Mensonges. Paul Bourget

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Название Mensonges
Автор произведения Paul Bourget
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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comme les gens du peuple.

      – « Je ne sais pas, » répartit Claude que les rancunes mal dissimulées de son ennemie divertissaient, « on jouera le Sigisbée vers les dix heures et demie… et on soupera vers les minuit et demi, une heure… »

      – « M. René sera couché vers les deux heures, alors, » reprit madame Offarel avec cette visible satisfaction d'une personne agressive qui assène à un interlocuteur quelque argument irréfutable, « et comme M. Fresneau s'en va vers les sept heures et que, dès les six, Françoise est là à faziller… »

      – « Allons, allons, une fois n'est pas coutume, » fit Émilie avec une certaine impatience, en coupant la parole à la grondeuse, dont elle prévoyait quelque algarade, et pour changer le cours de la causerie en flattant une manie de la vieille dame: – « Vous ne nous avez pas dit si Cendrillon est revenue définitivement? »

      Cendrillon était une chatte grise qui avait été donnée par madame Offarel à un jeune homme de leurs amis, un monsieur Jacques Passart, professeur de dessin, qu'un goût commun pour l'aquarelle avait lié avec le sous-chef de bureau. C'étaient là les deux vices du ménage: la peinture pour le mari, qui lavait ses paysages jusque dans son bureau; la gent féline pour la femme, qui avait eu jusqu'à cinq pensionnaires de cette espèce dans le logement de la rue de Bagneux, – un rez-de-chaussée comme celui des Fresneau, et agrémenté aussi d'un jardinet. Jacques Passart, qui nourrissait pour Rosalie un amour malheureux, s'était si souvent confondu en exclamations devant la gentillesse de Cendrette ou Cendrinette, comme disait madame Offarel, que cette dernière lui avait donné la petite chatte. Après un séjour de trois mois dans la chambre que Passart occupait à un cinquième étage de la rue du Cherche-Midi, la pauvre Cendrillon avait fait ses petits. On lui en avait tué deux sur trois, et elle s'était sauvée, emportant le troisième. Passart n'avait pas osé parler de cette fuite. Deux jours après, madame Offarel avait entendu un grattement à la porte du jardin. « C'est singulier, » avait-elle dit en vérifiant le nombre des chats étendus, l'un sur le duvet de son lit, l'autre sur l'unique canapé, le dernier sur le marbre de la cheminée. « Ils sont là tous trois, et l'on gratte. » Elle avait ouvert, et Cendrillon était entrée, dressant son museau, arquant son dos, frottant sa tête contre son ancienne maîtresse, enfin mille amitiés qui avaient ravi la bonne dame. Puis, le lendemain matin, plus de Cendrillon. Cette visite, rendue plus mystérieuse par l'aveu que Passart avait dû faire de sa négligence à surveiller la précieuse chatte, avait été, la veille, un objet d'interminables raisonnements de madame Offarel à Émilie, et le fait de n'en avoir pas encore parlé de la soirée, révélait toute l'importance attachée par la mère de Rosalie à l'entrée de René dans le beau monde, comme elle disait encore:

      – « Ah! Cendrillon!.. » reprit-elle, avec un mélange de son aigreur actuelle et de l'enthousiasme que lui inspirait le souvenir de la gracieuse bête. « Mais monsieur René se la rappelle-t-il seulement? » Et, sur un signe du jeune homme qu'il n'avait pas oublié cette intéressante personne: « Hé bien! elle est revenue, ce matin, avec son petit, qu'elle tenait dans sa gueule et qu'elle a mis à mes pieds pour me l'offrir… Oui, elle me regardait… Elle était venue, l'autre jour, afin de voir si je voulais bien encore d'elle, et maintenant elle me demandait de prendre aussi son chaton… Ça vaut mieux d'aimer les bêtes que les gens, » ajouta-t-elle en manière de conclusion, « elles sont plus fidèles. »

