Название | Le Peuple de la mer |
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Автор произведения | Elder Marc |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Sur la dune, parmi le vert jaune des joncs courts, une petite femme guettait, la coiffe lumineuse, du vent dans les jupes. La Marie-Jeanne voulait voir partir son homme. Coët sortit un des derniers, et les balises doublées, bordant plat sa voilure, il serra le vent à la suite des autres barques qui allaient en caravane, toutes inclinées sur le même bord du côté du soleil.
Malgré l’ombre qu’elles portaient dans leur creux, les voiles du Dépit des Envieux éclataient de blancheur, et, d’un mouvement sûr, elles avançaient, tour à tour soulevées et inclinées au tangage, comme dans un grand salut. L’avant du sloop charruait un peu lourdement la mer qui se gonflait et bouillonnait à l’épaule, mais l’arrière glissait bien dans le sillon, en entraînant, comme une auto les feuilles mortes, les bulles éphémères et l’écume subtile.
Coup sur coup, Coët dépassa l’Espoir en Dieu, l’Ange voyageur, le Secours de ma vie, et rattrapa lentement le Bon Pasteur, la barque noire et blanche où le Nain est pilote.
Les pêcheurs ne parlaient point à leur bord; – les hommes de mer ne sont pas bavards: la pipe occupe leur bouche, l’océan leur œil et leurs pensées; – mais tournées vers la nouvelle barque, toutes les faces rudes et boucanées suivaient de près sa marche et à la voir serrer le vent en les gagnant de vitesse, une émulation jalouse remuait le sang des hommes et donnait à ce départ de pêche une allure de régate.
Le Laissez-les dire tenait la tête, au loin, reconnaissable à sa haute voilure bleue, et Perchais, à la barre, se retournait par intervalle vers la pyramide blanche qui croissait régulièrement derrière lui sur l’eau ensoleillée.
Au louvoyage, les sardiniers portés par le jusant s’engageaient dans la Grise. Fraîche, élastique aux voiles, la brise sentait fort la salure du large. Sur la jetée, trait noir dans la côte blonde, l’œil perçant de Coët distinguait encore un point, sa femme sûrement qui l’accompagnait du regard; et il eut de l’orgueil de sa barque, de la Marie-Jeanne et de lui-même. Le point s’effaça, la digue s’éteignit. Il n’y eut plus que la bosse confuse de l’île embrumée et devant lui, la mer infinie où les petits bateaux se perdaient parmi les vagues.
A dix milles dans l’ouest, le Laissez-les dire rencontra la sardine et mit en pêche. L’Aimable Clara arrivait à son tour, puis tout aussitôt ce fut le Dépit des Envieux qui avait semé les concurrents en trois heures de route.
A son bord, Perchais jura un «nom de Dieu» formidable en houlant du torse et bottant son pont. Double Nerf «n’en revenait pas» de voir Coët derrière lui, tandis que la voilure de son frère, marquée de l’ancre pilote, se perdait au loin parmi les traînards.
Mais bientôt le ciel se chargea de nouveau, et l’ouest recommença de lâcher des nuages sombres et crevassés au travers desquels tombaient des raies compactes de lumière d’or. Le soleil avait des jambes, comme disent les marins, et c’était mauvais signe. Déjà la mer s’assombrissait, se creusait, couverte de houpettes blanches qui éclataient à perte de vue, tandis que des glacis s’allumaient et s’éteignaient au penchant des vagues. L’horizon obscurci se fermait comme une muraille au pied de laquelle l’océan se détachait en champ clair sur lequel roulait déjà la tempête.
En hâte les pêcheurs embarquent les filets, amarrent les canots au cul des sloops et tiennent la cape pour réduire leur voilure qui fouette à grands coups secs. Et les barques si fières au port, si énormes au chantier, si colorées dans le soleil, cahotent et gémissent, pauvres petites choses noires que la mer bouscule aveuglément, et sur lesquelles des hommes cramponnés s’agitent.
