Название | Les Nuits chaudes du Cap français |
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Автор произведения | Rebell Hugues |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066081393 |
—Vous me devez un cierge, Rose, m'a-t-il dit. (Il est familier avec moi à la façon des Espagnols, et puis nous sommes un peu parents.)
—Pour m'avoir surprise au lit?
—Pour vous avoir empêchée de brûler. Sans moi vous flambiez comme un champ de cannes. Le bas de vos rideaux était déjà en feu.
Je vis en effet le bord du moustiquaire tout noirci et rongé. Je tremblai à l'idée du danger que je venais de courir, et puis je riais de ma frayeur, parce qu'à présent j'étais en sûreté.
—Vous ne vous aperceviez de rien?
—Non. Je sentais bien un peu le roussi; seulement dans mon rêve je me croyais en enfer: c'était de circonstance. Mais, comment étiez-vous encore ici?
—Je suis resté pour elle, Rose. (Ici sa voix est devenue grave comme pour un reproche.) Ne vous souvenez-vous plus de votre promesse? Ne deviez-vous pas lui parler ce soir?
Il venait aussitôt de me rappeler, sans qu'il s'en doutât, l'opprobre de mon existence, en me parlant de cette jeune fille qu'un crime a conduite chez moi et à laquelle j'ai pris tout son luxe, tout son bien-être, toute sa liberté!...
Ah! qu'ai-je écrit? Moi, qui passe pour la plus pieuse, la plus charitable des femmes! Tant pis, j'avais besoin de me confesser. Et puis personne ne verra ce cahier, que moi—et Dieu.
—Si, mon ami, ai-je répondu, si, je me souviens bien, mais pour parler de vous à Antoinette, il fallait trouver une occasion. Vous savez que les jeunes filles sont capricieuses. Il suffit que je vous présente pour qu'elle ne vous trouve pas de son goût. Venez souvent à la maison, faites-lui votre cour. Je vous y autorise. Et vous verrez ce qu'elle pense de vous. Je vous promets de faire tout pour la décider à une union que je souhaite de mon côté très vivement, je vous assure. Mais je ne me crois pas le droit de la lui imposer.
—Merci, Rose. Seulement si elle songe à moi, sachez lui faire un bel éloge de votre serviteur.
—Je n'y manquerai pas. A présent sauvez-vous, mon cher Jacques. Si quelque esclave vous apercevait, dès demain on dirait dans toute la ville... vous savez quoi!
—Personne ne m'a vu ni ne me verra. Je sais marcher discrètement. A propos, vous avez toujours cette Zinga?
—Mais oui!
—Cette horrible négresse?
—Pourquoi horrible? elle est plutôt jolie, cette enfant.
—Je n'aime pas ses yeux. J'y lis la haine, la cruauté, le goût du mal, et puis...
—Et puis quoi? Dites, Jacques, dites vite. Je veux savoir!
Je lui avais saisi les bras, m'avançant toute vers lui, haletant contre sa poitrine, mais il se dégagea légèrement, et me saluant avec un sourire:
—Une autre fois! Vous savez bien qu'il est trop tard ce soir pour que je vous parle longtemps. On dirait dans toute la ville...
—Méchant! lui criai-je comme il sortait de la chambre.
Que lui a-t-on raconté sur la négresse? Est-ce qu'il saurait quelque chose de nos conventions atroces? Non, car il ne viendrait plus ici. Je lui ferais peur. Sa visite doit plutôt me rassurer. Et puisque je l'ai à ma disposition, ce jeune homme, je dois me servir de lui. C'est même étrange que je n'y aie pas songé plus tôt. Qu'il épouse Antoinette, oui! qu'il l'emmène et me délivre pour toujours de cette enfant dont la vue même m'est un remords. Absente, je ne penserai plus à elle, je n'aurai plus souvenir des événements qui l'ont conduite dans ma maison; je ne redouterai plus que les indiscrétions, les colères de Zinga lui révèlent le passé et me dénoncent à toute la ville. Je finirai par croire, comme tout le monde, à ma charité. Je serai, à mes yeux mêmes, «la bonne Madame Gourgueil».
Mais aux yeux de Dieu?...
