Название | Les mystères d'Udolphe |
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Автор произведения | Анна Радклиф |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080297 |
En cheminant, Saint-Aubert demanda à son compagnon s'il avait fait une bonne chasse.—Non, monsieur, répliqua-t-il, et ce n'était même pas mon projet; j'aime ce pays et me propose de le parcourir encore quelques semaines; mes chiens sont avec moi plutôt pour l'agrément que pour l'utilité; ce costume d'ailleurs me sert de prétexte et m'attire la considération qu'on refuserait sans doute à un étranger sans occupation apparente.
—J'admire vos goûts, dit Saint-Aubert, et si j'étais plus jeune, j'aimerais à passer quelques semaines comme vous le faites; je suis comme vous un voyageur, mais notre objet n'est pas le même: je cherche la santé encore plus que le plaisir. Saint-Aubert soupira et se tut un moment; puis, paraissant se recueillir, il ajouta: Je voudrais trouver une route passable qui me conduisît en Roussillon pour gagner ensuite le Languedoc. Vous, monsieur, qui paraissez connaître le pays, il vous serait possible de m'en indiquer une.
L'étranger l'assura que tous ses moyens étaient à son service, et lui parla d'un chemin plus à l'est qui devait conduire à une ville, et de là facilement en Roussillon.
Ils arrivèrent au village et commencèrent à chercher une chaumière qui pût leur offrir un gîte pour la nuit; ils ne trouvaient dans la plupart des maisons que la pauvreté, l'ignorance et la gaieté; on regardait Saint-Aubert d'un air timide et curieux; il ne fallait rien attendre qui ressemblât à un lit. Emilie survint, et observant l'air fatigué et souffrant de son pauvre père, se plaignit qu'il eût pris une route si peu commode pour un malade. D'autres chaumières étaient un peu moins sauvages; l'on y trouvait deux pièces, l'une pour les mules et le bétail, l'autre pour la famille, composée presque partout de six ou huit enfants, couchés, comme les père et mère, sur des peaux ou des feuilles sèches. Le jour n'avait d'entrée et la fumée de sortie, que par un trou pratiqué dans la couverture, et l'odeur d'eau-de-vie, dont les contrebandiers avaient amené l'usage, suffoquait presque en entrant. Emilie détourna les yeux et regarda son père avec une tendre inquiétude dont le jeune étranger parut entendre l'expression. Il tira Saint-Aubert à part et lui fit offre de son lit: Il est commode, lui dit-il, si nous le comparons aux autres, mais partout ailleurs j'aurais eu honte de vous l'offrir. Saint-Aubert lui témoigna sa reconnaissance et refusa d'accepter son offre; mais l'étranger insista: Point de refus, je souffrirais trop, monsieur, répliqua-t-il, si vous étiez sur une peau lorsque je me trouverais dans un lit; vos refus blesseraient mon amour-propre, et je pourrais penser que ma proposition vous désoblige; je vais vous montrer le chemin, et mon hôtesse trouvera moyen d'arranger aussi cette jeune dame.
Saint-Aubert consentit enfin, et fut un peu surpris que l'étranger fût assez peu galant pour préférer le repos d'un malade à celui d'une jeune et charmante personne, car il n'avait point offert la chambre à Emilie; mais Emilie n'en pensa pas de même, et le sourire expressif qu'elle lui adressa montrait assez combien elle était sensible à l'attention qu'il avait pour son père.
L'étranger, qui se nommait Valancourt, s'arrêta le premier pour dire un mot à son hôtesse, et l'habitation qu'elle ouvrit ne ressemblait en rien à ce qu'on avait encore vu. Cette bonne femme mettait tous ses soins à accueillir les voyageurs, et ils furent contraints d'accepter les deux seuls lits qui fussent dans la maison. Elle n'avait à leur offrir que des œufs et du lait; mais Saint-Aubert avait des provisions, et pria Valancourt de partager son souper. L'invitation fut bien reçue, et la conversation s'anima. La franchise, la simplicité, les grandes idées et le goût pour la nature que montrait le jeune homme enchantaient Saint-Aubert. Il avait dit souvent que ce goût pour la nature ne pouvait exister dans une âme sans y supposer une grande pureté de cœur et d'imagination.
