Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

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Название Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet
Автор произведения Divers Auteurs
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066084042



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celle qui donna à Mazarin et au roi le duc de Bouillon et son frère le maréchal de Turenne. Elle coûta cher à la France. Les Bouillon ne s'étaient engagés dans la Fronde que pour obtenir une compensation de la principauté de Sedan, dont Richelieu les avait dépouillés. Le cardinal, qui connaissait l'esprit rusé et avide des princes de la maison de Bouillon, s'en défia jusqu'au dernier moment et chargea l'abbé Fouquet, comme son agent le plus habile, de sonder[T.I pag.26] leurs projets. «Je vous prie de reconnaître bien et dans le dernier secret, lui écrivait-il le 22 décembre 1651, si je puis faire un état assuré de M. de Bouillon et de son frère.»

      Mazarin revient avec beaucoup plus d'insistance sur le même sujet, dans une lettre du 26 décembre; elle prouve qu'il tenait surtout à gagner le maréchal de Turenne, dont l'épée valait une armée entière. «Pour M. de Turenne, écrivait-il à l'abbé Fouquet, il sait l'estime et la tendresse que j'ai eues pour lui, et il a appris de beaucoup d'endroits et de gens qui, encore qu'ils soient de mes amis, ne le voudraient pas tromper, que je suis toujours le même, nonobstant tout ce qui s'est passé, l'affection que j'avais pour lui ayant jeté de trop profondes racines pour pouvoir être arrachée par de semblables accidents. J'ai écrit déjà fortement à la cour, afin qu'on trouve moyen de ne pas laisser inutile un homme de sa considération, et j'espère qu'il sera satisfait sur ce point-là. Il est injuste de se plaindre de ce que j'ai préféré d'autres à lui pour la levée et le commandement des troupes qui m'accompagnent. Il peut bien croire que j'aurais tenu à beaucoup d'honneur et d'avantage qu'il eût voulu venir, ainsi que je l'en aurais conjuré, si j'eusse cru qu'il en eût eu la moindre pensée; mais j'ai pensé que ce serait trop de hardiesse et même impudence de m'adresser pour une affaire de cette nature à une personne avec qui je n'avais aucune liaison. Du reste, il voit l'état où je suis. Si ma fortune devient meilleure, j'ose répondre qu'il s'en ressentira, étant résolu de chercher toutes les occasions de faire quelque[T.I pag.27] chose de solide pour lui et de l'obliger par ce moyen à être de mes amis sans aucune réserve.» Peu de temps après, le cardinal rentra en France (décembre 1651) à la tête d'une petite armée; Turenne devait en prendre le commandement, mais il était encore retenu dans Paris, d'où il ne parvint à s'échapper qu'à la fin de janvier 1652.

      A la nouvelle de l'entrée de Mazarin en France, la fureur de ses ennemis éclata avec une violence qui ne connut plus de bornes. Le parlement mit sa tête à prix et ordonna de prélever sur la vente de sa bibliothèque la somme qui serait payée au meurtrier. Deux conseillers furent envoyés à Pont-sur-Yonne, pour l'arrêter; mais l'un prit la fuite, et l'autre, nommé Bitaut, fut fait prisonnier. Il faillit payer les folies des Frondeurs. «J'avais résolu d'abord, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet[58], de renvoyer Bitaut généreusement; mais personne ne s'est trouvé de cet avis, et tout le monde a conclu qu'on devait le retenir et lui insinuer que, si les diligences continuelles que font quantité de conseillers du parlement et autres, en suite du dernier arrêt, pour me faire assassiner, produisent seulement la moindre tentative contre ma vie, la sienne ne sera guère en sûreté et que je n'aurai pas assez de pouvoir pour retenir le zèle et la main de tant de personnes à qui ma conservation est chère. Je serai bien aise, néanmoins, de savoir vos sentiments là-dessus.» Et plus loin: «Il faudrait aussi faire connaître adroitement à M. le président Le Coigneux et aux autres parents que Bitaut a dans le[T.I pag.28] parlement, qui sont en grand nombre, qu'ils ont grand intérêt de faire en sorte qu'on remédie à l'arrêt qui a été donné pour m'assassiner, à cause du risque que leur parent en peut courir. Il ne sera pas mal, à mon avis, de répandre le bruit que mes amis ne se pourront pas empêcher de consigner de l'argent pour le donner à ceux qui entreprendront contre quantité de conseillers du parlement ce qu'il a ordonné que l'on entreprendrait contre ma vie. Car, à vous dire le vrai, je vois les choses réduites en tels termes contre moi par les factieux du parlement, que le seul moyen de les accommoder et de les pousser à l'extrémité est de leur faire voir que je suis encore plus en état de leur faire du mal qu'eux de m'en causer.»

