Le Docteur Pascal. Emile Zola

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Название Le Docteur Pascal
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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simplement curieux. Il resta très surpris devant cette forte femme de trente-deux ans, à l'air si sage et si bourgeois, chez qui rien ne restait de la folle gamine avec laquelle il s'était déniaisé, lorsque tous deux, du même âge, entraient à peine dans leur dix-septième année. Peut-être eut-il seulement un serrement de coeur, lui malade et déjà très vieux, à la retrouver embellie et calme, très grasse.

      – Jamais je ne l'aurais reconnue, dit-il.

      Et le landau, qui roulait toujours, tourna dans la rue de Rome. Justine disparut, cette vision du passé, si différente, sombra dans le vague du crépuscule, avec Thomas, les enfants, la boutique.

      A la Souleiade, la table était mise. Martine avait une anguille de la Viorne, un lapin sauté et un rôti de boeuf. Sept heures sonnaient, on avait tout le temps de dîner tranquillement.

      – Ne te tourmente pas, répétait le docteur Pascal à son neveu. Nous t'accompagnerons au chemin de fer, ce n'est pas à dix minutes… Du moment que tu as laissé ta malle, tu n'auras qu'à prendre ton billet et à sauter dans le train.

      Puis, comme il retrouvait Clotilde dans le vestibule, où elle accrochait son chapeau et son ombrelle, il lui dit à demi-voix:

      – Tu sais que ton frère m'inquiète.

      – Comment ça?

      – Je l'ai bien regardé, je n'aime pas la façon dont il marche. Ça ne m'a jamais trompé… Enfin, c'est un garçon que l'ataxie menace.

      Elle devint toute pale, elle répéta:

      – L'ataxie.

      Une cruelle image s'était levée, celle d'un voisin, un homme jeune encore, que, pendant dix ans, elle avait vu traîné par un domestique, dans une petite voiture. N'était-ce pas le pire des maux, l'infirmité, le coup de hache qui sépare un vivant de la vie?

      – Mais, murmura-t-elle, il ne se plaint que de rhumatismes.

      Pascal haussa les épaules; et, mettant un doigt sur ses lèvres, il passa dans la salle à manger, où déjà Félicité et Maxime étaient assis.

      Le dîner fut très amical. La brusque inquiétude, née au coeur de Clotilde, la rendit tendre pour son frère, qui se trouvait placé près d'elle. Gaiement, elle le soignait, le forçait à prendre les meilleurs morceaux. Deux fois, elle rappela Martine, qui passait les plats trop vite. Et Maxime, de plus en plus, était séduit par cette soeur si bonne, si bien portante, si raisonnable, dont le charme l'enveloppait comme d'une caresse. Elle le conquérait à un tel point, que, peu à peu, un projet, vague d'abord, se précisait en lui. Puisque son fils, le petit Charles, l'avait tant effrayé avec sa beauté de mort, son air royal d'imbécillité maladive, pourquoi n'emmènerait-il pas sa soeur Clotilde? L'idée d'une femme dans sa maison le terrifiait bien, car il les redoutait toutes, ayant joui d'elles trop jeune; mais celle-ci lui paraissait vraiment maternelle. D'autre part, une femme honnête, chez lui, cela le changerait et serait très bon. Son père, au moins, n'oserait plus lui envoyer des filles, comme il le soupçonnait de le faire, pour l'achever et avoir tout de suite son argent. La terreur et la haine de son père le décidèrent.

      – Tu ne te maries donc pas? demanda-t-il, voulant sonder le terrain.

      La jeune fille se mit à rire.

      – Oh! rien ne presse.

      Puis, d'un air de boutade, regardant Pascal qui avait levé la tête:

      – Est-ce qu'on sait?.. Je ne me marierai jamais.

      Mais Félicité se récria. Quand elle la voyait si attachée au docteur, elle souhaitait souvent un mariage qui l'en détacherait, qui laisserait son fils isolé, dans un intérieur détruit, où elle-même deviendrait toute-puissante, maîtresse des choses. Aussi l'appela-t-elle en témoignage: n'était-ce pas vrai qu'une femme devait se marier, que cela était contre nature, de rester vieille fille? Et, gravement, il l'approuvait, sans quitter Clotilde des yeux.

