Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris. Виктор Гюго

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Название Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris
Автор произведения Виктор Гюго
Жанр Зарубежная классика
Серия Легко читаем по-французски
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 2015
isbn 978-5-17-088904-4



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de ce tableau n’était pas sans prestige et sans magie.

      Parmi les mille visages que cette lueur teignait d’écarlate, il y en avait un qui semblait plus encore que tous les autres absorbé dans la contemplation de la danseuse. C’était une figure d’homme, austère, calme et sombre. Cet homme, dont le costume était caché par la foule qui l’entourait, ne paraissait pas avoir plus de trente-cinq ans; cependant il était chauve; à peine avait-il aux tempes quelques touffes de cheveux rares et déjà gris; son front large et haut commençait à se creuser de rides; mais dans ses yeux enfoncés éclatait une jeunesse extraordinaire, une vie ardente, une passion profonde. Il les tenait sans cesse attachés sur la bohémienne, et tandis que la folle jeune fille de seize ans dansait et voltigeait au plaisir de tous, sa rêverie, à lui, semblait devenir de plus en plus sombre. De temps en temps un sourire et un soupir se rencontraient sur ses lèvres, mais le sourire était plus douloureux que le soupir.

      La jeune fille, essoufflée, s’arrêta enfin, et le peuple l’applaudit avec amour.

      « Djali », dit la bohémienne.

      Alors Gringoire vit arriver une jolie petite chèvre blanche, alerte, éveillée, lustrée, avec des cornes dorées, avec des pieds dorés, avec un collier doré, qu’il n’avait pas encore aperçue, et qui était restée jusque-là accroupie sur un coin du tapis et regardant danser sa maîtresse.

      « Djali, dit la danseuse, à votre tour. »

      Et s’asseyant, elle présenta gracieusement à la chèvre son tambour de basque.

      « Djali, continua-t-elle, à quel mois sommes-nous de l’année? »

      La chèvre leva son pied de devant et frappa un coup sur le tambour. On était en effet au premier mois. La foule applaudit.

      « Djali, reprit la jeune fille en tournant son tambour de basque d’un autre côté, à quel jour du mois sommes-nous? »

      Djali leva son petit pied d’or et frappa six coups sur le tambour.

      « Djali, poursuivit l’égyptienne toujours avec un nouveau manège du tambour, à quelle heure du jour sommes-nous? »

      Djali frappa sept coups. Au même moment l’horloge de la Maison-aux-Piliers sonna sept heures.

      Le peuple était émerveillé.

      « Il y a de la sorcellerie là-dessous », dit une voix sinistre dans la foule. C’était celle de l’homme chauve qui ne quittait pas la bohémienne des yeux.

      Elle tressaillit, se détourna; mais les applaudissements éclatèrent et couvrirent la morose exclamation.

      Ils l’effacèrent même si complètement dans son esprit qu’elle continua d’interpeller sa chèvre.

      « Djali, comment fait maître Guichard Grand-Remy, capitaine des pistoliers de la ville, à la procession de la Chandeleur? »

      Djali se dressa sur ses pattes de derrière et se mit à bêler, en marchant avec une si gentille gravité que le cercle entier des spectateurs éclata de rire à cette parodie de la dévotion intéressée du capitaine des pistoliers.

      « Djali, reprit la jeune fille enhardie par le succès croissant, comment prêche maître Jacques Charmolue, procureur du roi en cour d’église? »

      La chèvre prit séance sur son derrière, et se mit à bêler, en agitant ses pattes de devant d’une si étrange façon que, hormis le mauvais français et le mauvais latin, geste, accent, attitude, tout Jacques Charmolue y était.

      Et la foule d’applaudir de plus belle.

      « Sacrilège! profanation! » reprit la voix de l’homme chauve.

      La bohémienne se retourna encore une fois.

      « Ah! dit-elle, c’est ce vilain homme! » puis, allongeant sa lèvre inférieure au delà de la lèvre supérieure, elle fit une petite moue qui paraissait lui être familière, pirouetta sur le talon, et se mit à recueillir dans un tambour de basque les dons de la multitude.

