Ivanhoe. 4. Le retour du croisé. Вальтер Скотт

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Название Ivanhoe. 4. Le retour du croisé
Автор произведения Вальтер Скотт
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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tout le monde chrétien. Sans cela, souviens-toi bien de ce que je te dis: l'ordre du Temple sera totalement aboli, et la place qu'il occupait ne sera plus connue parmi les nations.11» – «Ah! s'écria le précepteur, puisse le ciel détourner une telle calamité!»

      «Amen! dit le grand-maître d'un ton solennel; mais il faut mériter son secours. Je te dis, Conrad, que ni les puissances du ciel ni celles de la terre ne peuvent plus souffrir la méchanceté de la présente génération. Je ne me trompe point; le terrain sur lequel s'élève l'édifice de notre ordre est déjà miné, et chaque addition que nous faisons à l'édifice de notre grandeur ne fait que hâter le moment où il sera précipité dans l'abîme. Il faut que nous retournions sur nos pas, et que nous nous montrions les fidèles champions de la croix, en sacrifiant à l'état que nous avons embrassé, non pas seulement notre sang et notre vie, non pas seulement nos passions et nos vices, mais même notre aisance, notre bien-être, et jusqu'à nos affections naturelles et à des plaisirs qui peuvent être légitimes pour d'autres, mais qui sont interdits aux soldats dévoués du Temple.»

      En ce moment, un écuyer couvert d'un manteau dont l'étoffe ne montrait plus que la corde (car les aspirans de ce saint ordre portaient pendant leur noviciat les vieux vêtemens usés des chevaliers) entra dans le jardin, et ayant fait une profonde révérence au grand-maître, se tint debout devant lui, gardant le silence et attendant qu'il lui fût permis de parler et de s'acquitter de la commission dont il était chargé.

      «N'est-il pas plus convenable, dit le grand-maître, de voir ce Damien couvert des vêtemens de l'humilité chrétienne, se présenter ainsi dans un silence respectueux de son supérieur, que follement paré comme il l'était il n'y a que deux jours, d'habillemens de diverses couleurs, babillant et disputant d'un air fier et impertinent comme un perroquet? Parle, Damien, nous te le permettons. Que viens-tu m'annoncer?» – «Un juif est à la porte, éminentissime père, répondit Damien, demandant à parler au frère Brian de Bois-Guilbert.»

      «Tu as bien fait de m'en informer, dit le grand-maître; lorsque nous sommes présens, un précepteur n'est pas plus qu'un simple compagnon de notre ordre, qui ne peut pas marcher selon sa volonté, mais selon celle de son maître, conformément au texte sacré de l'Écriture: «Suivant ce que j'ai dit à son oreille, il m'a obéi!» Puis se tournant vers Mont-Fichet: «Il nous importe d'une manière toute spéciale, Conrad, lui dit-il, de connaître la conduite de ce Bois-Guilbert.» – «La renommée, répondit Conrad, le proclame comme un chevalier brave et vaillant.»

      «Et la renommée ne se trompe pas, dit le grand-maître; ce n'est qu'en valeur que nous n'avons pas dégénéré de nos prédécesseurs, les héros de la croix. Mais le frère Brian est entré dans notre ordre comme un homme qui est de mauvaise humeur, parce qu'il a été trompé dans ses espérances, poussé, je le soupçonne fort, à prononcer ses voeux de renoncer au monde et de faire pénitence, par suite non d'une conviction sincère, mais plutôt de quelque mécontentement. Depuis ce temps, il a toujours été un agitateur actif et ardent, un machinateur d'intrigues, de complots et de murmures, et le chef de ceux qui résistent à notre autorité, oubliant que le gouvernement de l'ordre est confié au grand-maître sous les symboles du bâton et de la verge; du bâton pour soutenir le faible, de la verge pour châtier le coupable. Damien, continua-t-il, amène ce juif en notre présence.»

      L'écuyer se retira en faisant une profonde inclination, et revint quelques momens après, suivi d'Isaac d'York. Jamais esclave, conduit dans toute sa nudité en présence de quelque puissant prince, n'approcha du pied de son trône avec de plus grandes marques de vénération et de terreur, que celles que n'en fit paraître le juif en s'avançant vers le grand-maître. Lorsqu'il fut parvenu à la distance d'environ trois verges, Beaumanoir lui fit signe avec son bâton de ne pas approcher davantage. Le juif s'agenouilla, baisa la terre en signe de respect, puis s'étant relevé, se tint debout devant les templiers, les bras croisés sur la poitrine, et la tête baissée, avec toutes les marques de soumission de la servitude orientale.