      – Oui, oui, il faut se marier… Elle est trop raisonnable, elle se mariera…

      – Bah! interrompit Maxime, aura-t-elle vraiment raison?.. Pour être malheureuse peut-être, il y a tant de mauvais ménages!

      Et, se décidant:

      – Tu ne sais pas ce que tu devrais faire?.. Eh bien! tu devrais venir à Paris vivre avec moi… J'ai réfléchi, cela m'effraye un peu de prendre la charge d'un enfant, dans mon état de santé. Ne suis-je pas un enfant moi-même, un malade qui a besoin de soins?.. Tu me soignerais, tu serais là, si je venais à perdre décidément les jambes.

      Sa voix s'était brisée, dans un attendrissement sur lui-même. Il se voyait infirme, il la voyait à son chevet, en soeur de charité; et, si elle consentait à rester fille, il lui laisserait volontiers sa fortune, pour que son père ne l'eût pas. La terreur qu'il avait de la solitude, le besoin où il serait peut-être bientôt de prendre une garde-malade, le rendaient très touchant.

      – Ce serait bien gentil de ta part, et tu n'aurais pas à t'en repentir.

      Mais Martine, qui servait le rôti, s'était arrêtée de saisissement; et la proposition, autour de la table, causait la même surprise. Félicité, la première, approuva, en sentant que ce départ aiderait ses projets. Elle regardait Clotilde, muette encore et comme étourdie; tandis que le docteur Pascal, très pâle, attendait.

      – Oh! mon frère, mon frère, balbutia la jeune fille, sans trouver d'abord autre chose.

      Alors, la grand'mère intervint.

      – C'est tout ce que tu dis? Mais c'est très bien, ce que ton frère te propose. S'il craint de prendre Charles maintenant, tu peux toujours y aller, toi; et, plus tard, tu feras venir le petit… Voyons, voyons, ça s'arrange parfaitement. Ton frère s'adresse à ton coeur… Pascal, n'est-ce pas qu'elle lui doit une bonne réponse?

      Le docteur, d'un effort, était redevenu maître de lui. On sentait pourtant le grand froid qui l'avait glacé. Il parla avec lenteur.

      – Je vous répète que Clotilde est très raisonnable et que, si elle doit accepter, elle acceptera.

      Dans son bouleversement, la jeune fille eut une révolte.

      – Maître, veux-tu donc me renvoyer?.. Certainement, je remercie Maxime. Mais tout quitter, mon Dieu! quitter tout ce qui m'aime, tout ce que j'ai aimé jusqu'ici!

      Elle avait eu un geste éperdu, désignant les êtres et les choses, embrassant la Souleiade entière.

      – Et, reprit Pascal en la regardant, si cependant Maxime avait besoin de toi?

      Ses yeux se mouillèrent, elle demeura un instant frémissante, car elle seule avait compris. La vision cruelle, de nouveau, s'était évoquée: Maxime, infirme, traîné dans une petite voiture par un domestique, comme le voisin qu'elle rencontrait. Mais sa passion protestait contre son attendrissement. Est-ce qu'elle avait un devoir, à l'égard d'un frère qui, pendant quinze ans, lui était resté étranger? est-ce que son devoir n'était pas où était son coeur?

      – Écoute, Maxime, finit-elle par dire, laisse-moi réfléchir, moi aussi. Je verrai… Sois certain que je te suis très reconnaissante. Et, si un jour tu avais réellement besoin de moi, eh bien! je me déciderais sans doute.

      On ne put la faire s'engager davantage. Félicité, avec sa continuelle fièvre, s'y épuisa; tandis que le docteur affectait maintenant de dire qu'elle avait donné sa parole. Martine apporta une crème, sans songer à cacher sa joie: prendre mademoiselle! en voilà une idée, pour que monsieur mourût de tristesse, en restant tout seul! Et la fin du dîner fut ralentie ainsi par cet incident. On était encore au dessert, lorsque huit heures et demie sonnèrent. Dès lors, Maxime s'inquiéta, piétina, voulut partir.

      A la gare, où tous l'accompagnèrent, il embrassa une dernière fois sa soeur.

      – Souviens-toi.

      – N'aie pas peur, déclara Félicité, nous sommes là pour lui rappeler sa promesse.

      Le docteur souriait, et tous trois, dès que le train se fut mis en branle, agitèrent leurs