      Les grands-blancs, les petits-blancs, les targes, les liards-à-l’aigle pleuvaient. Tout à coup elle passa devant Gringoire. Gringoire mit si étourdiment la main à sa poche qu’elle s’arrêta. « Diable! » dit le poète en trouvant au fond de sa poche la réalité, c’est-à-dire le vide. Cependant la jolie fille était là, le regardant avec ses grands yeux, lui tendant son tambour, et attendant. Gringoire suait à grosses gouttes. S’il avait eu le Pérou dans sa poche, certainement il l’eût donné à la danseuse; mais Gringoire n’avait pas le Pérou, et d’ailleurs l’Amérique n’était pas encore découverte.

      Heureusement un incident inattendu vint à son secours.

      « T’en iras-tu, sauterelle d’Égypte? » cria une voix aigre qui partait du coin le plus sombre de la place.

      La jeune fille se retourna effrayée. Ce n’était plus la voix de l’homme chauve; c’était une voix de femme, une voix dévote et méchante.

      Du reste, ce cri, qui fit peur à la bohémienne, mit en joie une troupe d’enfants qui rôdait par là.

      « C’est la recluse de la Tour-Roland, s’écrièrent-ils avec des rires désordonnés, c’est la sachette qui gronde! Est-ce qu’elle n’a pas soupé? portons-lui quelque reste du buffet de ville! »

      Tous se précipitèrent vers la Maison-aux-Piliers.

      Cependant Gringoire avait profité du trouble de la danseuse pour s’éclipser. La clameur des enfants lui rappela que lui aussi n’avait pas soupé. Il courut donc au buffet. Mais les petits drôles avaient de meilleures jambes que lui; quand il arriva, ils avaient fait table rase.

      C’est une chose importune de se coucher sans souper; c’est une chose moins riante encore de ne pas souper et de ne savoir où coucher. Gringoire en était là. Pas de pain, pas de gîte; il se voyait pressé de toutes parts par la nécessité, et il trouvait la nécessité fort bourrue.

      Cette mélancolique rêverie l’absorbait de plus en plus, lorsqu’un chant bizarre, quoique plein de douceur, vint brusquement l’en arracher. C’était la jeune égyptienne qui chantait.

      Il en était de sa voix comme de sa danse, comme de sa beauté. C’était indéfinissable et charmant; quelque chose de pur, de sonore, d’aérien, d’ailé, pour ainsi dire. C’étaient de continuels épanouissements, des mélodies, des cadences inattendues, puis des phrases simples semées de notes acérées et sifflantes, puis des sauts de gammes qui eussent dérouté un rossignol, mais où l’harmonie se retrouvait toujours, puis de molles ondulations d’octaves qui s’élevaient et s’abaissaient comme le sein de la jeune chanteuse. Son beau visage suivait avec une mobilité singulière tous les caprices de sa chanson, depuis l’inspiration la plus échevelée jusqu’à la plus chaste dignité. On eût dit tantôt une folle, tantôt une reine.

      La chanson de la bohémienne avait troublé la rêverie de Gringoire, mais comme le cygne trouble l’eau. Il l’écoutait avec une sorte de ravissement et d’oubli de toute chose. C’était depuis plusieurs heures le premier moment où il ne se sentît pas souffrir.

      Ce moment fut court.

      La même voix de femme qui avait interrompu la danse de la bohémienne vint interrompre son chant.

      « Te tairas-tu, cigale d’enfer? » cria-t-elle, toujours du même coin obscur de la place.

      La pauvre cigale s’arrêta court. Gringoire se boucha les oreilles.

      « Oh! s’écria-t-il, maudite scie ébréchée, qui vient briser la lyre! »

      Cependant les autres spectateurs murmuraient comme lui: «Au diable la sachette! » disait plus d’un. Et la vieille trouble-fête invisible eût pu avoir à se repentir de ses agressions contre la bohémienne, s’ils n’eussent été distraits en ce moment même par la procession du pape des fous, qui, après avoir parcouru force rues et carrefours, débouchait dans la place de Grève, avec toutes ses torches et toute sa rumeur.

      Cette procession, que nos