Название | Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2 |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
XXIV.
M. GALUCHET
Mais, après avoir dormi douze heures, Galuchet n'avait plus qu'un souvenir fort confus des événements de la veille, et, lorsque M. Cardonnet le fit appeler, il ne lui restait qu'un vague ressentiment contre le charpentier. D'ailleurs il n'avait guère envie de se vanter d'avoir fait un si sot personnage en débutant dans sa carrière diplomatique, et il rejeta son lever tardif et son air appesanti sur une violente migraine. «Je n'ai fait que tâter le terrain, répondit-il aux questions de son maître. J'étais si souffrant que je n'ai pas pu observer grand'chose. Je puis vous assurer seulement qu'on a dans cette maison des façons fort communes, qu'on y vit de pair à compagnon avec des manants, et que la table y est fort pauvrement servie.
– Vous ne m'apprenez là rien de nouveau, dit M. Cardonnet; il est impossible que vous ayez passé toute la journée à Châteaubrun, sans avoir remarqué quelque chose de plus particulier. A quelle heure mon fils est-il arrivé, et à quelle heure est-il parti?
– Je ne saurais dire précisément quelle heure il était … Leur vieille pendule va si mal!
– Ce n'est pas là une réponse. Combien d'heures est-il resté? Voyons, je ne vous demande pas rigoureusement les fractions.
– Tout cela a duré cinq ou six heures, Monsieur; je me suis fort ennuyé. M. Émile avait l'air peu flatté de me voir, et, quant à la jeune fille, c'est une franche bégueule. Il fait une chaleur assommante sur cette montagne, et on ne peut pas dire deux mots sans être interrompu par ce paysan.
– Il y paraît, car vous ne dites pas deux mots de suite ce matin, Galuchet: de quel paysan parlez-vous?
– De ce charpentier, Jappeloup, un drôle, un animal qui tutoie tout le monde, et qui appelle monsieur le père Cardonnet, comme s'il parlait de son semblable.
– Cela m'est fort égal; mais que lui disait mon fils?
– M. Émile rit de ses sottises, et mademoiselle Gilberte le trouve charmant.
– Et n'avez-vous pas remarqué quelque aparté entre elle et mon fils?
– Non pas, Monsieur, précisément. La vieille, qui est certainement sa mère, car elle l'appelle ma fille, ne la quitte guère, et il ne doit pas être facile de lui faire la cour, d'autant plus qu'elle est très-hautaine et se donne des airs de princesse. Ça lui va bien, ma foi, avec la toilette qu'elle a, et pas le sou! On me l'offrirait, que je n'en voudrais pas!
– N'importe, Galuchet, il faut lui faire la cour.
– Pour me moquer d'elle, à la bonne heure, je veux bien!
– Et puis, pour gagner une gratification que vous n'aurez point, si vous ne me faites pas la prochaine fois un rapport plus clair et mieux circonstancié; car vous battez la campagne aujourd'hui.»
Galuchet baissa la tête sur son livre de comptes, et lutta tout le jour contre le malaise qui suit un excès.
Émile passa encore toute la semaine plongé dans l'hydrostatique; il ne se permit pas d'autre distraction que de chercher Jean Jappeloup dans la soirée pour causer avec lui, et, comme il cherchait toujours à ramener la conversation sur Gilberte: «Écoutez, monsieur Émile, lui dit tout à coup le charpentier, vous n'êtes jamais las de ce chapitre-là, je le vois bien. Savez-vous que la mère Janille vous croit amoureux de son enfant?
– Quelle idée! répondit le jeune homme, troublé par cette brusque interpellation.
– C'est une idée comme une autre. Et pourquoi n'en seriez-vous pas amoureux?
– Sans doute, pourquoi n'en serais-je pas amoureux? répondit Émile de plus en plus embarrassé. Mais est-ce vous, ami Jean, qui voudriez parler légèrement d'une pareille possibilité?
– C'est plutôt vous, mon garçon, car vous répondez comme si nous plaisantions. Allons, voulez-vous me dire la vérité? dites-la, ou je ne vous en parle plus.
– Jean, si j'étais amoureux, en effet, d'une personne que je respecte autant que ma propre mère, mon meilleur ami n'en saurait rien.
