Название | Les mystères d'Udolphe |
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Автор произведения | Анна Радклиф |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080297 |
Ils voyageaient sans se presser, et s'arrêtaient quand le site méritait leur attention; ils grimpaient souvent à des éminences que les mules ne pouvaient atteindre; ils s'égaraient dans ces roches, couvertes de lavande, de thym, de genièvre, de tamarin, et perdues sous d'antiques ombrages; une échappée de vue ravissait Emilie et surpassait les merveilles de la plus vive imagination.
Saint-Aubert s'amusait quelquefois à herboriser, tandis qu'Emilie et Valancourt couraient après quelques découvertes. Valancourt lui faisait remarquer les objets particuliers de son admiration, et récitait les plus beaux passages des poëtes latins ou italiens qu'elle aimait. Dans les intervalles de la conversation, et quand on ne l'observait pas, il fixait ses regards sur cette figure, dont les traits animés indiquaient tant d'esprit et d'intelligence. Quand il parlait ensuite, la douceur de sa voix décélait un sentiment qu'il prétendait en vain cacher. Par degrés les pauses et le silence lui devinrent plus fréquents: Emilie montra beaucoup d'empressement à les interrompre; elle qui jusqu'alors avait été si réservée, causait et parlait continuellement, tantôt des bois, tantôt des vallons ou des montagnes, plutôt que de s'exposer au danger de certains moments de silence et de sympathie.
La route de Beaujeu montait fort rapidement: ils se trouvèrent dans les montagnes les plus élevées; la sérénité et la pureté de l'air, dans ces hautes régions, ravissaient les trois voyageurs; elles semblaient alléger leur âme, et leur esprit en paraissait plus pénétrant. Ils n'avaient point de mots pour des émotions si sublimes; celles de Saint-Aubert recevaient une expression plus solennelle, ses larmes coulaient, et il cheminait à l'écart. Valancourt parlait de temps en temps pour diriger l'attention d'Emilie; la ténuité de l'atmosphère, qui lui laissait distinguer tous les objets, la trompait quelquefois, et toujours avec plaisir. Elle ne pouvait croire si loin d'elle ce qui lui paraissait si rapproché; le profond silence de cette solitude n'était interrompu que par le cri des aigles qui planaient dans l'air, et le bruissement sourd des torrents qui grondaient au fond des abîmes. Au-dessus d'eux, la voûte brillante des cieux n'était ternie d'aucun nuage, les tourbillons de vapeur s'arrêtaient au milieu des montagnes, leur rapide mouvement voilait parfois tout le pays, et d'autres fois, dégageant quelques parties, laissait à l'œil quelques moments d'observation. Emilie, transportée, considérait la grandeur de ces nuages qui variaient leur forme et leurs teintes. Elle admirait leur effet sur les contrées inférieures auxquelles ils donnaient à tout moment mille formes nouvelles.
Après avoir ainsi voyagé quelques lieues, ils commencèrent à descendre en Roussillon, et la scène qui s'ouvrit déployait une beauté moins âpre. Les voyageurs ne voyaient pas sans regret les objets imposants qu'ils allaient abandonner. Quoique fatigué de ces vastes aspects, l'œil se reposait complaisamment sur la verdure des bois et des prairies; la rivière qui les arrosait, la chaumière qu'ombrageaient les hêtres, les groupes joyeux des jeunes pâtres, les bouquets de fleurs qui paraient les coteaux, formaient ensemble un spectacle enchanteur.
En descendant, ils reconnurent un des grands passages des Pyrénées en Espagne: les fortifications, les tours, les murailles, recevaient alors les rayons du soleil couchant; les bois qui les entouraient n'avaient plus qu'un reflet jaunâtre, tandis que les pointes des rochers étaient encore couleur de rose.
Saint-Aubert regardait attentivement sans découvrir la petite ville qu'on lui avait indiquée; Valancourt ne pouvait l'éclairer sur la distance, parce que jamais il n'avait pénétré si loin; ils voyaient pourtant une route, et ils devaient la croire directe, puisque depuis Beaujeu ils n'avaient pu s'égarer d'aucun côté.
