Название | Les douze nouvelles nouvelles |
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Автор произведения | Arsène Houssaye |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066074029 |
I
La scène se passe au beau milieu du tout-Paris, boulevard Malesherbes, dans un somptueux appartement.
Madame s'ennuie dans sa chambre à coucher et s'impatiente en voyant la pendule, qui lui semble marcher à rebours. Elle caresse son beau lévrier et regarde par la fenêtre. Mais il ne vient pas!
Heureusement elle entend résonner le timbre. «Oh! qui que tu sois, j'attends!»
Et, pour commencer, qu'est-ce que Madame? C'est une jolie jeune femme qui soupire sur trois années de mariage. Son mari est charmant, quand il est là,—mais il n'est jamais là!—Pourquoi? puisque sa femme est charmante. Une douce pâleur, légèrement bistrée sous les yeux; des lèvres rouges qui ne sont pas peintes et qui ont faim; la passion les agite, comme les ailes du nez, qui est d'un millimètre trop court, mais qui est bien dessiné. Les lèvres, qui ne se touchent pas tout à fait, permettent de voir, comme dans un écrin, des dents qui voudraient mordre. Le menton s'accuse un peu trop; mais quelle adorable volupté dans les ondulations du cou, sous les vagues rebelles des cheveux noirs!
Si nous étions au bal, nous en verrions bien d'autres; je pourrais peindre tout à loisir—puisque je le verrais—le sein provocant de Janina, c'est le nom de la jeune mariée;—je pourrais peindre les épaules et les bras dans toute la volupté de leur frémissement, brûlés par les flammes vives de la valse. Mais, Janina étant chez elle et non chez les autres, je ne veux pas être indiscret.
Cependant, le valet de chambre annonce Mme Hamilton, une Américaine francisée qui court le monde parisien à toute vapeur.
Elle n'a pas une seconde à elle, tant elle est à ses bonnes oeuvres. Elle se jetterait au feu pour faire le bien, si elle avait le temps. Ses bonnes oeuvres sont de plus d'une sorte. Curieuse comme Ève, elle veut être de tout; prenant sa part des chagrins comme sa part des joies, elle brouille les amoureux, sauf à les raccommoder. Elle ne permet pas qu'on fasse rien sans elle. Celle-là n'est pas jolie; voilà pourquoi sa vie est si occupée—pour les autres.
Elle entre chez Janina comme une petite bourrasque.
—Ah! ma chère amie, tu ne sais pas ce qui m'arrive?... Mais que vois-je?... tu as pleuré!... Es-tu folle de ne pas prendre gaiement la vie, dans une si jolie chambre à coucher!
Cette chambre à coucher était tendue de peluche bleue, piquée de broderies Louis XIII. L'ameublement contrastait, puisque c'était du pur Louis XVI, en bois laqué blanc, filets rose tendre ou bleu de ciel, dans le ton du plafond légèrement azuré et semé de nuages touchés par l'aurore.
Mme Hamilton embrassa Janina.
—Comment, mamour, tu t'ennuies ici? Ah! si j'avais comme toi ce beau lit estrade à baldaquin, cette armoire à trois battants où tu peux te voir trois fois dans ses glaces biseautées. Et ce secrétaire pour écrire de ton style à la Sévigné. Et ce chiffonnier pour cacher tes lettres. Heureuse femme!
Janina soupira.
—Ah! oui, c'est un paradis. Mais, dans ce beau lit, il manque un homme. Si je me mire dans ces trois glaces, c'est pour voir mon chagrin. Ce secrétaire ne me sert qu'à écrire à moi-même des pages folles que je cache bien vite dans ce chiffonnier. Mais je n'ai peur de rien, j'ai pleuré toutes mes larmes et je me vengerai....
—Voyons, voyons, ma Janina.... Un million de dot! une figure d'ange! Et ton mari te trompe; mais n'es-tu pas vengée en pensant qu'il te trompe avec une drôlesse sans orthographe, celle qu'on appelle la Faramineuse.
—Hélas! à quoi me sert-il de savoir la grammaire, si ce n'est à conjuguer le verbe je souffre à tous les temps.
—Ne te désole pas, nous arrangerons cela.
Un silence.
—Que veux-tu que je fasse? J'ai tout tenté pour reconquérir Fernand. Il est affolé par cette fille. Ah! quel est donc son secret pour l'enchaîner ainsi?
—L'amour n'a pas de secret; c'est l'amour, voilà tout.
—Et quand on pense qu'on a supprimé les lettres de cachet! Ah! si j'étais roi, comme j'enverrais toutes ces coquines à Saint-Lazare.
—Il est vrai qu'il n'y a plus de place!
Encore un silence!
Tout d'un coup, Mme Hamilton bondit sur son fauteuil comme la pythonisse sur son trépied.
—Euréka! pour dire un mot grec en latin.
—Tu as trouvé?
—Oui. Dans les naufrages, il faut tout risquer. Puisque c'est ici le naufrage de ton bonheur, mets les chaloupes à la mer.
—Pourquoi ces métaphores hors de propos?
—C'est que je lis des romans. Écoute bien. Tu vas aller de ce pas à l'hôtel du Louvre, où il n'y a jamais de Parisiens, car ce n'est pas comme au Grand-Hôtel. Tu écriras à la Faramineuse,—on dit qu'elle s'appelle Caroline Berlin.—Tu la prieras de venir te trouver pour une affaire qui l'intéresse. N'oublie pas de signer ta lettre: princesse Pacinska, ou Pacinskoff.
—Eh bien! quand j'aurai cette fille sous la main?
—Je sais bien que tu auras envie de la mettre en pièces. Mais il faudra que tu aies le courage de lui sourire...
A cet instant, le valet de chambre annonça la comtesse d'Oriac, une femme austère, qui ne riait plus, peut-être parce qu'elle avait trop ri. Sur quoi, Mme Hamilton salua et s'éloigna en toute hâte.
—Pardonnez-moi, madame, dit Janina à la nouvelle venue, je cours après cette folle, car j'ai un mot à lui dire.
La jeune mariée rejoignit Mme Hamilton, qui lui dit en quelques mots ce qu'elle devait faire à l'hôtel du Louvre.
—Tu es toquée, dit Janina en éclatant de rire pour cacher ses larmes.
II
Ce qui n'empêcha pas Janina d'aller à l'hôtel du Louvre.
C'est là que se passe la seconde scène, dans une de ces chambres bien numérotées qui font la joie d'une étrangère et qui feraient le désespoir d'une Parisienne.
Elle avait écrit à la Faramineuse, par la main de Mme Hamilton.
Il n'y avait pas une heure qu'elle attendait, quand Caroline Bertin, qui ce jour-là n'avait rien à faire, vint en personne pour répondre à la lettre d'appel, inquiétée d'ailleurs par ce singulier autographe.
Dès que la jeune femme entendit frapper, elle noua un double voile. Elle ouvrit et se mit à contre-jour pour parler à Caroline Bertin.
—Mademoiselle, j'arrive de Russie. Je sais que vous êtes à la mode et je ne m'en étonne point en vous voyant. Vous faites la pluie et le beau temps dans les régions de la galanterie. Voulez-vous que je vous donne dix mille francs pour...
—Donnez toujours, princesse, nous verrons après. C'est que le mari de Janina n'était pas si généreux. Il fallait lui arracher les billets de cinq cents francs. La jeune mariée déploya dix billets de mille francs comme si elle eût déployé son éventail. La Faramineuse les saisit avec ivresse.
—Tout ce qu'il vous plaira, madame.
Caroline Bertin s'attendait à recevoir une déclaration à bout