Une page d'amour. Emile Zola

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Название Une page d'amour
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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sourd désir. Pauline, qui s'était assise avec Lucien au bord de la pelouse, intervint de son air libre de grande fille émancipée.

      – Oui, oui, monsieur va vous pousser… Après il me poussera. N'est-ce pas, monsieur, vous me pousserez?

      Cela décida Hélène. La jeunesse qui était en elle, sous la correction froide de sa grande beauté, éclatait avec une ingénuité charmante. Elle se montrait simple et gaie comme une pensionnaire. Surtout, elle n'avait point de pruderie. En riant, elle dit qu'elle ne voulait pas montrer ses jambes, et elle demanda une ficelle, avec laquelle elle noua ses jupes au-dessus de ses chevilles. Puis, montée debout sur la planchette, les bras élargis et se tenant aux cordes, elle cria joyeusement:

      – Allez, monsieur Rambaud… Doucement d'abord!

      M. Rambaud avait accroché son chapeau à une branche. Sa large et bonne figure s'éclairait d'un sourire paternel. Il s'assura de la solidité des cordes, regarda les arbres, se décida à donner une légère poussée. Hélène venait, pour la première fois de quitter le deuil. Elle portait une robe grise, garnie de noeuds mauves. Et, toute droite, elle partait lentement, rasant la terre, comme bercée.

      – Allez! allez! dit-elle.

      Alors, M. Rambaud, les bras en avant, saisissant la planchette au passage, lui imprima un mouvement plus vif. Hélène montait; à chaque vol, elle gagnait de l'espace. Mais le rythme gardait une gravité. On la voyait, correcte encore, un peu sérieuse, avec des yeux très-clairs dans son beau visage muet; ses narines seules se gonflaient, comme pour boire le vent. Pas un pli de ses jupes n'avait bougé. Une natte de son chignon se dénouait.

      – Allez! Allez!

      Une brusque secousse l'enleva. Elle montait dans le soleil, toujours plus haut. Une brise se dégageait d'elle et soufflait dans le jardin; et elle passait si vite, qu'on ne la distinguait plus avec netteté. Maintenant, elle devait sourire, son visage était rose, ses yeux filaient comme des étoiles. La natte dénouée battait sur son cou. Malgré la ficelle qui les nouait, ses jupes flottaient et découvraient la blancheur de ses chevilles. Et on la sentait à l'aise, la poitrine libre, vivant dans l'air comme dans une patrie.

      – Allez! allez!

      M. Rambaud, en nage, la face rouge, déploya toute sa force. Il y eut un cri. Hélène montait encore.

      – Oh! maman! oh! maman! répétait Jeanne en extase.

      Elle s'était assise sur la pelouse, elle regardait sa mère, ses petites mains serrées sur sa poitrine, comme si elle eût elle-même bu tout cet air qui soufflait. Elle manquait d'haleine, elle suivait instinctivement d'une cadence des épaules les longues oscillations de la balançoire. Et elle criait:

      – Plus fort! plus fort!

      Sa mère montait toujours. En haut, ses pieds touchaient les branches des arbres.

      – Plus fort! plus fort! oh! maman, plus fort!

      Mais Hélène était en plein ciel. Les arbres pliaient et craquaient comme sous des coups de vent. On ne voyait plus que le tourbillon de ses jupes qui claquaient avec un bruit de tempête. Quand elle descendait, les bras élargis, la gorge en avant, elle baissait un peu la tête, elle planait une seconde; puis, un élan l'emportait, et elle retombait, la tête abandonnée en arrière, fuyante et pâmée, les paupières closes. C'était sa jouissance, ces montées et ces descentes, qui lui donnaient un vertige. En haut, elle entrait dans le soleil, dans ce blond soleil de février, pleuvant comme une poussière d'or. Ses cheveux châtains, aux reflets d'ambre, s'allumaient; et l'on aurait dit qu'elle flambait tout entière, tandis que ses noeuds de soie mauve, pareils à des fleurs de feu, luisaient sur sa robe blanchissante. Autour d'elle, le printemps naissait, les bourgeons violâtres mettaient leur ton fin de laque, sur le bleu du ciel.