Le soleil était à l'horizon, et Saint-Aubert pressa son muletier; il se trouvait d'une extrême faiblesse, et à la suite d'une journée si fatigante, il désirait vivement un moment de repos. Son inquiétude ne se calma point en observant un grand train d'hommes, de chevaux et de mulets chargés, qui défilaient dans les détours de la montagne opposée; et comme les bois dérobaient souvent leur marche, on ne pouvait en apprécier le nombre. Quelque chose de brillant, comme des armes, resplendissait aux derniers rayons du soleil, et l'habit militaire se distinguait sur les premiers et sur quelques individus dispersés parmi la troupe. Dès qu'ils furent dans la vallée, une autre bande de soldats sortit des bois; les craintes de Saint-Aubert augmentèrent: il ne doutait pas que ce ne fussent autant de contrebandiers saisis dans les Pyrénées, et enlevés par des régiments avec leurs marchandises.
Les voyageurs s'étaient si longtemps oubliés dans les montagnes, qu'ils furent totalement trompés dans leur calcul, et ne purent gagner Montigni avant le coucher du soleil. Ils traversèrent la vallée, et remarquèrent sur un pont grossier qui réunissait deux escarpements, un groupe de jeunes enfants qui lançaient des pierres dans le torrent; les cailloux, en tombant faisaient jaillir des colonnes d'eau, et rendaient un bruit sourd que prolongeaient au loin les échos des montagnes. Sous le pont on découvrait toute la vallée en perspective, une cataracte au milieu des rocs, et une cabane sur une pointe abritée par de vieux sapins. Il semblait que cette habitation dût être voisine d'une petite ville. Saint-Aubert fit arrêter: il appela les enfants, et leur demanda si Montigni était bien loin; mais la distance, le bruit des eaux, ne lui permit pas de se faire entendre, et la hauteur à pic des montagnes qui soutenaient le pont, était trop considérable et trop perpendiculaire, pour que tout autre qu'un montagnard exercé, pût gravir jusqu'au sommet. Saint-Aubert ne s'arrêta donc qu'un instant; on continua la route à la faveur du crépuscule, et cette route même était tellement brisée, qu'il parut plus sage de quitter la voiture. La lune commençait à poindre, mais sa lumière était trop faible; ils marchaient au hasard au milieu des dangers. A ce moment la cloche d'un couvent se fit entendre: l'obscurité complète interceptait la vue du bâtiment, mais le son paraissait venir des bois qui couvraient la montagne à droite. Valancourt proposa d'aller à la recherche. Si nous ne trouvons pas un asile dans ce couvent, disait-il, du moins obtiendrons-nous des renseignements sur la distance ou la position de Montigni. Il se mit à courir sans attendre la réponse de Saint-Aubert; mais Saint-Aubert le rappela. Je suis, lui dit-il, horriblement fatigué, j'ai besoin du plus prompt repos, allons tous au couvent, votre air vigoureux déjouerait nos desseins; mais lorsque l'on verra mon épuisement et la lassitude d'Emilie, on ne pourra nous refuser un asile.
En disant ces mots il prit le bras d'Emilie, et recommandant à Michel de l'attendre, il suivit le son de la cloche et monta du côté des bois. Ses pas étaient chancelants; Valancourt lui offrit son bras, qu'il accepta. La lune alors éclairait leur sentier et leur permit bientôt d'apercevoir des tours qui s'élevaient au-dessus de la colline. La cloche continuait de les guider; ils entrèrent dans le bois, et la clarté tremblante de la lune devint plus incertaine par l'ombrage et le mouvement des feuilles. Cette obscurité, ce silence, lorsque la cloche ne sonnait pas, l'espèce d'horreur qu'inspirait un lieu si sauvage, tout remplit Emilie d'une frayeur que la voix et la conversation de Valancourt pouvaient seules diminuer. Après avoir monté quelque temps, Saint-Aubert se plaignit, et on s'arrêta sur un tertre de gazon où les arbres plus ouverts, laissaient jouir du clair de la lune. Saint-Aubert s'assit sur l'herbe entre Emilie et Valancourt. La cloche ne sonnait plus, et le calme profond n'était interrompu par aucun bruit, car le murmure sourd de quelques torrents éloignés semblait accompagner plutôt que troubler le silence.
Ils avaient alors sous les yeux la vallée