Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne

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Название Les voyageurs du XIXe siècle
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074371



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civiles acharnées. Des compétiteurs, qui s'attribuaient plus ou moins de droits au trône, avaient partout porté le fer et la flamme, et, de cette région, autrefois riche et florissante, ils avaient fait un désert, où les ruines des cités disparues semblaient le dernier témoignage d'une prospérité que l'on pouvait croire à jamais éteinte.

      Vers 1808, c'était Shujau-Oul-Moulk qui régnait à Caboul. L'Angleterre, plus inquiète qu'on ne l'a longtemps soupçonné des projets formés par Napoléon de l'attaquer dans l'Inde et des tentatives d'alliance qu'il avait faites auprès du shah de Perse par l'intermédiaire du général Gardane, résolut d'envoyer une ambassade au roi de Caboul, qu'il s'agissait de gagner aux intérêts de la Compagnie.

      L'ambassadeur choisi fut Mountstuart Elphinstone, qui nous a laissé un très intéressant récit de sa mission. On lui doit des informations absolument nouvelles sur toute cette région et sur les tribus qui la peuplent. Son livre a aujourd'hui un regain d'actualité, et l'on ne lit pas sans intérêt les pages consacrées aux Kybériens et aux autres peuplades montagnardes, mêlées aux événements qui se déroulent sous nos yeux.

      Parti de Delhi au mois d'octobre 1808, Elphinstone gagna Canound, où commence un désert de sable mouvant, puis entra dans le Shekhawuttée, canton habité par des Radjpouts. A la fin d'octobre, l'ambassade atteignait Singauna, jolie ville, dont le rajah était un enragé fumeur d'opium.

      «C'était, dit le voyageur, un petit homme, dont les gros yeux étaient enflammés par l'usage de l'opium. Sa barbe, relevée de chaque côté vers les oreilles, lui donnait un aspect sauvage et terrible.»

      Djounjounha, dont les jardins causent une impression de fraîcheur au milieu de ces déserts, ne dépend pas encore du rajah de Bikanir, dont les revenus ne dépassent pas 1,250,000 francs. Comment ce prince peut-il encore percevoir des revenus aussi considérables avec un territoire aride et désert, que parcourent en tous sens des millions de rats, des hordes de gazelles ou d'ânes sauvages?

      «Le sentier, à travers les montagnes de sable, étant fort étroit, dit Elphinstone, décrivant la marche de sa caravane, deux chameaux à peine y pouvaient passer de front. Pour peu qu'un de ces animaux s'écartât, il s'enfonçait dans le sable comme dans la neige, en sorte que le moindre embarras à la tête de la colonne arrêtait toute la caravane. L'avant-garde ne pouvait plus marcher lorsque la queue était retenue, et, de peur que la division séparée de ses guides se perdît parmi les colonnes de sable, le son du tambour et de la trompette servait de signal pour empêcher toute séparation.»

      Ne dirait-on pas la marche d'une armée? Ces bruits guerriers, l'éclat des uniformes et des armes, tout cela pouvait-il donner l'idée d'une ambassade pacifique? Ne pourrait-on pas appliquer à l'Inde le dicton si connu, qui explique, en Espagne, les idées et les mœurs qui nous sont étrangères, et dire Cosas de India, comme on dit Cosas de España?

      «La rareté de l'eau, rapporte encore l'ambassadeur, et la mauvaise qualité de celle que nous buvions, étaient insupportables à nos soldats et à nos valets. Si l'abondance des melons d'eau soulageait leur soif, ce n'était pas sans de fâcheux effets pour leur santé. La plupart des naturels de l'Inde qui nous accompagnaient furent affligés d'une fièvre lente et de la dyssenterie. Quarante personnes moururent pendant la première semaine de halte à Bikanir.»

      On peut dire de Bikanir ce que La Fontaine dit des bâtons flottants:

      De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien

      L'aspect extérieur de la ville lui est favorable; mais ce n'est qu'un amas sans ordre de cabanes avec des murailles de «bousillage».