Et si Dieu n'existait pas?... Mme du Plantier est athée; le docteur Chiron aussi. Ce sont des êtres intelligents pourtant, aussi intelligents que moi, et beaucoup plus instruits. Peut-être ma croyance vient-elle de mon éducation, et de cette bête de tante qui me faisait tout le jour, quand j'étais fillette, ânonner le catéchisme... A Paris il y a, paraît-il, de grands esprits qui ne croient pas.
Dans cette nuit chaude, c'est en vain que j'essaie de m'assoupir. A chaque instant des idées surgissent en moi; il faut que je reprenne mon cahier, ma plume, et que j'écrive comme pour soulager mon esprit en feu.
Le vrai soulagement sans doute serait de parler à Antoinette. Si, enfin, je savais ce qu'elle pense de Montouroy? si j'avais la certitude qu'elle est prête à l'épouser. Elle partirait avec lui pour Saint-Domingue; peut-être même le couple quitterait-il l'île; je ne la verrais plus.
Un désir de causer avec elle dès à présent m'a saisie. Il m'a semblé que le calme et la fraîcheur de la nuit seraient plus propices à notre entretien que le jour. Puis les esclaves dorment. Zinga elle-même s'est assoupie. Je l'entends ronfler à côté. Je ne verrai pas devant nous son sourire railleur; elle ne soupçonnera rien; elle ne s'avisera donc pas de m'adresser des reproches pour faire acte d'autorité.
Je me suis levée; et, sans prendre la peine de me vêtir, j'ai traversé le corridor, je suis allée avec un flambeau jusqu'à la chambre d'Antoinette, j'ai écarté la portière: Antoinette dort aussi elle, doucement. C'est à peine si je perçois son souffle. J'ai été surprise. D'ordinaire elle se couche moins tôt. Je crains de l'éveiller. Elle est si tranquille! Pourquoi troubler cette âme d'un amour auquel elle ne songe pas encore? Son enfance lui est légère; elle s'y attarde, dirait-on, avec délices. C'est vrai. Cependant l'image d'un jeune amant pourrait bien la ravir aussi. Et puis qu'importe qu'elle aime ou qu'elle reste innocente! J'ai besoin, moi, qu'elle se marie; il faut que je sache son opinion sur Montouroy. Elle l'aime peut-être. Et si elle ne l'aime pas, elle l'épousera tout de même. Pourtant je ne voudrais pas avoir trop l'air de la contraindre.
Je suis entrée dans la chambre; je me suis approchée du lit. Comme sa bouche large, charnue, entr'ouverte, comme ses paupières aux longs cils, bien arrondies et baissées, lui donnent de grâce! Le jour, quand elle laisse voir son regard, elle trahit moins sa pensée que dans ce sommeil ingénu et souriant. Un peu de feu anime son teint; ses cheveux châtains, aux touffes opulentes, sont répandus ici et là sur l'oreiller; de ses pieds unis, elle foule les draps rejetés au bas du lit, et, comme pour corriger ce désordre, son bras, d'un geste pudique, ramène la chemise sur son sein.
Jamais je n'aurais soupçonné qu'elle pût être aussi jolie. J'ai eu soudain pitié d'elle. Quelle destinée atroce m'a livré cette malheureuse enfant!
Mais, dominant une émotion si nuisible à mes intérêts, j'ai hâté le réveil d'Antoinette, en levant l'abat-jour du flambeau. A la clarté subite qui tombait sur son visage, elle a ouvert les yeux, et, tout de suite, elle a fait une moue gentille, une moue d'enfant volontaire qui se révolte contre une pénitence.
—Je ne veux pas qu'on m'agace comme ça! s'est-elle écriée, puis en me reconnaissant: Ah! c'est vous, madame!...
Elle avait cru que c'était une esclave qui était entrée.
—Je venais voir si vous dormiez, ma chère enfant.
—Oh! oui... et bien! il faisait si plaisant là-bas!
—Dans vos songes? A quoi rêviez-vous donc?
—Je ne sais pas... Mais je me sentais bien heureuse.
Et elle s'étirait, se retournait voluptueusement comme pour saisir, effleurer encore ce bon sommeil qui s'enfuyait, tendant vers moi toute la cambrure