Il était tard quand Saint-Aubert et Emilie se retirèrent dans leurs chambres. Valancourt resta devant la porte; dans cette agréable saison, il aimait mieux cette place qu'un étroit cabinet et un lit de peaux. Saint-Aubert fut un peu surpris de trouver près de lui Homère, Horace et Pétrarque, mais le nom de Valancourt écrit sur les volumes lui en fit connaître le possesseur.
CHAPITRE IV.
Saint-Aubert se réveilla de bonne heure: le sommeil l'avait rafraîchi, il désira de partir promptement. Valancourt déjeuna avec lui, et raconta que, peu de mois auparavant, il avait été jusqu'à Beaujeu, ville notable du Roussillon, et Saint-Aubert, sur son conseil, se décida à suivre cette route.
Le chemin de traverse et celui qui conduit à Beaujeu, dit Valancourt, se joignent à une lieue et demie d'ici. Je puis, si vous le voulez permettre, y diriger votre muletier. Il faut que je me promène, et la promenade que je ferai avec vous me sera plus agréable que toute autre.
Saint-Aubert reçut la proposition avec reconnaissance. Ils partirent ensemble, mais le jeune homme ne voulut point consentir à se placer dans la voiture.
La route, au pied des montagnes, suivait une riante vallée, toute brillante de verdure et parsemée de bocages. De nombreux troupeaux s'y reposaient à l'ombre des petits chênes, des hêtres et des sycomores; le frêne et le tremble laissaient retomber leurs rameaux sur les terres arides des rochers: à peine un peu de terre recouvrait leurs racines, et le moindre souffle agitait toutes leurs branches.
On rencontrait à chaque heure du jour beaucoup plus de monde. Le soleil ne paraissait pas encore, et déjà les bergers conduisaient un bétail immense aux pâturages de ces montagnes. Saint-Aubert était parti de bonne heure pour jouir du soleil levant et respirer cet air pur du matin, si salutaire pour les malades; il devait l'être surtout dans ces régions où l'abondance et la variété des plantes aromatiques le chargeaient des plus doux parfums.
Le brouillard léger qui voilait les objets environnants disparut peu à peu, et permit à Emilie de contempler les progrès du jour. Les reflets incertains de l'aurore colorant les pointes des rochers, les revêtirent successivement d'une vive lumière, tandis que leur base et les fonds de la vallée restaient couverts d'une vapeur sombre. Pendant ce temps, les nuages de l'orient éclaircirent leurs nuances, rougirent, brillèrent enfin de mille couleurs. La transparence des airs découvrit des flots d'or pur, des rayons éclatants chassèrent l'obscurité, pénétrèrent au fond du vallon et se répétèrent dans son ruisseau: la nature s'éveillait de la mort à la vie. Saint-Aubert se sentit ranimé, son cœur était plein; il versa des larmes et éleva ses pensées vers le créateur de toutes choses.
Emilie voulut descendre et fouler ce gazon tout humide de rosée; elle voulait goûter cette liberté dont le chamois semblait jouir sur la crête brune de ces montagnes. Valancourt s'arrêtait avec les voyageurs, et leur montrait avec sentiment les objets particuliers de son admiration. Saint-Aubert s'attachait à lui. Le jeune homme est ardent, il est bon, se disait-il; on voit bien qu'il n'a jamais habité Paris.
Ce ne fut pas sans chagrin qu'il se vit arrivé à l'endroit où les deux chemins se rencontraient: il prit congé de lui avec plus d'affection qu'une si nouvelle connaissance ne le permet ordinairement. Valancourt causa longtemps près de la voiture; il était au moment de s'en aller, et pourtant il restait encore; il cherchait des sujets d'entretien qui l'excusassent de le prolonger. A la fin il prit congé, et quand il partit, Saint-Aubert observa de quel air attentif et occupé il contemplait Emilie; elle le salua avec une douceur timide, la voiture partit. Mais Saint-Aubert, bientôt après s'avançant à la portière, aperçut Valancourt immobile sur la route, les bras croisés sur son bâton, et regardant aller la voiture; il salua de la main, et Valancourt sortant de sa rêverie, rendit le salut et s'éloigna.
L'aspect du pays changea bientôt. Les voyageurs se virent alors au milieu de montagnes à pic, et couvertes jusqu'en haut de noires forêts de sapins. Des flèches de granit, s'élançant du vallon même, allaient cacher au sein des nues leurs pointes couvertes de neige. Le ruisseau, devenu une rivière, coulait doucement et en silence, et ses noires forêts se réfléchissaient dans ses