      – « Admirable trait d'instinct! » s'écria Fresneau qui recommençait de zébrer ses copies d'indications cabalistiques. « Je le citerai à mon cours… » – Le pauvre homme, sorte de maître Jacques du professorat, enseignait la philosophie dans une école préparatoire au baccalauréat, le latin ailleurs, ailleurs encore l'histoire, et jusqu'à l'anglais qu'il savait à peine prononcer. À ce régime il avait contracté cette habitude, propre aux vieux universitaires, de conférencer à perte de vue et à toute occasion. Ce merveilleux retour de Cendrillon au logis natal lui fut un texte à disserter indéfiniment. Il allait, racontant anecdotes sur anecdotes, et oubliant ses copies, – en apparence; car l'excellent homme, et si faible qu'il n'avait jamais su tenir en paix une classe de dix élèves, trouvait à son service toutes les finesses de l'observateur lorsqu'il s'agissait de sa femme. Tandis que son crayon courait dans les marges des devoirs de ses écoliers, il avait perçu distinctement l'hostilité de madame Offarel et deviné à l'accent d'Émilie qu'elle n'était pas rassurée sur l'issue d'une conversation engagée de la sorte. Et le professeur prolongeait son monologue pour donner aux nerfs de l'acariâtre bourgeoise le temps de se calmer. Il n'eut pas à soutenir ce rôle bien longtemps. Un nouveau coup de sonnette retentit…

      – « C'est papa, il est dix heures moins un quart! » s'écria Rosalie. Elle aussi avait souffert de l'aigreur de sa mère vis-à-vis de Claude et de René. Et l'arrivée de son père qui devait donner le signal du départ lui apparaissait comme une délivrance, – elle pour qui s'en aller de la maison des Fresneau était d'ordinaire un crève-cœur. Mais elle connaissait sa mère, et elle sentait, d'instinct plus que de raisonnement, combien l'amertume de ses remarques devait paraître mesquine et déplaisante à René. Il n'avait que trop de motifs pour ne plus se complaire dans leur société! Elle se leva donc en même temps que son père entrait dans la salle. C'était un homme long et sec, avec un de ces visages comme évidés qui rappellent nécessairement le type immortel de don Quichotte: un nez en bec d'aigle, des tempes creusées, une bouche un peu tirée, et, dominant le tout, un de ces fronts fuyants, chimériques, dont il semble que les manies et les idées fausses en ont raviné toutes les rides et soulevé toutes les bosses. Celui-ci joignait à son innocente passion d'aquarelliste en chambre, la ridicule infirmité de ramener sans cesse la conversation sur ses maladies imaginaires.

      – « Il fait très froid ce soir, » fut son premier mot, et tout de suite, s'adressant à sa femme: « Adélaïde, as-tu de la teinture d'iode à la maison? Je suis sûr que j'aurai ma crise de rhumatismes demain matin. »

      – « Votre voiture est-elle chauffée? » dit Émilie à Claude, sur cette exclamation.

      – « Oui, Madame, » fit l'écrivain, et, consultant sa montre: « Il faut même la gagner, cette voiture, si nous ne voulons pas être en retard… » Tandis qu'il prenait congé de tout le petit cercle, et qu'Émilie le reconduisait, René avait disparu de son côté, sans serrer la main à personne, par la porte qui donnait de la salle à manger dans sa chambre. « Il est sans doute allé prendre son pardessus, il va revenir, » pensait Rosalie; « il n'est pas possible qu'il parte sans me dire adieu, d'autant plus qu'il ne m'a pas regardée de tout ce soir. » Et elle continuait son ouvrage tandis que Fresneau accueillait le sous-chef de bureau avec la même offre qu'il avait eue pour son ami:

      – « Un petit verre pour chasser ce froid? »

      – « Une larme, » fit l'employé.

      – « À la bonne heure, » reprit le professeur, « vous n'êtes pas comme Larcher, qui a méprisé mon eau-de-vie. »

      – « M. Larcher? » dit l'employé. « Vous ne savez pas sa boisson ordinaire?.. Hé! hé! » ajouta-t-il d'une voix plus basse et en regardant du côté du corridor prudemment, « j'ai lu ce soir même un article de journal où il est joliment arrangé. »

      – « Conte-nous ça, petit père, » fit madame Offarel en posant son ouvrage sur ses genoux, pour la première fois de la soirée, et laissant paraître sur son visage la joie naïve de ses mauvais sentiments, comme elle avait montré tout à l'heure sa naïve affection pour la petite chatte.

      – « Il paraît, » reprit le vieil homme en soulignant ses mots, « que, dans les salons où va M. Larcher, on lui donne à boire, au lieu de tasses de thé, des verres de sang. »

      – « Des verres de sang? » interrogea Fresneau abasourdi de cet étrange racontar, « et pourquoi faire? »

      – « Pour le soutenir, donc, » dit vivement madame Offarel, « vous n'avez pas vu cette mine? Ah! il doit en mener une jolie vie! »

      – « Il paraît encore, » continua le narrateur qui tenait à placer quelques anecdotes de plus, avec cette basse ardeur de crédulité propre aux bourgeois, aussitôt qu'il s'agit d'une des innombrables calomnies d'envieux auxquelles