De l'origine des espèces. Darwin Charles

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Название De l'origine des espèces
Автор произведения Darwin Charles
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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entre des individus distincts, chez les animaux et chez les plantes, constitue une loi sinon universelle, au moins très générale dans la nature.

      CIRCONSTANCES FAVORABLES À LA PRODUCTION DE NOUVELLES FORMES PAR LA SÉLECTION NATURELLE

      C'est là un sujet extrêmement compliqué. Une grande variabilité, et, sous ce terme, on comprend toujours les différences individuelles, est évidemment favorable à l'action de la sélection naturelle. La multiplicité des individus, en offrant plus de chances de variations avantageuses dans un temps donné, compense une variabilité moindre chez chaque individu pris personnellement, et c'est là, je crois, un élément important de succès. Bien que la nature accorde de longues périodes au travail de la sélection naturelle, il ne faudrait pas croire, cependant, que ce délai soit indéfini. En effet, tous les êtres organisés luttent pour s'emparer des places vacantes dans l'économie de la nature; par conséquent, si une espèce, quelle qu'elle soit, ne se modifie pas et ne se perfectionne pas aussi vite que ses concurrents, elle doit être exterminée. En outre, la sélection naturelle ne peut agir que si quelques-uns des descendants héritent de variations avantageuses. La tendance au retour vers le type des aïeux peut souvent entraver ou empêcher l'action de la sélection naturelle; mais, d'un autre côté, comme cette tendance n'a pas empêché l'homme de créer, par la sélection, de nombreuses races domestiques, pourquoi prévaudrait-elle contre l'oeuvre de la sélection naturelle?

      Quand il s'agit d'une sélection méthodique, l'éleveur choisit, certains sujets pour atteindre un but déterminé; s'il permet à tous les individus de se croiser librement, il est certain qu'il échouera. Mais, quand beaucoup d'éleveurs, sans avoir l'intention de modifier une race, ont un type commun de perfection, et que tous essayent de se procurer et de faire reproduire les individus les plus parfaits, cette sélection inconsciente amène lentement mais sûrement, de grands progrès, en admettant même qu'on ne sépare pas les individus plus particulièrement beaux. Il en est de même à l'état de nature; car, dans une région restreinte, dont l'économie générale présente quelques lacunes, tous les individus variant dans une certaine direction déterminée, bien qu'à des degrés différents, tendent à persister. Si, au contraire, la région est considérable, les divers districts présentent certainement des conditions différentes d'existence; or, si une même espèce est soumise à des modifications dans ces divers districts, les variétés nouvellement formées se croisent sur les confins de chacun d'eux. Nous verrons, toutefois, dans le sixième chapitre de cet ouvrage, que les variétés intermédiaires, habitant des districts intermédiaires, sont ordinairement éliminées, dans un laps de temps plus ou moins considérable, par une des variétés voisines. Le croisement affecte principalement les animaux qui s'accouplent pour chaque fécondation, qui vagabondent beaucoup, et qui ne se multiplient pas dans une proportion rapide. Aussi, chez les animaux de cette nature, les oiseaux par exemple, les variétés doivent ordinairement être confinées dans des régions séparées les unes des autres; or, c'est là ce qui arrive presque toujours. Chez les organismes hermaphrodites qui ne se croisent qu'accidentellement, de même que chez les animaux qui s'accouplent pour chaque fécondation, mais qui vagabondent peu, et qui se multiplient rapidement, une nouvelle variété perfectionnée peut se former vite en un endroit quelconque, petit s'y maintenir et se répandre ensuite de telle sorte que les individus de la nouvelle variété se croisent principalement ensemble. C'est en vertu de ce principe que les horticulteurs préfèrent toujours conserver des graines recueillies sur des massifs considérables de plantes, car ils évitent ainsi les chances de croisement.

      Il ne faudrait pas croire non plus que les croisements faciles pussent entraver l'action de la sélection naturelle chez les animaux qui se reproduisent lentement et s'accouplent pour chaque fécondation. Je pourrais citer des faits nombreux prouvant que, dans un même pays, deux variétés d'une même espèce d'animaux peuvent longtemps rester distinctes, soit qu'elles fréquentent ordinairement des régions différentes, soit que la saison de l'accouplement ne soit pas la même pour chacune d'elles, soit enfin que les individus de chaque variété préfèrent s'accoupler les uns avec les autres.

