Le Docteur Pascal. Emile Zola

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Название Le Docteur Pascal
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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si dévouée, l'ébranlaient, dans sa tendresse inquiète pour son oncle. Ne l'aimaient-elles pas davantage, d'une façon plus éclairée et plus droite, elles qui le voulaient sans tache, dégagé de ses manies de savant, assez pur pour être parmi les élus? Des phrases de livres dévots lui revenaient, la continuelle bataille livrée à l'esprit du mal, la gloire des conversions emportées de haute lutte. Si elle se mettait à cette besogne sainte, si pourtant, malgré lui, elle le sauvait! Et une exaltation, peu à peu, gagnait son esprit, tourné volontiers aux entreprises aventureuses.

      – Certainement, finit-elle par dire, je serais très heureuse qu'il ne se cassât pas la tête, à entasser ces bouts de papier, et qu'il vint avec nous à l'église.

      En la voyant près de céder, madame Rougon s'écria qu'il fallait agir, et Martine elle-même pesa de toute sa réelle autorité. Elles s'étaient rapprochées, elles endoctrinaient la jeune fille, baissant la voix, comme pour un complot, d'où sortirait un miraculeux bienfait, une joie divine dont la maison entière serait parfumée. Quel triomphe, si l'on réconciliait le docteur avec Dieu! et quelle douceur ensuite, à vivre ensemble, dans la communion céleste d'une même foi!

      – Enfin, que dois-je faire? demanda Clotilde, vaincue, conquise.

      Mais, à ce moment, dans le silence, le pilon du docteur reprit plus haut, de son rythme régulier. Et Félicité victorieuse, qui allait parler, tourna la tête avec inquiétude, regarda un instant la porte de la chambre voisine. Puis, à demi-voix:

      – Tu sais où est la clef de l'armoire?

      Clotilde ne répondit pas, eut un simple geste, pour dire toute sa répugnance à trahir ainsi son maître.

      – Que tu es enfant! Je te jure de ne rien prendre, je ne dérangerai même rien… Seulement, n'est-ce pas? puisque nous sommes seules, et que jamais Pascal ne reparaît avant le dîner, nous pourrions nous assurer de ce qu'il y a là dedans… Oh! rien qu'un coup d'oeil, ma parole d'honneur!

      La jeune fille, immobile, ne consentait toujours pas.

      – Et puis, peut-être que je me trompe, il n'y a sans doute là aucune des mauvaises choses que je t'ai dites.

      Ce fut décisif, elle courut prendre dans le tiroir la clef, elle ouvrit elle-même l'armoire toute grande.

      – Tiens! grand'mère, les dossiers sont là-haut.

      Martine, sans une parole, était allée se planter à la porte de la chambre, l'oreille au guet, écoutant le pilon, tandis que Félicité, clouée sur place par l'émotion, regardait les dossiers. Enfin, c'étaient eux, ces dossiers terribles, dont le cauchemar empoisonnait sa vie! elle les voyait, elle allait les toucher, les emporter! Et elle se dressait, dans un allongement passionné de ses courtes jambes.

      – C'est trop haut, mon petit chat, dit-elle. Aides-moi, donne-les-moi!

      – Oh! ça, non, grand'mère… Prends une chaise.

      Félicité prit une chaise, monta lestement dessus. Mais elle était encore trop petite. D'un effort extraordinaire, elle se haussait, arrivait à se grandir, jusqu'à toucher du bout de ses ongles les chemises de fort papier bleu; et ses doigts se promenaient, se crispaient, avec des égratignements de griffes. Brusquement, il y eut un fracas: c'était un échantillon géologique, un fragment de marbre, qui se trouvait sur une planche inférieure, et qu'elle venait de faire tomber.

      Aussitôt, le pilon s'arrêta, et Martine dit d'une voix étouffée:

      – Méfiez-vous, le voici!

      Mais Félicité, désespérée, n'entendait pas, ne lâchait pas, lorsque Pascal entra vivement. Il avait cru à un malheur, à une chute, et il demeura stupéfié devant ce qu'il voyait: sa mère sur la chaise, le bras encore en l'air, tandis que Martine s'était écartée, et que Clotilde debout, très pale, attendait, sans détourner les yeux. Quand il eut compris, lui-même devint d'une blancheur de linge. Une colère terrible montait en lui.

      La vieille madame Rougon, d'ailleurs, ne se troubla aucunement. Dès qu'elle vit l'occasion perdue, elle sauta de la chaise, ne fit aucune allusion à la vilaine besogne dans laquelle il la surprenait.