      A ce moment, le pays était envahi par cinq armées, et les deux belligérants expédiaient envoyé sur envoyé à l'ambassadeur anglais pour tâcher d'obtenir, sinon un secours matériel, du moins un appui moral.

      Elphinstone fut reçu par le rajah de Bikanir.

      Au sortir de Bikanir, il faut rentrer dans un désert, au milieu duquel s'élèvent les cités de Moujghur et de Bahawulpore, où une foule compacte attendait l'ambassade. L'Hyphase, fleuve sur lequel navigua la flotte d'Alexandre, ne répondit pas à l'idée qu'un tel souvenir évoquait. Le lendemain arrivait Bahaweel-Khan, gouverneur d'une des provinces orientales du Caboulistan. Il apportait de magnifiques présents à l'ambassadeur anglais, qu'il conduisit par la rive droite de l'Hyphase jusqu'à Moultan, ville fameuse par ses soieries. Le gouverneur de cette ville avait été frappé de terreur en apprenant l'arrivée des Anglais, et l'on délibéra pour savoir quelle attitude il conviendrait de tenir, si ceux-ci allaient prendre la ville par surprise où s'ils exigeaient sa cession.

      Ces alarmes se calmèrent, et l'entrevue fut des plus cordiales. La description qu'en donne Elphinstone, pour paraître un peu chargée, n'en est pas moins curieuse.

      «Le gouverneur, dit-il, salua M. Strachey (le secrétaire de l'ambassade) à la manière persane. Ils s'acheminèrent ensemble vers la tente, et le désordre ne fit que s'accroître. Ici, on se battait à coups de poing; là, les cavaliers passaient à travers les piétons. Le cheval de M. Strachey fut presque jeté à terre, et le secrétaire eut beaucoup de peine à reprendre l'équilibre. En approchant de la tente, le Khan et sa suite se trompèrent de route, ils se précipitèrent sur la cavalerie avec tant d'impétuosité, que celle-ci eut à peine le temps de faire volte-face pour les laisser passer. Les troupes en désordre se replièrent sur la tente, les domestiques du Khan prirent la fuite, les paravents furent arrachés et foulés aux pieds, les cordes mêmes de la tente rompirent et la toile faillit nous tomber sur la tête. L'intérieur fut en un instant rempli de monde et dans une complète obscurité. Le gouverneur et dix personnes de sa suite s'assirent, les autres restèrent sous les armes. Cette visite fut de peu de durée; ce gouverneur ne savait que réciter son rosaire avec ferveur et me dire avec précipitation: «Vous êtes le bien-venu! vous êtes le bien-venu!» Enfin, il prétexta qu'il craignait que je fusse incommodé par la foule et il se retira.»

      Le récit est amusant. Est-il vrai dans tous ses détails? Peu importe. Le 31 décembre, l'ambassade passait l'Indus et pénétrait dans un pays cultivé avec soin et méthode qui ne rappelait en rien l'Hindoustan. Les gens du pays n'avaient jamais entendu parler des Anglais, qu'ils prenaient pour des Mogols, des Afghans ou des Hindous. Aussi, les bruits les plus étranges couraient-ils dans cette population amie du merveilleux.

      Il fallut faire un séjour d'un mois à Déra pour attendre un «mehmandar», sorte d'introducteur des ambassadeurs. Deux personnes de la mission en profitèrent pour escalader le pic de Tukhte-Soleiman, ou Trône de Soliman, sur lequel l'arche de Noé, suivant la légende, se serait arrêtée après le déluge.

      Le 7 février eut lieu le départ de Déra, et dès lors l'ambassade ne fit plus que traverser des contrées délicieuses jusqu'à Peschawer, où le roi se rendait de son côté, car cette ville n'est pas la résidence ordinaire de la cour.

      «Le jour de notre arrivée, dit la relation, le dîner nous fut fourni par la cuisine du roi. Les plats étaient excellents. Dans la suite, nous fîmes préparer les viandes à notre manière; mais le roi continua