– Je sais fort bien que je ne suis pas votre meilleur ami, et pourtant je voudrais le savoir, moi.
– Expliquez-vous, Jean.
– Expliquez-vous vous-même, je vous attends.
– Vous attendrez donc longtemps; car je n'ai rien à répondre à une pareille question, malgré toute l'estime et l'affection que je vous porte.
– S'il en est ainsi, il faudra donc que vous disiez, un de ces jours, adieu tout à fait aux gens de Châteaubrun; car ma mie Janille n'est pas femme à s'endormir longtemps sur le danger.
– Ce mot me blesse; je ne croyais pas qu'on pût m'accuser de faire courir un danger quelconque à une personne dont la réputation et la dignité me sont aussi sacrées qu'à ses parents et à ses plus proches amis.
– C'est bien parler, mais cela ne répond pas tout droit à mes questions. Voulez-vous que je vous dise une chose? c'est qu'au commencement de la semaine dernière, j'ai été à Châteaubrun pour emprunter à Antoine un outil dont j'avais besoin. J'y ai trouvé ma mie Janille; elle était toute seule, et vous attendait. Vous n'y êtes pas venu, et elle m'a tout conté. Or, mon garçon, si elle ne vous a pas fait mauvaise mine dimanche, et si elle vous permet de revenir de temps en temps voir sa fille, c'est à moi que vous le devez.
– Comment cela, mon brave Jean?
– C'est que j'ai plus de confiance en vous que vous n'en avez en moi. J'ai dit à ma mie Janille que si vous étiez amoureux de Gilberte, vous l'épouseriez, et que je répondais de vous sur le salut de mon âme.
– Et vous avez eu raison, Jean, s'écria Émile en saisissant le bras du charpentier: jamais vous n'avez dit une plus grande vérité.
– Oui! mais reste à savoir si vous êtes amoureux, et c'est ce que vous ne voulez pas dire.
– C'est ce que je peux dire à vous seul, puisque vous m'interrogez ainsi.
Oui, Jean, je l'aime, je l'aime plus que ma vie et je veux l'épouser.
– J'y consens, répondit Jean avec un accent de gaieté enthousiaste, et quant à moi, je vous marie ensemble … Un instant! un instant! si Gilberte y consent aussi.
– Et si elle te demandait conseil, brave Jean, toi, son ami et son second père?
– Je lui dirais qu'elle ne peut pas mieux choisir, que vous me convenez et que je veux vous servir de témoin.
– Eh bien, maintenant, ami, il n'y a plus qu'à obtenir le consentement des parents.
– Oh! je vous réponds d'Antoine, si je m'en mêle. Il a de la fierté; il craindra que votre père n'hésite, mais je sais ce que j'ai à lui dire là-dessus.
– Quoi donc, que lui direz-vous?
– Ce que vous ne savez pas, ce que je sais à moi tout seul; je n'ai pas besoin d'en parler encore, car le temps n'est pas venu, et vous ne pouvez pas penser à vous marier avant un an ou deux.
– Jean, confiez-moi ce secret comme je vous ai confié le mien. Je ne vois qu'un obstacle à ce mariage: c'est la volonté de mon père. Je suis résolu à le vaincre, mais je ne me dissimule pas qu'il est grand.
– Eh bien, puisque tu as été si confiant et si franc avec le vieux Jean, le vieux Jean agira de même à ton égard. Écoute, petit: avant peu, ton père sera ruiné et n'aura plus sujet de faire le fier avec la famille de Châteaubrun.
– Si tu disais vrai, ami, malgré le chagrin que mon père devrait en ressentir, je bénirais ta singulière prophétie; car il y a bien d'autres motifs qui me font redouter cette fortune.
– Je le sais, je connais ton cœur, et je vois que tu voudrais enrichir les autres avant toi-même. Tout s'arrangera comme tu le souhaites, je te le prédis. Je l'ai rêvé plus de dix fois.
– Si vous n'avez fait que le rêver, mon pauvre Jean …
– Attendez, attendez … Qu'est-ce que c'est que ce livre-là, que vous portez toujours sous le bras et que vous avez l'air d'étudier?
– Je