Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

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Название Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet
Автор произведения Divers Auteurs
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066084042



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persuadé que l'intérêt de la France[T.I pag.13] exigeait des déclamations violentes et continuelles contre la cour et les traitants. Dans les premiers temps de la Fronde, Broussel fut le héros du peuple. Ce fut au cri de vive Broussel! que s'élevèrent les barricades, et son retour dans Paris fut un triomphe; mais le vide de ce tribun ne tarda pas à paraître. Retz, qui le faisait agir, s'en moquait. Peu à peu les factions s'en firent un jouet. Les partisans de la paix lui soufflaient leurs conseils pacifiques par son neveu Boucherat[35]. Le bonhomme, comme l'appellent les mémoires du temps, en vint à ne plus comprendre ses avis[36], et à voter contre la Fronde en croyant la soutenir. Bien d'autres orateurs parlementaires donnaient le triste spectacle de déclamations où la violence le disputait au ridicule.

      Lorsque l'on veut se faire une idée de l'infatuation et de l'aveuglement du parlement à cette époque, il faut lire les pamphlets qui furent inspirés par les passions de ce corps. Je me bornerai à citer quelques extraits de l'Histoire du temps[37], un des principaux ouvrages composés en l'honneur du parlement. L'auteur débute ainsi: «La France, opprimée par la violence du ministère, rendait les derniers soupirs lorsque les compagnies souveraines[38], animées par le seul intérêt public, firent un dernier effort pour reprendre l'autorité légitime que la[T.I pag.14] même violence leur avait fait perdre depuis quelques années.» Après une énumération des griefs de la nation contre le cardinal Mazarin, l'auteur rappelle les premiers troubles de la Fronde et le commencement de l'opposition du parlement. Cette assemblée est, à ses yeux, un véritable sénat romain, qui repousse avec indignation les faveurs de la royauté, lorsqu'elle tente de séparer le parlement des autres cours souveraines, en l'exemptant de l'impôt que devaient payer les magistrats pour avoir la propriété de leurs charges. «Messieurs de la Grand'Chambre dirent qu'ils ne croyaient pas qu'il y eût personne dans la compagnie qui eût été si lâche de s'assembler tant de fois pour son intérêt particulier, et que c'était le mal général du royaume qui les affligeait sensiblement et qui les avait portés à faire aujourd'hui un dernier effort, et partant, si leur dessein demeurait imparfait, ils n'avaient qu'à abandonner leurs personnes en proie à leurs ennemis, aussi bien que leurs fortunes particulières; que l'intérêt de leurs charges n'était point à présent considérable, et que si, dans cette occasion, ils en désiraient maintenir l'autorité, ce n'était pas pour leur utilité particulière, mais plutôt pour l'avantage public[39].»

      Après la Grand'Chambre, l'auteur nous montre les Enquêtes «opinant avec autant de confiance et de liberté que faisaient autrefois les sénateurs dans l'ancienne Rome. Les désordres de l'État, les voleries, la corruption et l'anéantissement des lois les plus saintes[T.I pag.15] et les plus inviolables, tout cela fut magnifiquement expliqué[40].» Broussel est le héros de cet écrivain, comme il était l'idole du peuple. Lorsqu'il arrive à l'arrestation de ce conseiller dans la journée du 26 août 1648, l'historien s'exalte et apostrophe emphatiquement le lecteur: «C'est ici, cher lecteur, que tu dois suspendre et arrêter ton esprit; c'est sur ce héros que tu dois jeter les yeux. Il est beaucoup plus illustre que ceux de l'antiquité, quand même tu prendrais pour vérités les fables qu'on a inventées pour les rendre plus célèbres.» On ne s'étonne plus, après cette apothéose de Broussel, de voir le Parlement transformé en Hercule, qui a terrassé «les monstres qui se repaissent du sang des peuples et de leur substance.»