      Alors, Jeanne joignit les mains. Sa mère lui apparaissait comme une sainte, avec un nimbe d'or, envolée pour le Paradis. Et elle balbutiait encore:

      «Oh! maman, oh! maman…» d'une voix brisée.

      Cependant madame Deberle et Malignon, intéressés, s'étaient avancés sous les arbres. Malignon trouvait cette dame très-courageuse. Madame Deberle dit d'un air effrayé:

      – Le coeur me tournerait, c'est certain.

      Hélène entendit, car elle jeta ces mots, du milieu des branches:

      – Oh! moi, j'ai le coeur solide!.. Allez, allez donc, monsieur Rambaud. Et, en effet, sa voix restait calme. Elle semblait ne pas se soucier des deux hommes qui étaient là. Ils ne comptaient pas sans doute. Sa natte s'était échevelée; la ficelle devait se relâcher, et ses jupons avaient des bruits de drapeau. Elle montait.

      Mais, tout d'un coup, elle cria:

      – Assez, monsieur Rambaud, assez!

      Le docteur Deberle venait de paraître sur le perron. Il s'approcha, embrassa tendrement sa femme, souleva Lucien et le baisa au front. Puis, il regarda Hélène en souriant.

      – Assez, assez! continuait à dire celle-ci.

      – Pourquoi donc? demanda-t-il. Je vous dérange?

      Elle ne répondit pas. Elle était devenue grave. La balançoire, lancée à toute volée, ne s'arrêtait point; elle gardait de longues oscillations régulières qui enlevaient encore Hélène très-haut. Et le docteur, surpris et charmé, l'admirait, tant elle était superbe, grande et forte, avec sa pureté de statue antique, ainsi balancée mollement, dans le soleil printanier. Mais elle paraissait irritée; et, brusquement, elle sauta.

      – Attendez! attendez! criait tout le monde.

      Hélène avait poussé une plainte sourde. Elle était tombée sur le gravier d'une allée, et elle ne put se relever.

      – Mon Dieu! quelle imprudence! dit le docteur, la face très-pale.

      Tous s'empressaient autour d'elle. Jeanne pleurait si fort, que M. Rambaud, défaillant lui-même, dut la prendre dans ses bras. Cependant, le docteur interrogeait vivement Hélène.

      – C'est la jambe droite qui a porté, n'est-ce pas?.. Vous ne pouvez vous mettre debout?

      Et, comme elle restait étourdie, sans répondre, il demanda encore:

      – Vous souffrez?

      – Une douleur sourde, là, au genou, dit-elle péniblement.

      Alors, il envoya sa femme chercher sa pharmacie et des bandages. Il répétait:

      – Il faut voir, il faut voir… Ce n'est rien sans doute.

      Puis, il s'agenouilla sur le gravier. Hélène le laissait faire. Mais, lorsqu'il avança les mains, elle se souleva d'un effort, elle serra ses jupes autour de ses pieds.

      – Non, non, murmura-t-elle.

      – Pourtant, dit-il, il faut bien voir…

      Elle avait un léger tremblement, et, d'une voix plus basse, elle reprit:

      – Je ne veux pas… Ce n'est rien.

      Il la regarda, étonné d'abord. Une teinte rose était montée à son cou. Pendant un instant, leurs yeux se rencontrèrent et semblèrent lire au fond de leurs âmes. Alors, troublé lui-même, il sa releva avec lenteur et resta près d'elle, sans lui demander davantage à la visiter.

      Hélène avait appelé M. Rambaud d'un signe. Elle lui dit à l'oreille:

      – Allés chercher le docteur Bodin, racontez-lui ce qui m'arrive.

      Dix minutes plus tard, quand le docteur Bodin arriva, elle se mit debout avec un courage surhumain, et s'appuyant sur lui et sur M. Rambaud, elle remonta chez elle. Jeanne la suivait, toute secouée de larmes.

      – Je vous attends, avait dit le docteur Deberle à son confrère. Venez nous rassurer.

      Dans le jardin, on causa vivement. Malignon s'écriait que les femmes avaient de drôles de têtes. Pourquoi diable cette dame s'était-elle amusée à sauter? Pauline, très-contrariée de l'aventure qui la privait d'un plaisir, trouvait imprudent de se faire balancer si fort. Le médecin