      Tout en employant les menaces pour intimider le parlement, Mazarin faisait agir sous main le procureur général, Nicolas Fouquet, qui détachait de la Fronde quelques-uns des principaux membres de la magistrature. Ainsi le président de Novion, qui appartenait à la puissante famille des Potier, se déclara pour la cause royale[59]. Le président Perrot suivit son exemple. Le conseiller Ménardeau, qui s'était signalé dans la première Fronde par sa violence contre Mazarin, se montra un de ses partisans dévoués. Cependant la majorité des membres du parlement et surtout les jeunes conseillers des enquêtes étaient toujours hostiles au cardinal. Il n'en était pas de même de la bourgeoisie.[T.I pag.29]

      L'abbé Fouquet, de concert avec le prévôt des marchands, qui était le véritable chef de la bourgeoisie parisienne, parvint à gagner à la cause royale les principaux conseillers de l'Hôtel de Ville. Ce serait, du reste, une erreur de croire que cette assemblée ait partagé pendant la Fronde les passions du parlement. Tandis que les magistrats, dirigés surtout par l'intérêt personnel, proscrivaient le cardinal, les rentiers, qui formaient une classe nombreuse et influente dans Paris, se voyaient menacés dans leur fortune et tentaient de résister à l'entraînement des factions. Les Registres de l'Hôtel de Ville de Paris pendant la Fronde[60] attestent que les bourgeois qui composaient le conseil de la cité n'étaient pas disposés à courir les risques d'une guerre civile pour satisfaire l'ambition de quelques intrigants. Il avait fallu, pour les entraîner dans la première lutte (1648-1649), avoir recours à la terreur. Lorsqu'en 1649 le président de Novion se rendit à l'Hôtel de Ville pour y faire exécuter les ordres du Parlement, «il déclara à la compagnie qu'il fallait aller droit en besogne dans les affaires présentes et que le premier qui broncherait serait jeté par les fenêtres[61].» La bonne bourgeoisie, forcée de courber la tête sous le joug, n'avait pas renoncé à ces sentiments de modération et n'attendait qu'une occasion pour les manifester. L'abbé Fouquet, qui connaissait bien ses dispositions, insistait vivement auprès de[T.I pag.30] Mazarin pour que l'on ménageât cette classe honnête et pacifique et que l'on en fît un auxiliaire du pouvoir.

      Le payement régulier des rentes (chose fort rare à cette époque) devait contribuer plus qu'aucune autre mesure à gagner les Parisiens. Aussi l'abbé Fouquet s'occupa-t-il tout spécialement de cette affaire: «Pour les rentes, lui écrivait Mazarin[62], Sa Majesté donne plus de créance à ce que vous mandez de la part de madame de Chevreuse et de M. le coadjuteur qu'à toutes les autres lettres qui sont venues de Paris, lesquelles, quoique de plus fraîche date, ne représentent pas l'émotion des esprits aussi grande ni les affaires en si mauvais état que vous faites. Le roi a donc résolu de rétablir les choses comme elles étaient, et l'on envoie l'arrêt sur la minute que M. d'Aligre en a dressée. J'ai emporté la chose et je crois que vous ne manquerez pas de la bien faire valoir, afin que j'en acquière quelque mérite envers ceux qui y sont intéressés.» Et ailleurs: «Par les nouvelles que nous avons de Paris, il parait que l'on a satisfaction de ce qui s'est fait touchant les rentes, et effectivement je n'omets aucuns soins pour empêcher que le payement n'en soit discontinué, dont il ne sera pas mauvais que l'on informe le public, comme vous avez déjà fait.»

      Le peuple était plus difficile à gagner que la bourgeoisie. L'homme qui en disposait réellement était Paul de Gondi. Il avait su, pendant la première Fronde, tour à tour soulever et contenir la populace, sur laquelle les[T.I pag.31] curés, qui lui étaient dévoués, exerçaient la plus grande influence. Depuis qu'il s'était rallié à la cour, il l'avait calmée, et en même temps avait arrêté la plume des pamphlétaires qu'il avait si longtemps employés à verser l'odieux et le ridicule sur Mazarin. Le coadjuteur attendait la récompense des services qu'il venait de rendre à la cour et se tenait dans une prudente réserve. Le retour de Mazarin l'avait irrité; mais il n'osait éclater, tant qu'il n'aurait pas le chapeau de cardinal, qu'on lui avait promis. Mazarin cherchait à le retenir dans son parti, comme l'attestent ses lettres; mais, en même temps, il lui demandait de donner des preuves de son dévouement pour la cause royale: «Il faut, disait-il dans une lettre à l'abbé Fouquet, que M. le coadjuteur prenne des résolutions pour agir, et il me semble qu'ayant le roi de son côté, étant assuré que j'entreprendrai tout hardiment pour l'appuyer, avec quantité d'amis que lui et M. le surintendant (duc de la Vieuville) ont dans Paris, et agissant de concert avec le prévôt des marchands et M. le maréchal de l'Hôpital,