Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд

Читать онлайн.
Название Les beaux messieurs de Bois-Doré
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

son beau regard.

      – Nous étions bien heureux là-bas, dit-il; il y avait des grottes, des cascades, de grands pics et de grands arbres; tout était bien plus grand qu'ici, et l'eau y faisait beaucoup plus de bruit. Ma mère gardait des vaches très-bonnes, et elle teignait et filait de la laine pour faire de la toile de laine très-forte. Voyez mon bonnet blanc et sa cape rouge! C'est des étoffes de chez nous. Moi, je travaillais aussi. Je faisais des paniers, oh! je sais très-bien les faire! Si je reviens chez vous pour être gentilhomme, vous verrez! c'est moi qui ferai tous les paniers de la maison!

      »Tous les jours, pendant deux heures, j'apprenais à lire et à parler espagnol et français avec M. le curé Anjorrant. Il ne me grondait jamais, il était toujours content de moi. Jamais on n'a vu un homme si bon! Il m'aimait tant, que ma mère en était quelquefois jalouse. Elle me disait:

      » – Tiens, je parie que tu aimes mieux le prêtre que moi!

      »Mais, je lui disais:

      » – Non, va! je vous aime autant l'un que l'autre. Je vous aime tant que je peux. Je vous aime grand comme les montagnes, et encore plus: grand comme le ciel!

      »Mais, quand j'ai eu dix ans, tout a bien changé pour nous. Voilà que, tout d'un coup, M. Anjorrant a été bien malade, pour avoir trop marché dans la neige pour sauver de petits enfants qui s'étaient perdus et qu'il a retrouvés, car il y a chez nous de la neige, en hiver, quelquefois aussi haut que votre maison. Et, tout d'un coup, M. Anjorrant est mort!

      »Ma mère et moi, nous avons tant pleuré, que je ne sais pas comment nous avons encore des yeux pour voir clair.

      »Alors, ma mère m'a dit:

      » – Il faut faire la volonté de notre père, de notre ami qui est mort. Il nous a laissé les papiers et les bijoux qui peuvent servir à le faire reconnaître de ta famille. Il a écrit pour toi bien des fois au ministre de France. On n'a jamais répondu. Peut-être qu'on n'a pas reçu les lettres. Nous irons trouver le roi, ou quelqu'un qui puisse lui parler pour nous, et, si tu as une grand'mère ou des tantes, ou des cousins, ils t'empêcheront de rester vassal, parce que tu es né libre, et que la liberté est la plus grande chose du monde.

      »Nous sommes partis avec bien peu d'argent. Le bon M. Anjorrant n'avait rien laissé pour personne. Aussitôt qu'il avait une piécette, il la donnait à ceux qui en avaient besoin. Nous avons marché, marché; la France est si grande! Voilà trois mois que nous sommes en route! Ma mère, voyant le chemin si long, avait peur de n'arriver jamais, et nous demandions aux portes l'abri et le pain. On nous donnait toujours, parce que ma mère a l'air doux et qu'on me trouve gentil. Mais nous ne connaissions pas les chemins, et nous faisions bien des pas qui nous retardaient au lieu de nous avancer.

      »C'est alors que nous avons rencontré des gens bien drôles, qui se disaient Égyptiens, et qui nous ont dit d'aller avec eux en Poitou, si nous savions faire quelque chose. Ma mère sait très-bien chanter en arabe, et moi, je sais un peu jouer du tympanon et de la guiterne des Pyrénées. Je vous en jouerai tant que vous voudrez. Ces gens-là ont trouvé que nous en savions assez. Ils n'étaient pas mauvais pour nous, et il y avait avec eux une petite Morisque appelée Pilar que j'aimais beaucoup, et un garçon plus grand, La Flèche, qui était Français, et qui m'amusait avec ses grimaces et ses histoires. Mais ils étaient presque tous voleurs, et cela faisait de la peine à ma mère de les voir si gourmands et ci paresseux.

      »C'est pourquoi elle me disait tous les jours:

      » – Il nous faut quitter ces gens-là, qui ne valent rien.

      »C'est hier que nous les avons quittés, parce que…

      – Parce que?.. dit le marquis.

      – C'est une chose que ma mère Mercédès vous dira peut-être plus tard, quand elle aura prié Dieu de lui faire connaître la vérité. C'est comme ça qu'elle m'a dit, et je n'en sais pas davantage.»