      Le croisement joue un rôle considérable dans la nature; grâce à lui les types restent purs et uniformes dans la même espèce ou dans la même variété. Son action est évidemment plus efficace chez les animaux qui s'accouplent pour chaque fécondation; mais nous venons de voir que tous les animaux et toutes les plantes se croisent de temps en temps. Lorsque les croisements n'ont lieu qu'à de longs intervalles, les individus qui en proviennent, comparés à ceux résultant de la fécondation de la plante ou de l'animal par lui-même, sont beaucoup plus vigoureux, beaucoup plus féconds, et ont, par suite, plus de chances de survivre et de propager leur espèce. Si rares donc que soient certains croisements, leur influence doit, après une longue période, exercer un effet puissant sur les progrès de l'espèce. Quant aux êtres organisés placés très bas sur l'échelle, qui ne se propagent pas sexuellement, qui ne s'accouplent pas, et chez lesquels les croisements sont impossibles, l'uniformité des caractères ne peut se conserver chez eux, s'ils restent placés dans les mêmes conditions d'existence, qu'en vertu du principe de l'hérédité et grâce à la sélection naturelle, dont l'action amène la destruction des individus qui s'écartent du type ordinaire. Si les conditions d'existence viennent à changer, si la forme subit des modifications, la sélection naturelle, en conservant des variations avantageuses analogues, peut seule donner aux rejetons modifiés l'uniformité des caractères.

      L'isolement joue aussi un rôle important dans la modification des espèces par la sélection naturelle. Dans une région fermée, isolée et peu étendue, les conditions organiques et inorganiques de l'existence sont presque toujours uniformes, de telle sorte que la sélection naturelle tend à modifier de la même manière tous les individus variables de la même espèce. En outre, le croisement avec les habitants des districts voisins se trouve empêché. Moritz Wagner a dernièrement publié, à ce sujet, un mémoire très intéressant; il a démontré que l'isolement, en empêchant les croisements entre les variétés nouvellement formées, a probablement un effet plus considérable que je ne le supposais moi-même. Mais, pour des raisons que j'ai déjà indiquées, je ne puis, en aucune façon, adopter l'opinion de ce naturaliste, quand il soutient que la migration et l'isolement sont les éléments nécessaires à la formation de nouvelles espèces. L'isolement joue aussi un rôle très important après un changement physique des conditions d'existence, tel, par exemple, que modifications de climat, soulèvement du sol, etc., car il empêche l'immigration d'organismes mieux adaptés à ces nouvelles conditions d'existence; il se trouve ainsi, dans l'économie naturelle de la région, de nouvelles places vacantes, qui seront remplies au moyen des modifications des anciens habitants. Enfin, l'isolement assure à une variété nouvelle tout le temps qui lui est nécessaire pour se perfectionner lentement, et c'est là parfois un point important. Cependant, si la région isolée est très petite, soit parce qu'elle est entourée de barrières, soit parce que les conditions physiques y sont toutes particulières, le nombre total de ses habitants sera aussi très peu considérable, ce qui retarde l'action de la sélection naturelle, au point de vue de la sélection de nouvelles espèces, car les chances de l'apparition de variation avantageuses se trouvent diminuées.

      La seule durée du temps ne peut rien par elle-même, ni pour ni contre la sélection naturelle. J'énonce cette règle parce qu'on a soutenu à tort que j'accordais à l'élément du temps un rôle prépondérant dans la transformation des espèces, comme si toutes les formes de la vie devaient nécessairement subir des modifications en vertu de quelques lois innées. La durée du temps est seulement importante – et sous ce rapport on ne saurait exagérer cette importance – en ce qu'elle présente plus de chance pour l'apparition de variations avantageuses et en ce qu'elle leur permet, après qu'elles ont fait l'objet de la sélection, de s'accumuler et de se fixer. La durée du temps contribue aussi à augmenter l'action directe des conditions physiques de la vie dans leur rapport avec la constitution de chaque organisme.

      Si nous interrogeons la nature pour lui demander la preuve des règles que nous venons de formuler, et que nous considérions une petite région isolée, quelle qu'elle soit, une île océanique, par exemple, bien que le nombre des espèces qui l'habitent soit peu considérable, – comme nous le verrons dans notre chapitre sur la distribution géographique, – cependant la plus grande