La Terre. Emile Zola

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Название La Terre
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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l'abbé Godard entrait dans la sacristie, lorsqu'il tomba sur Delphin et sur Nénesse, qui jouaient à se pousser, en préparant les burettes.

      Le premier, le fils à Bécu, âgé de onze ans, était un gaillard hâlé et solide déjà, aimant la terre, lâchant l'école pour le labour; tandis qu'Ernest, l'aîné des Delhomme, un blond mince et fainéant, du même âge, avait toujours un miroir au fond de sa poche.

      – Eh bien, polissons! cria le prêtre. Est-ce que vous vous croyez dans une étable?

      Et, se tournant vers un grand jeune homme maigre, dont la face blême se hérissait de quelques poils jaunes, et qui rangeait des livres sur la planche d'une armoire:

      – Vraiment, monsieur Lequeu, vous pourriez les faire tenir tranquilles, quand je ne suis pas là!

      C'était le maître d'école, un fils de paysan, qui avait sucé la haine de sa classe avec l'instruction. Il violentait ses élèves, les traitait de brutes et cachait des idées avancées, sous sa raideur correcte à l'égard du curé et du maire. Il chantait bien au lutrin, il prenait même soin des livres sacrés; mais il avait formellement refusé de sonner la cloche, malgré l'usage, une telle besogne étant indigne d'un homme libre.

      – Je n'ai pas la police de l'église, répondit-il sèchement. Ah! chez moi, ce que je les giflerais!

      Et, comme, sans répondre, l'abbé passait précipitamment l'aube et l'étole, il continua:

      – Une messe basse, n'est-ce pas?

      – Sans doute, et vite!.. Il faut que je sois à Bazoches avant dix heures et demie, pour la grand'messe.

      Lequeu, qui avait pris un vieux missel dans l'armoire, la referma et alla poser le livre sur l'autel.

      – Dépêchons, dépêchons, répétait le curé, en pressant Delphin et Nénesse.

      Suant et soufflant, le calice en main, il rentra dans l'église, il commença la messe, que les deux gamins servaient, avec des regards en dessous de sournois farceurs. C'était une église d'une seule nef, à voûte ronde, lambrissée de chêne, qui tombait en ruines, par suite de l'entêtement du conseil municipal à refuser tout crédit: les eaux de pluie filtraient au travers des ardoises cassées de la toiture, on voyait de grandes taches indiquant la pourriture avancée du bois; et, dans le choeur, fermé d'une grille, une couleur verdâtre, en l'air, salissait la fresque de l'abside, coupait en deux la figure d'un Père Éternel, que des Anges adoraient.

      Lorsque le prêtre se tourna vers les fidèles, les bras ouverts, il s'apaisa un peu, en voyant que du monde était venu, le maire, l'adjoint, des conseillers municipaux, le vieux Fouan, Clou, le maréchal ferrant qui jouait du trombone aux messes chantées. L'air digne, Lequeu était resté au premier rang. Bécu, soûl à tomber, gardait dans le fond une raideur de pieu. Et, du côté des femmes surtout, les bancs se garnissaient, Fanny, Rose, la Grande, d'autres encore; si bien que les filles de la Vierge avaient dû se serrer, exemplaires maintenant, le nez dans leurs paroissiens. Mais ce qui flatta le curé, ce fut d'apercevoir M. et Mme Charles avec leur petite-fille Élodie, monsieur en redingote de drap noir, madame en robe de soie verte, tous les deux graves et cossus, donnant le bon exemple.

      Cependant, il dépêchait sa messe, mangeait le latin, bousculait le rite. Au prône, sans monter en chaire, assis sur une chaise, au milieu du choeur, il ânonna, se perdit, renonça à se retrouver: l'éloquence était son côté faible, les mots ne venaient pas, il poussait des heu! heu! sans jamais pouvoir finir ses phrases; ce qui expliquait pourquoi monseigneur l'oubliait depuis vingt-cinq ans, dans la petite cure de Bazoches-le-Doyen. Et le reste fut bâclé, les sonneries de l'élévation tintèrent comme des signaux électriques pris de folie, il renvoya son monde d'un «Ite, missa est» en coup de fouet.

      L'église s'était à peine vidée, que l'abbé Godard reparaissait, le tricorne posé de travers, dans sa hâte. Devant la porte, un groupe de femmes stationnait, Coelina, Flore, la Bécu, très blessées d'avoir été ainsi menées au galop. Il les méprisait donc, qu'il ne leur en donnait pas davantage, un jour de grande fête?

