belle dame?...

      —Parce que... ton air... ta figure!... Est-il drôle, cet amour, avec ses questions! Puis... la situation... la situation dans la pièce exige que ce soit une belle dame... une grande dame... Tu ne peux pas comprendre...

      —Non... je ne comprends pas! répondit P'tit-Bonhomme d'un ton bien triste. Il me vient quelquefois la pensée que ma maman est morte...

      —Morte?... Oh non!... Ne pense pas à ces choses-là!... Si elle était morte, il n'y aurait plus de pièce...

      —Quelle pièce?...»

      Miss Anna Waston l'embrassa, ce qui était encore la meilleure manière de lui répondre.

      «Mais si elle n'est pas morte, reprit P'tit-Bonhomme avec la logique ténacité de son âge, si c'est une belle dame, pourquoi qu'elle m'a abandonné?...

      —Elle y aura été forcée, mon babery!... oh! bien malgré elle!... D'ailleurs, au dénouement...

      —Madame Anna?...

      —Que veux-tu encore?...

      —Ma maman?...

      —Eh bien?...

      —Ce n'est pas vous?...

      —Qui... moi... ta maman?...

      —Puisque vous m'appelez votre enfant!...

      —Cela se dit, mon chérubin, cela se dit toujours aux bébés de ton âge!... Pauvre petit, il a pu croire!... Non! je ne suis pas ta maman!... Si tu avais été mon fils, ce n'est pas moi qui t'aurais délaissé... qui t'aurais voué à la misère!... Oh non!»

      Et miss Anna Waston, infiniment émue, termina la conversation en embrassant de nouveau P'tit-Bonhomme, qui s'en alla tout chagrin.

      Pauvre enfant! Qu'il appartienne à une famille riche ou à une famille misérable, il est à craindre qu'il ne parvienne jamais à le savoir, pas plus que tant d'autres, ramassés au coin des rues!

      En le prenant avec elle, miss Anna Waston n'avait pas autrement réfléchi à la charge que sa bonne action lui imposait dans l'avenir. Elle n'avait guère songé que ce bébé grandirait, et qu'il y aurait lieu de pourvoir à son instruction, à son éducation. C'est bien de combler un petit être de caresses, c'est mieux de lui donner les enseignements que son esprit réclame. Adopter un enfant crée le devoir d'en faire un homme. La comédienne avait vaguement entrevu ce devoir. Il est vrai, P'tit-Bonhomme avait à peine cinq ans et demi. Mais, à cet âge, l'intelligence commence à se développer. Que deviendrait-il? Il ne pourrait la suivre pendant ses tournées de ville en ville, de théâtre en théâtre... surtout lorsqu'elle irait à l'étranger... Elle serait forcée de le mettre en pension... oh! dans une bonne pension!... Ce qui était certain, c'est qu'elle ne l'abandonnerait jamais.

      Et un jour, elle dit à Élisa:

      «Il se montre de plus en plus gentil, ne remarques-tu pas? Quelle affectueuse nature! Ah! son amour me paiera de ce que j'aurais fait pour lui!... Et puis... précoce... voulant savoir les choses... Je trouve même qu'il est plus réfléchi qu'on ne doit l'être si jeune... Et il a pu croire qu'il était mon fils!... Le pauvre petit!... Je ne dois guère ressembler à la mère qu'il a eue, j'imagine?... Ce devait être une femme sérieuse... grave... Dis donc, Élisa, il faudra bien y penser, pourtant...

      —A quoi, madame?

      —A ce que nous en ferons.

      —Ce que nous en ferons... maintenant?..

      —Non, pas maintenant, ma fille... Maintenant, il n'y a qu'à le laisser pousser comme un arbuste!... Non... plus tard... plus tard... quand il aura sept ou huit ans... N'est-ce pas à cet âge-là que les enfants vont en pension?...»

      Élisa allait représenter que le gamin devait être déjà habitué au régime des pensions, et l'on sait à quel régime il avait été soumis—celui de la ragged-school. Suivant elle, le mieux serait de le renvoyer dans un établissement—plus convenable, s'entend. Miss Anna Waston ne lui donna pas le loisir de répondre.

      «Dis-moi, Élisa?...

      —Madame?

      —Crois-tu que notre chérubin puisse avoir du goût pour le théâtre?...

      —Lui?...

      —Oui... Regarde-le bien!... il aura une belle figure... des yeux magnifiques... une superbe prestance!... Cela se voit déjà, et je suis certaine qu'il ferait un adorable jeune premier...

      —Ta... ta... ta... madame! Vous voilà encore partie!...

      —Hein!... je lui apprendrais à jouer la comédie... L'élève de miss Anna Waston!... Vois-tu l'effet?...

      —Dans quinze ans...

      —Dans quinze ans, Élisa, soit! Mais, je te le répète, dans quinze ans, ce sera le plus charmant cavalier que l'on puisse rêver!... Toutes les femmes en seront...

      —Jalouses! répliqua Élisa. Je connais ce refrain.—Tenez, madame, voulez-vous que je vous dise ma pensée?...

      Tandis que le régisseur lui tenait la main. (Page 88.)

      —Dis, ma fille.

      —Eh bien... cet enfant... ne consentira jamais à devenir comédien...

      —Et pourquoi?...

      —Parce qu'il est trop sérieux.

      —C'est peut-être vrai! répondit miss Anna Waston. Pourtant... nous verrons...

      —Et nous avons le temps, madame!»

      Rien de plus juste, on avait le temps, et si P'tit-Bonhomme, quoi qu'en eût dit Élisa, montrait des dispositions pour le théâtre, tout irait à merveille.

      En attendant, il vint à miss Waston une fameuse idée,—une de ces idées wastoniennes dont elle semblait avoir le secret. C'était de faire prochainement débuter l'enfant sur la scène de Limerick.

      Le faire débuter?... s'écriera-t-on. Mais c'est plus qu'une écervelée, cette étoile du drame moderne, c'est une folle à mettre à Bedlam!

      Folle?... Non, pas au sens propre du mot. D'ailleurs, «et pour cette fois seulement», comme disent les affiches, son idée n'était pas une mauvaise idée.

      Miss Anna Waston répétait alors une «machine» à gros effets, une de ces pièces de résistance qui ne sont point rares dans le répertoire anglais. Ce drame ou plutôt ce mélodrame, intitulé Les Remords d'une Mère, avait déjà extrait des yeux de toute une génération assez de larmes pour alimenter les fleuves du Royaume-Uni.

      Or, dans cette œuvre du dramaturge Furpill, il y avait, c'était de règle, un rôle d'enfant,—l'enfant que la mère ne pouvait garder, qu'elle avait dû abandonner un an après sa naissance, qu'elle retrouvait misérable, qu'on voulait lui ravir, etc.

      Il va de soi que ce rôle était un rôle muet. Le petit figurant qui le jouerait n'aurait qu'à se laisser faire, c'est-à-dire se laisser embrasser, caresser, presser sur un sein maternel, tirer d'un côté, tirer de l'autre, sans jamais prononcer une parole.

      Est-ce que notre héros n'était pas tout indiqué pour remplir ce rôle? Il avait l'âge, il avait la taille, il montrait une figure pâle encore et des yeux qui avaient souvent pleuré. Quel effet, lorsqu'on le verrait sur les planches et précisément auprès de sa mère adoptive! Avec quel emportement, quel feu, celle-ci enlèverait la scène Ve du troisième acte,