      – Toutes choses entendues, dit le marquis en se levant, voilà des gens dont je fais grand cas, et que je veux voir bien traiter et bien soigner en mon logis, jusqu'à ce qu'il leur plaise de me faire savoir en quoi je peux les aider davantage. Mais ne m'avais-tu pas dit, fidèle Adamas, que cette Mercédès avait une lettre pour M. de Sully?

      – Oui, oui! s'écria Mario. C'est le nom qui est sur la lettre de M. Anjorrant.

      – Eh bien, c'est très-facile. Je suis fort son serviteur, et je me charge de vous faire arriver chez lui sans fatigue ni misère. Or donc, reposez-vous céans et demandez tout ce que vous voudrez. Voyons, Adamas, la mère et l'enfant sont très-propres, et leurs habits de montagne ne sont point trop laids. Mais ils ont là, sur le corps, tout ce qu'ils possèdent?

      – Oui, monsieur, sauf les habits plus mauvais qu'ils portaient hier et ce matin; ils ont chacun deux chemises et le reste à l'avenant. Mais cette femme lave, raccommode et peigne son enfant tout le temps qu'elle ne marche pas. Voyez comme sa chevelure est bien tenue! Elle a toutes sortes de secrets arabes pour entretenir la propreté; elle sait faire des poudres de troëne et des élixirs que je veux apprendre d'elle.

      – C'est fort bien vu; mais songez à lui donner du linge et des étoffes, pour qu'elle soit un peu nippée. Puisqu'elle est adroite, elle en tirera bon parti. Je m'en vais faire un tour de promenade; après quoi, si elle n'a point de déplaisir à chanter un air de sa nation, avec la guiterne du petit, je serai content d'ouïr leur musique étrangère. Au revoir donc, maître Mario! Comme vous avez très-civilement parlé, je vous veux donner quelque chose tantôt: comptez que je ne l'oublierai point.

      Le gentil Mario baisa la main du marquis, non sans jeter un regard bien expressif sur le petit chien Fleurial, qu'il eût préféré à toutes les richesses de la maison.

      Il est vrai de dire que Fleurial était une merveille: des trois cagnots que choyait le marquis, il était le préféré à juste titre, et ne quittait jamais son maître dans la maison. Il était blanc comme neige, touffu comme un manchon, et, contrairement aux mœurs des petits chiens gâtés, il était doux comme un agneau.

      Lorsque le marquis eut fait sa promenade accoutumée, parlé avec bonté à ceux de ses vassaux qu'il rencontra, et demandé des nouvelles de ceux qui étaient malades, pour leur envoyer de quoi les réconforter, il rentra et fit appeler Adamas.

      – Que donnerai-je donc à ce joli Mario? lui dit-il. Il faudrait trouver un jouet qui convînt à son âge, et il n'y en a point ici. Hélas! mon ami, nous voici trois céans, qui commençons à nous faire vieux garçons, maître Jovelin, moi et toi.

      – J'y ai songé, monsieur, dit Adamas.

      – À quoi, mon vieux serviteur? au mariage?

      – Non, monsieur: ce n'étant point votre goût, ce n'est pas le mien non plus; mais j'ai trouvé le jouet pour donner à l'enfant.

      – Va le chercher bien vite.

      – Voici, monsieur! dit Adamas en allant prendre l'objet, qu'il avait déposé dans l'embrasure de la fenêtre. Comme j'ai remarqué que l'enfant mourait d'envie d'avoir Fleurial, et que vous ne pouviez pas lui donner Fleurial, je me suis rappelé avoir vu, dans les greniers, plusieurs jouets oubliés depuis longtemps, et, entre autres, ce chien d'étoupe, qui n'est pas trop mangé aux vers et qui ressemble à Fleurial, sauf qu'il est en peau de mouton noir et qu'il n'a plus beaucoup de queue.

      – Et sauf mille autres différences qui font qu'il ne lui ressemble pas du tout! Mais d'où vient donc ce joujou-là, Adamas?

      – Du grenier, monsieur.

      – Fort bien; mais… tu dis qu'il y en a d'autres?

      – Oui, monsieur; un petit cheval qui n'a plus que trois jambes, un tambour crevé, de petites armes, un reste de donjon crénelé…

      Adamas se tut brusquement en voyant le marquis profondément absorbé devant le chien d'étoupe, tandis qu'une grosse larme creusait un sillon dans le fard de sa joue.

      – J'ai fait quelque sottise! s'écria le vieux serviteur. Pour Dieu, mon bon cher maître, d'où vient que vous pleurez?

      – Je ne sais… un moment de faiblesse!