De l'origine des espèces. Darwin Charles

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Название De l'origine des espèces
Автор произведения Darwin Charles
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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mais toujours plus modifiée; d'autres auront produit deux ou trois variétés; d'autres, enfin, n'en auront pas produit. Ainsi, les variétés, ou les descendants modifiés de la souche commune A, augmentent ordinairement en nombre en revêtant des caractères de plus en plus divergents. Le diagramme représente cette série jusqu'à la dix-millième génération, et, sous une forme condensée et simplifiée, jusqu'à la quatorze-millième.

      Je ne prétends pas dire, bien entendu, que cette série soit aussi régulière qu'elle l'est dans le diagramme, bien qu'elle ait été représentée de façon assez irrégulière; je ne prétends pas dire non plus que ces progrès soient incessants; il est beaucoup plus probable, au contraire, que chaque forme persiste sans changement pendant de longues périodes, puis qu'elle est de nouveau soumise à des modifications. Je ne prétends pas dire non plus que les variétés les plus divergentes persistent toujours; une forme moyenne peut persister pendant longtemps et peut, ou non, produire plus d'un descendant modifié. La sélection naturelle, en effet, agit toujours en raison des places vacantes, ou de celles qui ne sont pas parfaitement occupées par d'autres êtres, et cela implique des rapports infiniment complexes. Mais, en règle générale, plus les descendants d'une espèce quelconque se modifient sous le rapport de la conformation, plus ils ont de chances de s'emparer de places et plus leur descendance modifiée tend à augmenter. Dans notre diagramme, la ligne de descendance est interrompue à des intervalles réguliers par des lettres minuscules chiffrées; indiquant les formes successives qui sont devenues suffisamment distinctes pour qu'on les reconnaisse comme variétés; il va sans dire que ces points sont imaginaires et qu'on aurait pu les placer n'importe où, en laissant des intervalles assez longs pour permettre l'accumulation d'une somme considérable de variations divergentes.

      Comme tous les descendants modifiés d'une espèce commune et très répandue, appartenant à un genre riche tendent à participer aux avantages qui ont donné à leur ancêtre la prépondérance dans la lutte pour l'existence, ils se multiplient ordinairement en nombre, en même temps que leurs caractères deviennent plus divergents: ce fait est représenté dans le diagramme par les différentes branches divergentes partant de A. Les descendants modifiés des branches les plus récentes et les plus perfectionnées tendent à prendre la place des branches plus anciennes et moins perfectionnées, et par conséquent à les éliminer; les branches inférieures du diagramme, qui ne parviennent pas jusqu'aux lignes horizontales supérieures, indiquent ce fait. Dans quelques cas, sans doute, les modifications portent sur une seule ligne de descendance, et le nombre des descendants modifiés ne s'accroît pas, bien que la somme des modifications divergentes ait pu augmenter. Ce cas serait représenté dans le diagramme si toutes les lignes partant de A étaient enlevées, à l'exception de celles allant de a1 à a10. Le cheval de course anglais et le limier anglais ont évidemment divergé lentement de leur souche primitive de la façon que nous venons d'indiquer, sans qu'aucun d'eux ait produit des branches ou des races nouvelles.

      Supposons que, après dix mille générations, l'espèce A ait produit trois formes: a10, f10 et m10, qui, ayant divergé en caractères pendant les générations successives, en sont arrivées à différer largement, mais peut-être inégalement les unes des autres et de leur souche commune. Si nous supposons que la somme des changements entre chaque ligne horizontale du diagramme soit excessivement minime, ces trois formes ne seront encore que des variétés bien tranchées; mais nous n'avons qu'à supposer un plus grand nombre de générations, ou une modification un peu plus considérable à chaque degré, pour convertir ces trois formes en espèces douteuses; ou même en espèces bien définies. Le diagramme indique donc les degrés au moyen desquels les petites différences, séparant les variétés, s'accumulent au point de former les grandes différences séparant les espèces. En continuant la même marche un plus grand nombre de générations, ce qu'indique le diagramme sous une forme condensée et simplifiée, nous obtenons huit espèces; a14 à m14, descendant toutes de A. C'est ainsi, je crois, que les espèces se multiplient et que les genres se forment.