      Entre les parlements, trop souvent, égarés par la passion, et l'habile politique de Mazarin, les esprits fins et pénétrants comme Fouquet ne pouvaient pas hésiter. Mazarin, depuis son entrée au ministère, avait suivi les traces de Richelieu et continué ses succès. En quelques années, il avait obtenu de brillants résultats: la maison d'Autriche avait été vaincue à Rocroi, Fribourg, Nordlingen et Lens. Turenne menaçait l'Empereur jusque dans ses États héréditaires. Le Roussillon, l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la Catalogne envahie, la Suède triomphante, la Hongrie détachée de l'Autriche, l'Italie secouant le joug de l'Espagne, enfin l'Empire triomphant de l'Empereur, tels étaient les fruits de cette glorieuse politique. Mazarin aurait voulu assurer à la France ses limites naturelles. On en trouve[T.I pag.16] la preuve dans les instructions qu'il donna aux négociateurs français et aux intendants des armées. «L'acquisition des Pays-Bas, écrivait-il aux plénipotentiaires français de Munster[41], formerait à la ville de Paris un boulevard inexpugnable, et ce serait alors véritablement que l'on pourrait l'appeler le cœur de la France, et qu'il serait placé dans l'endroit le plus sûr du royaume. L'on en aurait étendu la frontière jusqu'à la Hollande, et, du côté de l'Allemagne, qui est celui d'où l'on peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rhin, par la rétention de la Lorraine et de l'Alsace, et par la possession du Luxembourg et de la comté de Bourgogne (Franche-Comté).» En même temps Mazarin voulait assurer à la France la barrière des Alpes par l'acquisition de la Savoie et du comté de Nice[42].

      La réalisation de ces vastes desseins ne pouvait s'accomplir sans des sacrifices pécuniaires qui excitaient les murmures de la nation. Mazarin, qui connaissait peu les détails de l'administration intérieure, avait confié le maniement des finances à un Italien, Particelli Emery, ministre fécond en inventions fiscales, entouré de partisans avides, qui pressuraient le peuple et étalaient un faste insolent. Quiconque a parcouru les mémoires de la Fronde connaît les Montauron, les Bordier, les La Raillière, les Bretonvilliers et tant d'autres traitants[43], qui étaient les grands spéculateurs de cette[T.I pag.17] époque. Ils prenaient à ferme les impôts et en détournaient une partie considérable à leur profit. On conçoit que des magistrats honnêtes se soient indignés de ces vols et aient tenté de les réprimer; mais, dans leur zèle aveugle, ils allaient jusqu'à priver l'État des ressources sans lesquelles il ne pouvait continuer la lutte glorieuse qu'il soutenait contre la maison d'Autriche, et assurer le succès des négociations de Munster. C'est surtout à la Fronde qu'il faut attribuer le résultat incomplet du congrès de Westphalie et la continuation de la guerre contre l'Espagne.

      Rien ne nous porte à croire que Nicolas Fouquet ait hésité entre Mazarin et le parlement, et qu'il se soit déterminé à s'attacher au cardinal par des considérations générales d'intérêt public. Il est plus probable que cet homme d'un esprit vif et facile, mais avide de pouvoir et de richesses, peu délicat d'ailleurs sur les moyens, n'éprouva aucun scrupule en se donnant à un ministre qui tenait surtout à trouver des agents dociles et féconds en ressources. Sans nous faire illusion sur les causes qui déterminèrent le procureur général à s'attacher à Mazarin, nous ne pouvons qu'applaudir à la fidélité avec laquelle il le servit dans la mauvaise comme dans la bonne fortune.[T.I pag.18]

       Table des matières

      1651-1652

      Mazarin sort de France (mars 1651); son découragement.—Services que lui rendirent en cette circonstance Nicolas et Basile Fouquet.—Caractère de ce dernier. Il brave les dangers pour se rendre près du cardinal (avril-mai 1651).—Le procureur général, Nicolas Fouquet, s'oppose à la saisie des meubles de Mazarin.—Efforts des Fouquet pour rompre la coalition des deux Frondes.—Ils y réussissent (juin 1651).—Tentatives pour gagner à la cause de Mazarin quelques membres du parlement.—Négociations de l'abbé Fouquet avec le duc de Bouillon et Turenne son frère, qui se rallient à la cause royale (décembre 1651).—Mazarin rentre en France et rejoint la cour (janvier 1652).—Turenne prend le commandement de son armée (février 1652).—Dispositions de la bourgeoisie différentes de celles du parlement.—Influence des rentiers dans Paris.—Rôle du coadjuteur Paul de Gondi; il est nommé cardinal (février 1652).—Efforts inutiles de l'abbé Fouquet pour gagner Gaston d'Orléans.—Négociations avec Chavigny.—Importance du rôle de ce dernier pendant la Fronde.

      Au commencement de l'année 1651, Mazarin semblait perdu. Le parti de l'ancienne Fronde s'était uni avec la faction des princes et avait contraint le cardinal à s'exiler. Mazarin fut loin de montrer, dans ces circonstances, la décision et l'habileté dont quelques écrivains modernes lui font honneur. Ils supposent que le cardinal, contraint de quitter le pouvoir et de s'éloigner de la cour, alla délivrer le prince de Condé, alors[T.I