      «Damien, dit le grand-maître, retire-toi; aie soin qu'il y ait une garde prête à exécuter mes ordres au premier signal, et ne laisse entrer personne dans le jardin que nous n'en soyons sortis.» L'écuyer fit une inclination et se retira. «Juif, dit le grand-maître avec un ton de hauteur, écoute-moi bien. Il ne convient pas à notre rang de communiquer long-temps avec toi; d'ailleurs nous ne perdons pas beaucoup de temps ni beaucoup de paroles avec qui que ce soit. Ainsi, sois bref dans tes réponses aux questions que je te ferai, et que tes paroles soient dictées par la vérité; car, si ta langue cherche à me tromper, je la ferai arracher de ta bouche mécréante.» Le juif se disposait à répondre, mais le grand-maître continua: «Silence, infidèle! Pas un mot en notre présence, excepté en réponse à nos questions. Quelles sont tes affaires avec notre frère Brian de Bois-Guilbert?»

      Isaac, tout tremblant et incertain sur ce qu'il devait répondre, regarda le grand-maître et resta bouche béante. S'il racontait son histoire, on pouvait l'accuser de chercher à attirer le scandale sur l'ordre; et cependant, s'il ne le faisait point, quel espoir avait-il d'obtenir la liberté de sa fille? Beaumanoir s'aperçut de sa frayeur mortelle et condescendit à le rassurer. «Ne crains rien, dit-il, pour ta misérable personne, juif, pourvu que tu parles franchement et sans détours. Je te demande de nouveau quelles affaires tu as avec Brian de Bois-Guilbert?» – «Je suis porteur d'une lettre, bégaya le juif, n'en déplaise à votre magnanime valeur, pour ce brave chevalier, de la part d'Aymer; prieur de l'abbaye de Jorvaulx.» – «Ne te disais-je pas, Conrad, dit le grand-maître, que nous vivions dans des temps déplorables? Un prieur de l'ordre de Cîteaux envoie une lettre à un soldat du Temple, et ne trouve pas de messager plus convenable qu'un infidèle, qu'un juif. Donne-moi cette lettre.»

      Le juif, d'une main tremblante, écarta les plis de son bonnet arménien, dans lesquels il avait déposé les tablettes du prieur, pour plus grande sûreté, et allait s'approcher, la main étendue et le corps incliné, pour la mettre à portée de son interrogateur renfrogné. «En arrière, chien! dit le grand-maître, je ne touche point les infidèles, excepté avec mon épée. Conrad, prends toi-même la lettre de la main du juif, et donne-la-moi.»

      Beaumanoir ainsi en possession des tablettes, en examina soigneusement l'extérieur, et commença ensuite à dénouer la ficelle qui les entourait. «Éminentissime père, dit Conrad en l'arrêtant, quoique avec beaucoup de déférence, est-ce que vous allez rompre le cachet?» – «Et pourquoi ne le romprais-je pas? répondit Beaumanoir en fronçant le sourcil. N'est-il pas écrit au chapitre quarante-deux, intitulé de lectione litterarum, qu'un templier ne doit recevoir aucune lettre, pas même de son père, sans en donner communication au grand-maître et en faire la lecture en sa présence?»

      Alors il la parcourut à la hâte, avec un air mêlé de surprise et d'horreur; il la relut ensuite plus lentement; puis la présentant d'une main à Conrad, et frappant légèrement dessus avec l'autre, il s'écria: «Voilà une lettre écrite d'un joli style, de la part d'un chrétien à un autre chrétien, tous deux membres, et membres distingués, de corporations religieuses! Ô Dieu! quand viendras-tu? continua-t-il d'un ton solennel, et en levant les yeux au ciel; quand viendras-tu avec tes vans pour séparer l'ivraie du bon grain!»

      Mont-Fichet prit la lettre des mains de son supérieur, et s'occupait à la parcourir. «Lis-la tout haut, Conrad, dit le grand-maître; et toi, s'adressant à Isaac, sois bien attentif à son contenu, car nous te questionnerons à ce sujet.» Conrad lut la lettre, qui était conçue dans les termes suivans:

      «Aymer, par la grace de Dieu, prieur du couvent de l'ordre de Cîteaux, sous l'invocation de sainte Marie de Jorvaulx, à sire Brian de Bois-Guilbert, chevalier du saint ordre du Temple; santé, dons de Bacchus et faveurs de Vénus! Quant à nous, cher frère, nous sommes en ce moment captif entre les mains de certaines gens sans loi ni religion, qui n'ont pas craint de détenir notre personne et de la mettre à rançon; de qui j'ai également appris le malheur de Front-de-Boeuf, et que tu t'es échappé avec la belle juive, dont les yeux noirs t'ont ensorcelé. Nous nous réjouissons de bon coeur de savoir que tu es sain et sauf; néanmoins, je te conjure de te tenir en garde contre cette seconde sorcière d'Endor; car nous sommes secrètement assurés que votre grand-maître, qui ne



<p>11</p>

Cette longue série d'accusations sur les désordres des templiers a été puisée par l'auteur dans les livres de leurs ennemis, qui, moines comme eux, supposaient à leurs adversaires les mêmes vices que ceux de leurs propres corporations.A. M.