D’instant en instant le vent force, s’amplifie au point de devenir palpable bien qu’invisible. Il a du poids et siffle. Il pèse sur les poitrines, assourdit l’oreille et, comme à la main, écrète les vagues pour emporter dans sa course de l’écume et du sel.
Aux bas ris les sloops évitent vent arrière et fuient vers l’île dont le phare du Pillier repère la position. Les mâts, dressés hauts par-dessus les voiles, geignent en ployant, les palans crient, les haubans raidissent par secousses et les barques déboulent en poussées successives les vallonnements de la mer. Elles fuient, parfois déjaugées de l’avant, montrant la quille et leurs dessous brillants de coaltar; parfois tombant au creux d’une montagne d’eau qui masque l’horizon. Elles fuient, poursuivies sans cesse par les vagues innombrables qui les gagnent, déferlent sur les tableaux, envahissent les ponts où des ruisseaux hésitent, les enlèvent à pleins dos, s’effacent devant d’autres, qui accourent, gonflées, baveuses, heurtent les arrières et passent, pour être remplacées par d’autres encore, aussi méchantes, aussi énormes. Au roulis le coin trempé des grand’voiles monte alternativement dans le ciel et s’abat dans la mer. A bout de bosses, les canots, précipités ou retenus par une lame, mollissent et tendent tour à tour leurs amarres en menaçant de les rompre. L’écume vole et l’embrun fouette en cinglant.
Arc-bouté sur sa barre, calé dans un trou, ras le pont, l’homme veille, les yeux petits, la trogne en avant, le dos rond sous la bourrasque. C’est tout un troupeau de voiles minuscules, bleues, blanches et rousses, repoussé du large, chassé au ras des flots, presque aussi vite que cette fumée de nuage que le vent emporte follement sous le ciel obscur.
Le Dépit des Envieux double le premier la pointe blanche de la Corbière, à l’abri de laquelle la mer brisée devient plus maniable.
Le Laissez-les dire le serre avec l’intention évidente de lui couper la route. Mais Coët approche gaillardement les roches, malgré le ressac, pour empêcher l’adversaire de passer au vent. Les deux sloops naviguent dans les brisants, le bout-dehors du second aiguillonnant le premier. Ils semblent à la merci d’une vague qui les culbuterait l’un sur l’autre. A la barre les hommes gouvernent comme des dieux.
Il y a des femmes sur la jetée, une main à leur coiffe, l’autre agrippée au garde-fou. Coët vire la balise rouge et vient casser son aire dans le port où les rafales, enjambant la digue, soulèvent des plaques de frisures. Soudain, derrière lui, Perchais aborde lourdement son canot. Les deux patrons se toisent de toutes leurs faces où les yeux surtout vivent, méchamment.
Le soir Julien Perchais s’en fut chez Zacharie. Il avait besoin de boire pour avaler sa défaite, de crier pour apaiser la colère qui bouillonnait dans le coffre de son thorax. Tous les mécontents étaient là: les deux Aquenette, Gaud, Izacar, le mareyeur, Viel le riche, Olichon, des gars à Piron et le père Piron lui-même qui flairait quelques tournées à l’œil. La fille à Zacharie, avec un chignon en casque et une robe légère, remplissait les verres d’eau-de-vie blanche, en penchant sa forte poitrine au ras des visages. Mais les hommes qui aimaient à la flatter d’habitude, avec des regards équivoques, l’ignoraient, le front lourd de soucis, l’œil fixe.
Dehors la mer tumultueuse occupait toute la nuit et le vent secouait les portes comme un hôte oublié. Sous la lampe, les pêcheurs faisaient le gros dos, serrant près à près les vareuses festonnées de blanc par les dépôts salins, et leurs rudes trognes sauries où brasillaient les prunelles. La conversation était sourde comme un complot. Mais si quelqu’un avançait que le Dépit des Envieux naviguait bien au plus près, Perchais hurlait:
– Du bois neuf pardi! c’est léger comme un bouchon!
Et si une autre voix signalait sa rentrée le premier, vent arrière, il lançait à nouveau:
– Un sabot! une charrette! tout fout l’camp aux allures portantes!
Douze fois la fille de Zacharie