      – Tiens, c'est toi! Je ne voulais pas te déranger… J'étais venue embrasser Clotilde. Mais voici près de deux heures que je bavarde, et je file bien vite. On m'attend chez moi, on ne doit plus savoir ce que je suis devenue… Au revoir, à dimanche!

      Elle s'en alla, très à l'aise, après avoir souri à son fils, qui était resté muet devant elle, respectueux. C'était une attitude prise par lui, depuis longtemps, pour éviter une explication qu'il sentait devoir être cruelle et dont il avait toujours eu peur. Il la connaissait, il voulait tout lui pardonner, dans sa large tolérance de savant qui faisait la part de l'hérédité, du milieu et des circonstances. Puis, n'était-elle pas sa mère? et cela aurait suffi; car, au milieu des effroyables coups que ses recherches portaient à la famille, il gardait une grande tendresse de coeur pour les siens.

      Lorsque sa mère ne fut plus là, sa colère éclata, s'abattit sur Clotilde. Il avait détourné les yeux de Martine, il les tenait fixés sur la jeune fille, dont les regards ne se baissaient toujours pas, dans une bravoure qui acceptait la responsabilité de son acte.

      – Toi! toi! dit-il enfin.

      Il lui avait saisi le bras, il le serrait, à la faire crier. Mais elle continuait à le regarder en face, sans plier devant lui, avec la volonté indomptable de sa personnalité, de sa pensée, à elle. Elle était belle et irritante, si mince, si élancée, vêtue de sa blouse noire; et son exquise jeunesse blonde, son front droit, son nez fin, son menton ferme, prenait un charme guerrier, dans sa révolte.

      – Toi que j'ai faite, toi qui es mon élève, mon amie, mon autre pensée, à qui j'ai donné un peu de mon coeur et de mon cerveau! Ah! oui, j'aurais dû te garder tout entière pour moi, ne pas me laisser prendre le meilleur de toi-même par ton bête de bon Dieu!

      – Oh! monsieur, vous blasphémez! cria Martine, qui s'était rapprochée, pour détourner sur elle une partie de sa colère.

      Mais il ne la voyait même pas. Clotilde seule existait. Et il était comme transfiguré, soulevé d'une telle passion, que, sous ses cheveux blancs, dans sa barbe blanche, son beau visage flambait de jeunesse, d'une immense tendresse blessée et exaspérée. Un instant encore, ils se contemplèrent de la sorte, sans se céder, les yeux sur les yeux.

      – Toi! toi! répétait-il, de sa voix frémissante.

      – Oui, moi!.. Pourquoi donc, maître, ne t'aimerais-je pas autant que tu m'aimes? et pourquoi, si je te crois en péril, ne tâcherais-je pas de te sauver? Tu t'inquiètes bien de ce que je pense, tu veux bien me forcer à penser comme toi!

      Jamais elle ne lui avait ainsi tenu tête.

      – Mais tu es une petite fille, tu ne sais rien!

      – Non, je suis une âme, et tu n'en sais pas plus que moi!

      Il lui lâcha le bras, il eut un grand geste vague vers le ciel, et un extraordinaire silence tomba, plein des choses graves, de l'inutile discussion qu'il ne voulait pas engager. D'une rude poussée, il était allé ouvrir le volet de la fenêtre du milieu; car le soleil baissait, la salle s'emplissait d'ombre. Puis, il revint.

      Mais elle, dans un besoin d'air et de libre espace, était allée à cette fenêtre ouverte. L'ardente pluie de braise avait cessé, il n'y avait plus, tombant de haut, que le dernier frisson du ciel surchauffé et pâlissant; et, de la terre brûlante encore, montaient des odeurs chaudes, avec la respiration soulagée du soir. Au bas de la terrasse, c'était d'abord la voie du chemin de fer, les premières dépendances de la gare, dont on apercevait les bâtiments; puis, traversant la vaste plaine aride, une ligne d'arbres indiquait le cours de la Viorne, au delà duquel montaient les coteaux de Sainte-Marthe, des gradins de terres rougeâtres plantées d'oliviers, soutenues par des murs de pierres sèches, et que couronnaient des bois sombres de pins: large amphithéâtre désolé, mangé de soleil, d'un ton de vieille brique cuite, déroulant en haut, sur le ciel, cette frange de verdure noire. A gauche, s'ouvraient les gorges de la Seille, des amas de pierres jaunes, écroulées