La Curée. Emile Zola

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Название La Curée
Автор произведения Emile Zola
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086787



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de plus qui l'empêchait de formuler son envie. Et une tentation immense montait de ce vague, de ces taillis que l'ombre endormait aux deux bords de l'allée, de ce bruit de roues et de cette oscillation molle qui l'emplissait d'une torpeur délicieuse. Mille petits souilles lui passaient sur la chair: songeries inachevées, voluptés innommées, souhaits confus, tout ce qu'un retour du Bois, à l'heure où le ciel pâlit, peut mettre d'exquis et de monstrueux dans le cœur lassé d'une femme. Elle tenait ses deux mains enfouies dans la peau d'ours, elle avait très chaud sous son paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve.

      Comme elle allongeait un pied, pour se détendre dans son bien-être, elle frôla de sa cheville la jambe tiède de Maxime, qui ne prit même pas garde à cet attouchement.

      Une secousse la tira de son demi-sommeil. Elle leva la tête, regardant étrangement de ses yeux gris le jeune homme vautré en toute élégance.

      A ce moment, la calèche sortit du Bois. L'avenue de l'Impératrice s'allongeait toute droite dans le crépuscule, avec les deux lignes vertes de ses barrières de bois peint, qui allaient se toucher à l'horizon. Dans la contre-allée réservée aux cavaliers, un cheval blanc, au loin, faisait une tache claire trouant l'ombre grise. Il y avait, de l'autre côté, le long de la chaussée, çà et là, des promeneurs attardés, des groupes de points noirs, se dirigeant doucement vers Paris. Et tout en haut, au bout de la traînée grouillante et confuse des voitures, l'Arc-de-Triomphe, posé de biais, blanchissait sur un vaste pan de ciel couleur de suie.

      Tandis que la calèche remontait d'un trot plus vif, Maxime, charmé de l'allure anglaise du paysage, regardait, aux deux côtés de l'avenue, les hôtels, d'architecture capricieuse, dont les pelouses descendent jusqu'aux contre-allées; Renée, dans sa songerie, s'amusait à voir, au bord de l'horizon, s'allumer un à un les becs de gaz de la place de l'Étoile, et à mesure que ces lueurs vives tachaient le jour mourant de petites flammes jaunes, elle croyait entendre des appels secrets, il lui semblait que le Paris flamboyant des nuits d'hiver s'illuminait pour elle, lui préparait la jouissance inconnue que rêvait son assouvissement.

      La calèche prit l'avenue de la Reine-Hortense, et vint s'arrêter au bout de la rue Monceau, à quelques pas du boulevard Malesherbes, devant un grand hôtel situé entre cour et jardin. Les deux grilles chargées d'ornements dorés, qui s'ouvraient sur la cour, étaient chacune flanquées d'une paire de lanternes, en forme d'urnes également couvertes de dorures, et dans lesquelles flambaient de larges flammes de gaz. Entre les deux grilles, le concierge habitait un élégant pavillon, qui rappelait vaguement un petit temple grec.

      Comme la voiture allait entrer dans la cour, Maxime sauta lestement à terre.

      —Tu sais, lui dit Renée, en le retenant par la main, nous nous mettons à table à sept heures et demie. Tu as plus d'une heure pour aller t'habiller. Ne te fais pas attendre.

      Et elle ajouta avec un sourire:

      —Nous aurons les Mareuil.... Ton père désire que tu sois très galant avec Louise.

      Maxime haussa les épaules.

      —En voilà une corvée! murmura-t-il d'une voix maussade. Je veux bien épouser, mais faire sa cour, c'est trop bête.... Ah! que tu serais gentille, Renée, si tu me délivrais de Louise, ce soir.

      Il prit son air drôle, la grimace et l'accent qu'il empruntait à Lassouche, chaque fois qu'il allait débiter une de ses plaisanteries habituelles:

      —Veux-tu, belle-maman chérie?

      Renée lui secoua la main comme à un camarade. Et d'un ton rapide, avec une audace nerveuse de raillerie:

      —Eh! si je n'avais pas épousé ton père, je crois que tu me ferais la cour.

      Le jeune homme dut trouver cette idée très comique, car il avait déjà tourné le coin du boulevard Malesherbes qu'il riait encore.

      La calèche entra et vint s'arrêter devant le perron.

      Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par une vaste marquise vitrée, bordée d'un lambrequin à franges et à glands d'or. Les deux étages de l'hôtel s'élevaient sur des offices, dont on apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnis de vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibule avançait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formant ainsi une sorte d'avant-corps percé à chaque étage d'une baie arrondie, et montant jusqu'au toit, où il se terminait par un delta. De chaque côté, les étages avaient cinq fenêtres, régulièrement alignées sur la façade, entourées d'un simple cadre de pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges pans presque droits.

      Mais, du côté du jardin, la façade était autrement somptueuse. Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait tout le long du rez-de-chaussée; la rampe de cette terrasse, dans le style des grilles du parc Monceau, était encore plus chargée d'or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l'hôtel se dressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de tours engagées à demi dans le corps du bâtiment, et qui ménageaient à l'intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle, plus enfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et minces pour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur les parties plates de la façade, avaient, au rez-de-chaussée, des balustrades de pierre, et des rampes de fer forgé et doré aux étages supérieurs. C'était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses. L'hôtel disparaissait sous les sculptures. Autour des fenêtres, le long des corniches, couraient des enroulements de rameaux et de fleurs; il y avait des balcons pareils à des corbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues, les hanches tordues, les pointes des seins en avant; puis, çà et là, étaient collés des écussons de fantaisie, des grappes, des roses, toutes les efflorescences possibles de la pierre et du marbre. A mesure que l'œil montait, l'hôtel fleurissait davantage.

      Autour du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées, de distance en distance, des urnes où des flammes de pierre flambaient. Et là, entre les œils-de-bœuf des mansardes, qui s'ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages, s'épanouissaient les pièces capitales de cette décoration étonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquels reparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes, prenant des poses, parmi des poignées de jonc. Le toit, chargé de ces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, de deux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques, sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feu d'artifice architectural.

      A droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même de l'hôtel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtre d'un salon. Le jardin, qu'une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petit pour l'habitation, si étroit qu'une pelouse et quelques massifs d'arbres verts l'emplissaient, il était simplement comme une butte, comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l'hôtel en toilette de gala. A la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l'importance riche et sotte d'une parvenue, avec son lourd chapeau d'ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C'était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce Bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d'été, lorsque le soleil oblique allumait l'or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s'arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée; et, au travers des glaces si larges et si claires qu'elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d'étoffes, des morceaux de plafonds d'une richesse éclatante, dont la vue les clouait d'admiration et d'envie au beau milieu des allées.

      Mais, à cette heure, l'ombre tombait des arbres, la façade dormait. De l'autre côté, dans la cour, le valet de pied avait respectueusement aidé Renée à descendre de voiture. Les écuries, à bandes de briques rouges, ouvraient, à droite,