      – Dites, monsieur le curé, demanda Coelina de sa voix aigre, en l'arrêtant, vous nous en voulez, que vous nous expédiez comme un vrai paquet de guenilles?

      – Ah! dame! répondit-il, les miens m'attendent… Je ne puis pas être à Bazoches et à Rognes… Ayez un curé à vous, si vous désirez des grand'messes.

      C'était l'éternelle querelle entre Rognes et l'abbé, les habitants exigeant des égards, lui s'en tenant à son devoir strict, pour une commune qui refusait de réparer l'église, et où, d'ailleurs, de perpétuels scandales le décourageaient. Il continua, en désignant les filles de la Vierge, qui partaient ensemble:

      – Et puis, est-ce que c'est propre, des cérémonies avec des jeunesses sans aucun respect pour les commandements de Dieu?

      – Vous ne dites pas ça pour ma fille, j'espère? demanda Coelina, les dents serrées.

      – Ni pour la mienne, bien sûr? ajouta Flore.

      Alors, il s'emporta, excédé.

      – Je le dis pour qui je dois le dire… Ça crève les yeux. Voyez-vous ça avec des robes blanches! Je n'ai pas une procession ici, sans qu'il y en ait une d'enceinte… Non, non, vous lasseriez le bon Dieu lui-même!

      Il les quitta, et la Bécu, restée muette, dut mettre la paix entre les deux mères, qui, excitées, se jetaient leurs filles à la tête; mais elle la mettait avec des insinuations si fielleuses, que la querelle s'aggrava. Berthe, ah! oui, on verrait comment elle tournerait, avec ses corsages de velours et son piano! Et Suzanne, fameuse idée de l'envoyer chez la couturière de Châteaudun, pour qu'elle fît la culbute?

      L'abbé Godard, libre enfin, s'élançait, lorsqu'il se trouva en face des Charles. Son visage s'épanouit d'un large sourire aimable, il lança un grand coup de tricorne. Monsieur, majestueux salua, madame fit sa belle révérence. Mais il était dit que le curé ne partirait point, car il n'était pas au bout de la place, qu'une nouvelle rencontre l'arrêta. C'était une grande femme d'une trentaine d'années, qui en paraissait bien cinquante, les cheveux rares, la face plate, molle, jaune de son; et, cassée, épuisée par des travaux trop rudes, elle chancelait sous un fagot de menu bois.

      – Palmyre, demanda-t-il, pourquoi n'êtes-vous pas venue à la messe, un jour de Toussaint? C'est très mal.

      Elle eut un gémissement.

      – Sans doute, monsieur le curé, mais comment faire?.. Mon frère a froid, nous gelons chez nous. Alors, je suis allée ramasser ça, le long des haies.

      – La Grande est donc toujours aussi dure?

      – Ah bien! elle crèverait plutôt que de nous jeter un pain ou une bûche.

      Et, de sa voix dolente, elle répéta leur histoire, comment leur grand'mère les chassait, comment elle avait dû se loger avec son frère dans une ancienne écurie abandonnée. Ce pauvre Hilarion, bancal, la bouche tordue par un bec-de-lièvre, était sans malice, malgré ses vingt-quatre ans, si bête, que personne ne voulait le faire travailler. Elle travaillait donc pour lui, à se tuer, elle avait pour cet infirme des soins passionnés, une tendresse vaillante de mère.

      En l'écoutant, la face épaisse et suante de l'abbé Godard se transfigurait d'une bonté exquise, ses petits yeux colères s'embellissaient de charité, sa bouche grande prenait une grâce douloureuse. Le terrible grognon, toujours emporté dans un vent de violence, avait la passion des misérables, leur donnait tout, son argent, son linge, ses habits, à ce point qu'on aurait pas trouvé, en Beauce, un prêtre ayant une soutane plus rouge et plus reprisée.

      Il se fouilla d'un air inquiet, il glissa à Palmyre une pièce de cent sous.

      – Tenez! cachez ça, je n'en ai pas pour les autres… Et il faudra que je parle encore à la Grande, puisqu'elle est si mauvaise.

      Cette fois, il se sauva. Heureusement, comme il suffoquait, en remontant la côte, de l'autre côté de l'Aigre, le boucher de Bazoches-le-Doyen, qui rentrait, le prit dans sa carriole; et il disparut au ras de la plaine, secoué, avec