      Il est probable que, dans un genre riche, plus d'une espèce doit varier. J'ai supposé, dans le diagramme, qu'une seconde espèce, l'a produit, par une marche analogue, après dix mille générations, soit deux variétés bien tranchées, w10 et z10, soit deux espèces, selon la somme de changements que représentent les lignes horizontales. Après quatorze mille générations, on suppose que six nouvelles espèces, n14 à z14, ont été produites. Dans un genre quelconque; les espèces qui diffèrent déjà beaucoup les unes des autres tendent ordinairement à produire le plus grand nombre de descendants modifiés, car ce sont elles qui ont le plus de chances de s'emparer de places nouvelles et très différentes dans l'économie de la nature, nature. Aussi ai-je choisi dans le diagramme l'espèce extrême A et une autre espèce presque extrême I, comme celles qui ont beaucoup varié, et qui ont produit de nouvelles variétés et de nouvelles espèces. Les autres neuf espèces de notre genre primitif, indiquées par des lettres majuscules, peuvent continuer, pendant des périodes plus ou moins longues, à transmettre à leurs descendants leurs caractères non modifiés; ceci est indiqué dans le diagramme par les lignes ponctuées qui se prolongent plus ou moins loin.

      Mais, pendant la marche des modifications, représentées dans le diagramme, un autre de nos principes, celui de l'extinction, a dû jouer un rôle important. Comme, dans chaque pays bien pourvu d'habitants, la sélection naturelle agit nécessairement en donnant à une forme, qui fait l'objet de son action, quelques avantages sur d'autres formes dans la lutte pour l'existence, il se produit une tendance constante chez les descendants perfectionnés d'une espèce quelconque à supplanter et à exterminer, à chaque génération, leurs prédécesseurs et leur souche primitive. Il faut se rappeler, en effet, que la lutte la plus vive se produit ordinairement entre les formes qui sont les plus voisines les unes des autres, sous le rapport des habitudes, de la constitution et de la structure. En conséquence, toutes les formes intermédiaires entre la forme la plus ancienne et la forme la plus nouvelle, c'est-à-dire entre les formes plus ou moins perfectionnées de la même espèce, aussi bien que l'espèce souche elle-même, tendent ordinairement à s'éteindre. Il en est probablement de même pour beaucoup de lignes collatérales tout entières, vaincues par des formes plus récentes et plus perfectionnées. Si, cependant, le descendant modifié d'une espèce pénètre dans quelque région distincte, ou s'adapte rapidement à quelque région tout à fait nouvelle, il ne se trouve pas en concurrence avec le type primitif et tous deux peuvent continuer à exister.

      Si donc on suppose que notre diagramme représente une somme considérable de modifications, l'espèce A et toutes les premières variétés qu'elle a produites, auront été éliminées et remplacées par huit nouvelles espèces, a14 à m14; et l'espèce I par six nouvelles espèces, n14 à z14.

      Mais nous pouvons aller plus loin encore. Nous avons supposé que les espèces primitives du genre dont nous nous occupons se ressemblent les unes aux autres à des degrés inégaux; c'est là ce qui se présente souvent dans la nature. L'espèce A est donc plus voisine des espèces B, C, D que des autres espèces, et l'espèce I est plus voisine des espèces G, H, K, L que des premières. Nous avons supposé aussi que ces deux espèces, A et I, sont très communes et très répandues, de telle sorte qu'elles devaient, dans le principe, posséder quelques avantages sur la plupart des autres espèces appartenant au même genre. Les espèces représentatives, au nombre de quatorze à la quatorzième génération, ont probablement hérité de quelques-uns de ces avantages; elles se sont, en outre, modifiées, perfectionnées de diverses manières, à chaque génération successive, de façon à se mieux adapter aux nombreuses places vacantes dans l'économie naturelle du pays qu'elles habitent. Il est donc très probable qu'elles ont exterminé, pour les remplacer, non seulement les représentants non modifiés des souches mères A et I, mais aussi quelques-unes des espèces primitives les plus voisines de ces souches. En conséquence, il doit rester à la quatorzième génération très peu de descendants des espèces primitives. Nous pouvons supposer qu'une espèce seulement, l'espèce F, sur les deux espèces E et F, les moins voisines des deux espèces primitives A, I, a pu avoir des descendants jusqu'à cette dernière génération.

      Ainsi que l'indique notre diagramme, les onze espèces primitives sont désormais représentées